Pendant toute la durée de la 5ème édition du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz, retrouvez chaque jour sur FrenchMania le meilleur des films français et francophones en sélection, des rencontres avec les équipes de film et les membres du jury ! Jour 2 : L’Enkas de Sarah Marx avec Sandrine Bonnaire et Sandor Funtek et focus sur les Talents Adami Cannes avec Âmes Sœurs de Pierre Deladonchamps et une rencontre avec Gaël Cabouat, producteur délégué de cette collection de courts métrages.
L’Enkas : Tout pour ma mère
Ulysse (Sandor Funtek) a la petite vingtaine et s’apprête à sortir de prison. Un retour dans la société civile compliquée par son casier judiciaire ainsi que par la dépression de sa mère (Sandrine Bonnaire) qu’il a à sa charge. L’urgence est alors financière; il faut à Ulysse de l’argent pour vivre et payer les soins de sa mère. Ce premier film signé Sarah Marx est plein de vitalité et de sincérité. Caméra à l’épaule, la réalisatrice nous immerge dans le quotidien de ce jeune homme en voie de réinsertion, pris dans le feu de l’action et des épreuves. Avec son ami David (Alexis Manenti), Ulysse va donc trouver une combine rentable : vendre de la kétamine via un foodtruck pour passer inaperçu. L’Enkas évite soigneusement tous les écueils, puisant sa force des comédiens et comédiennes, tous exceptionnels. C’est le coup de foudre pour Sandor Funtek, aperçu dans Nico 1988 de Susanna Nicchiarelli, son naturel, son regard, sa manière bien à lui de faire rouler les mots. L’émotion est à fleur de peau, entre Sandor Funtek et Sandrine Bonnaire (géniale, sans fard), le courant est fluide, net, comme celui qui traverse la mise en scène. Passé par Venise, dans la section Orrizzonti, le film de Sarah Marx surprend autant qu’il émeut. Des parti-pris francs, une personnalité qui éclate à chaque séquence, Sarah Marx et sa bande (La Rumeur Filme, producteurs des Derniers Parisiens) sont assurément à suivre. AC
3 Questions à Sandrine Bonnaire et Sandor Funtek, comédiens dans L’Enkas
Comment vous êtes-vous retrouvés tous les deux sur ce premier film de Sarah Marx, produit par Ekoué Labitey et Hamé Bourokba de La Rumeur ?
Sandor Funtek : On s’était rencontré une première fois sur un épisode de Capitaine Marleau, je m’étais fait pourrir par la réalisatrice Josée Dayan et Sandrine m’avait rassuré pendant un retour en voiture, en me disant de ne pas m’inquiéter. Elle avait été très bienveillante.
Sandrine Bonnaire : Il jouait mon amant, c’est ça qui est drôle. Là, c’est mon fils dans le film (Rires) !
Sandor : Œdipe me poursuit, tout le temps ! On s’est revu à une terrasse de café, dans notre quartier commun, età la manière dont elle m’a fait la bise, je savais que le courant passait.
Sandrine : Pour L’Enkas, j’ai croisé Ekoué à 3h du mat’ une nuit, il m’a dit qu’il m’aimait beaucoup en tant qu’actrice et il a demandé mes coordonnées à une maquilleuse que je connais un peu et qui a travaillé sur Les Derniers parisiens et qui me disait beaucoup de bien d’eux. Il m’a rappelé en me disant : “T’es une fille bien parce que tu n’as même pas peur quand tu croises un black à 3 heures du matin et ça, ça me plaît !“. J’ai ensuite rencontré Ekoué avec Hamé, puis Sarah avec qui le courant est très vite passé.
Sandor : C’est une vraie team du 18ème, mon quartier, et je connaissais tout ceux qui étaient dans leur film précédent. C’est un quartier très éclectique avec autant d’artistes déchus et d’alcolos entretenus par les gars du quartier, que d’artistes influents, de prolos et de bourgeois. Du coup, le langage du film, la façon qu’on a de parler vient de là. Ekoué Labitey et Hamé Bourokba, ce sont des mecs qui ne m’ont jamais infantilisé, ils m’ont toujours parlé d’égal à égal, ils font partie de mes mentors. J’avais une petite scène dans Les Derniers parisiens, et ils m’ont emmené sur ce projet en me disant de ne pas m’emballer, qu’il fallait que je rencontre la réalisatrice. J’ai rencontré Sarah, ça a matché direct et la semaine suivante elle me rappelait en me disant qu’elle n’allait pas me faire attendre, pas faire passer d’essai et que j’avais le rôle d’Ulysse.
Est-ce qu’il y avait sur le plateau cette énergie que l’on ressent à la vision du film ? Est-ce qu’un premier film comme celui-là nécessite un engagement plus fort ?
Sandrine : Carrément ! On riait beaucoup ! Notre première scène ensemble, je ne sais plus ce que Sarah m’avait demandé de faire et j’ai fait une espèce de mimique qui les a fait marrer et c’est parti en fou rire. C’était très joyeux et très dynamique avec une équipe assez jeune. Sarah ne voulait pas éclairer ou très peu afin de pouvoir tourner à 360 degrés et cela donne une autre façon de jouer avec son corps. Elle nous a vraiment laissés libre de nos déplacements. Sur l’engagement, je dirais pas plus que sur un autre film parce qu’il faut être engagé à chaque fois mais là, on avait envie d’y aller plus, face à l’énergie de Sarah, des gars et de celle de Sandor. Pour moi cela a été un nouveau souffle, il n’y a pas de fioritures. Je joue avec la gueule que j’ai, ma gueule du moment, il n’y a pas de joli éclairage. L’engagement est plus vis-à-vis de moi-même : montrer un visage tel qu’il est, parfois très marqué et pas magnifié. Si j’ai une sale gueule et bien j’ai une sale gueule, ça tombe bien, je joue une femme déprimée ! Je joue avec tout ce que je suis.
Sandor : Et presque chaque chef de poste était sur son premier poste. La costumière avait 22 ans ! Il y avait de la générosité et du partage, aucune frustration. J’ai vraiment eu de la chance car je tourne toujours avec des actrices comme ça ! Avec Trine Dyrholm sur Nico 1988 c’était incroyable aussi. Mais le film était aussi très écrit. Ce langage je l’ai adopté depuis que je les connais, il y a une espèce de gouaille, de culture de l’accent parigot, des expressions, et même du verlan qui n’est pas celui qu’on entend en cité mais une version qui est pour moi aussi belle que le beau français. il n’y pas eu d’impro sur les dialogues même si on peut avoir cette l’impression. Leur cinéma et celui que Sarah a voulu faire c’est “one take” ! la bonne prise ! On cherche un peu l’accident, le “dirty” de chaque scène pas la chose clinique mais le texte, c’est le texte. Après si tu as quelque chose de mieux à dire, dis-le !
Sandrine, maintenant que vous êtes réalisatrice, est-ce que vous abordez les premiers films différemment, avec un autre œil ?
Sandrine : Ce qui est chouette chez Sarah, c’est qu’elle nous fait participer à la mise en scène. Ce n’est pas une fille qui te dit “Moi je suis la réalisatrice et toi tu es l’actrice“. Au contraire, elle sait que j’ai fait des films alors elle me demandait mon avis sur certaines scènes. Je suis contente de ses choix suite à nos conversations sur la mise en scène. Il y a des plans qui racontent en une image la détresse des deux personnages, notamment Ulysse qui continue à vivre, même dans ses efforts physiques pour ne pas craquer.
3 Questions à Sarah Marx, réalisatrice de L’Enkas
C’est votre premier film, comment est né votre désir de cinéma ?
Sarah Marx : J’ai eu une caméra dans les mains très jeune, j’avais réalisé un petit film sur ma grand-mère, j’adorais faire témoigner les gens, je voulais garder une trace d’eux. A la fin de mes études de géopolitique, j’ai bossé en agence de presse, j’ai fait du clip, de la pub et même un court métrage sans financement, à l’arrache. J’ai aussi fait un doc, qui sortira après L’Enkas, sur un groupe d’hommes que j’ai suivi pendant un an, en probation de liberté à la maison d’arrêt de Nanterre, dans le cadre d’un atelier d’improvisation théâtrale. Ce qui m’anime, c’est avant tout l’envie de raconter des histoires. Je fais du cinéma parce que j’ai envie de raconter les gens en fait.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire-ci précisément ?
SM : J’avais envie de raconter Ulysse, ce mec qui sort de prison et qui doit répondre à des questions, justifier d’un emploi, s’occuper d’une mère en perte d’autonomie. Comment tu fais quand tu as 25 ans et que tu dois te réinsérer ? C’est déjà compliqué de trouver du taf quand tu as fait 10 ans d’études, alors quand tu sors de taule… C’est un film qui, j’espère, interroge, soulève des questions. J’ai travaillé à la suite de ce projet de documentaire sur ce long avec Ekoué Labitey et Hamé Bourokba, on s’est beaucoup documenté, on a travaillé avec un vrai médecin, celui-là même qu’on voit dans le film, qui travaille sur des traitements expérimentaux à base de kétamine, c’était important d’avoir cela pour nourrir la relation entre Ulysse et sa mère dépressive. J’ai passé du temps avec ce médecin à Saint-Antoine pour voir des patients, il m’a fait participer pendant trois jours à des visites, j’ai pu assister au protocole de la kétamine. Je me sens proche d’Ulysse à plein de niveaux. Il y a une partie d’Ekoué, d’Hamé et de moi dans le film, dans les personnages. On est allé cherché chez nous, autour de nous, des choses sincères.
Les comédiens et comédiennes sont tous formidables. Comment avez-vous croisé la route de Sandor Funtek et de Sandrine Bonnaire ?
SM : Ekoué connaissait Sandor et m’avait dit le plus grand bien de lui. On s’est rencontré pendant que le scénario s’écrivait, et c’était important pour nous de mettre des visages sur des mots. Fallait que ce soit incarné dès le départ. Avec Sandor, il n’y a pas eu de casting, pas d’essai non plus, ça s’est fait au feeling. C’est une question de rencontre quoi. Avec Sandrine, pareil, il n’y a pas eu de tergiversations. Elle est vraiment accessible et bienveillante, on s’est rencontré, et le désir de travailler avec elle a grandi. Par chance, elle a eu le désir de faire ce film aussi. Chaque comédien et comédienne est unique, personne ne se regardait le nombril. L’important, c’est l’échange, comprendre qui tu as en face de toi, s’ouvre à l’autre, et tu arrives ainsi à atteindre une vérité et une justesse. L’Enkas, c’est un petit film, il n’y avait pas de strass, pas de paillettes, mais tellement d’énergie et de complicité.
Le naturel du film est saisissant, à tel point qu’on croirait que certaines séquences sont improvisées.
SM : Il y avait un espace de liberté mais dans un cadre très précis, très tenu. C’était un espace de liberté de jeu. Je voulais laisser les comédiens libres de leurs mouvements. Parfois, c’est un geste fait naturellement, instinctivement, une fulgurance que tu ne peux pas prévoir à l’avance. Ces choses-là, ça vient du doc pour moi, de cette manière de faire, être à l’écoute du corps de ceux que tu filmes. Faut savoir capter ces instants. Après, oui, c’était très écrit, les dialogues étaient hyper bien respectés par les comédiens et comédiennes. On est allé à l’os, à l’épure, les mots sonnent, mais rien n’est gadget, on est dans la sobriété. Il n’y avait pas de démonstration, pas de performance. Tout le monde s’est mis au service de l’histoire qu’on avait envie de raconter, c’est très beau. Après, pour que le film existe vraiment, il a fallu se battre, il a fallu convaincre. On a eu un coup dur pendant le tournage, on a perdu beaucoup d’argent à la suite d’une arnaque, on a tous mis, Ekoué, Hamé et moi de l’argent de notre poche, on a rien lâché, on a trouvé d’autres partenaires, le film s’est fait avec 800 000 euros, mais je suis fière de ce travail d’équipe. Le production, c’est un engagement. Avec Ekoué et Hamé, elle retrouve ses lettres de noblesse.
L’Enkas de Sarah Marx. Avec Sandor Funtek, Alexis Manenti, Sandrine Bonnaire, Lauréna Thellier … (France) – 1h25. En salles prochainement.
Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira / Photos : Sarah Marx sur le plateau de L’Enkas, à ses côtés les comédiens Sandor Funtek et Alexis Menenti / Photo de plateau de Sandrine Bonnaire et Sandor Funtek – Crédit : La Rumeur Filme
2 questions à Gaël Cabouat, producteur délégué des Talents Adami Cannes
Quel a été votre parcours avant de prendre en main la collection de courts métrages Talents Adami Cannes ?
Gaël Cabouat : J’ai commencé il y a 15 ans en créant un collectif qui s’appelle Full Dawa qui a longtemps travaillé sur des courts métrages de débrouille comme on dit ! De fil en aiguille, nous sommes devenus une vraie société de production et nous avons produit à peu près 70 courts métrages, 3 longs métrages dont 2 sont en fin de post-production, du documentaire et du clip ou de la pub également. On a beaucoup clippé les rappeurs : Orelsan, Diams, Kerry James. On reste très en contact avec cette scène rap et hip-hop puisqu’on produit en ce moment le premier long métrage de Nekfeu. C’est son 3ème album qui sera un album-film et on l’attend pour fin 2018-début 2019.
Pouvez-vous nous parler de la collection qui est de plus en plus diffusée en Festival et notamment ici à Saint-Jean-De-Luz ? Quels sont les tenants et aboutissants de ces 5 films annuels ?
L’Adami est un organisme de recouvrement et de redistribution de droits des artistes-interprètes organise depuis 25 ans cette collection diffusée pendant le Festival de Cannes. Cette opération permet de mettre en lumière 20 jeunes talents (4 par film, NDLR) qui sont les visages de l’avant-garde des comédiens français et francophones. Il faut avoir moins de 30 ans, avoir une formation professionnelle ou un expérience significative pour postuler et la phase de candidature vient de se terminer pour la collection 2019 qui sera la 26ème collection. Depuis quelques années, le règle est de faire réaliser ces films par des comédiens et comédiennes qui souhaitent passer à la réalisation. C’était donc, en 2018, Clémence Poésy, Mélanie Thierry, Charlotte Le Bon, Sabrina Ouazani et Pierre Deladonchamps. Cela aide forcément à la visibilité de l’opération et de ces jeunes talents. C’est un vrai challenge pour un auteur d’écrire 4 rôles principaux pour un film de 10 à 12 minutes grand maximum. chaque année, l’investissement est immense pour ces jeunes réalisateurs ! La rampe de lancement, c’est Cannes, la collection est toujours diffusée au tout début du festival, de nombreux réalisateurs, et directeurs de casting viennent découvrir les talents et cela leur permet souvent d’émerger et de travailler sur de nouveaux projets. La collection est reprise à l’Acid et à la Semaine de la Critique. En fin de festival, il y a une diffusion sur France 2 dans la case Histoires courtes du dimanche soir. On retrouve ensuite les courts au Festival d’Angoulême fin août, puis à La Rochelle, La Baule, Clermont-Ferrand, Angers. On a fait un gros travail pour que tout ces festivals reprennent la collection comme c’est le cas ici à Saint-Jean-De-Luz depuis 3 ans. Les films sont aussi envoyés partout dans le monde, pour être sélectionnés en festival au cas par cas. La collection 2017, pendant son année d’exploitation, cela représente une centaine de sélections en festival, et la collection 2018 en est déjà à 40 sélections en festivals. C’est une belle visibilité ! On travaille même en ce moment sur un partenariat avec le festival COLCOA à Los Angeles.
Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira / Photo : Gaël Cabouat – DR
Âmes Sœurs : Surprise party
Court métrage réalisé par Pierre Deladonchamps pour la collection Talents Adami Cannes, Âmes Sœurs est le récit d’une soirée d’anniversaire dans une villa. Le comédien, néo-réalisateur, fait preuve d’une belle inspiration en prenant à bras le corps ce tourbillon de désirs, d’alcool et de vannes que peut être une soirée entre amis. Tristan et Louise sont proches, très proches, trop proches ? Tristan va séduire Adèle et s’isoler dans une chambre avec elle ce qui rend Louise folle de rage. Antonin, dont la rumeur veut qu’il soit gay, sera le “premier venu”, objet de la vengeance de Louise. Le lendemain matin, tout s’éclaire. Adèle Wismes incarne une Louise survoltée et vénéneuse tandis que Sarah-Megan Allouch (vue chez Gonzalez, Les Îles, et chez Poggi et Vinel, Notre Héritage) joue la carte de la sensualité douce. Anthony Sonigo (Remember Les Beaux gosses) est à la fois hilarant et touchant dans le rôle d’Antonin, le garçon qui veut qu’on l’embrasse et Gauthier Battoue qui incarne Tristan confirme, après Bonne Pomme et le court A Distance, un talent fou. Ces quatre-là sont à suivre de près tout comme la carrière de Pierre Deladonchamps réalisateur. A noter le caméo de Philippe Rebbot, acteur génial à la drôlerie lunaire inégalable. FFM – Photo : Gauthier Battoue et Adèle Wismes dans Ames Sœurs / Crédit : Adami