Assistant caméra puis monteur, Florent Vassault a toujours fait ses propres films en parallèle. Des courts, des documentaires fauchés surtout. Après Honk! qui, en 2011, traitait déjà de l’absurdité de la peine de mort aux Etats-Unis avec le sociologue Arnaud Gaillard, il poursuit la réflexion avec Lindy Lou, rencontrée lors de ce premier film. Un film d’enquête, de quête introspective dans les pas d’une femme marquée à vie par sa décision de condamner un homme à la peine de mort au sein d’un jury populaire. Retour sur la fabrication de Lindy Lou, jurée n°2, en salles aujourd’hui.
Comment votre chemin a-t-il croisé celui de Lindy Lou et pourquoi avoir voulu lui consacrer ce documentaire ?
Florent Vassault : Je l’avais rencontrée un peu de mon côté pendant le tournage de Honk! et je m’étais dit qu’il fallait que je la revoie. Cette histoire, elle ne l’avait pas évoquée depuis 20 ans et elle était dans une démarche de transmission notamment auprès de sa petite fille avec qui on la voit échanger au début du film. D’ailleurs sa petite fille est devenue une vraie militante abolitionniste, engagée contre la peine de mort. Ce qui désole son fils, toujours très pro-peine de mort. Je ne voulais pas faire un film documentaire à base de témoignages filmés face caméra, sur le mode “talking heads”. Je voulais trouver une manière de mettre en scène ce laps de temps de 20 ans entre sa décision et sa réflexion. Nous sommes restés en contact depuis 2010, elle avait accepté de me rencontrer parce qu’elle y avait vu un signe divin ! En effet, la veille elle commençait à tenter de coucher cette histoire sur le papier. Elle ne parvenait pas à se sortir de cette histoire et c’est moi qui lui ai posé la question “Les autres jurés qu’en pensent-ils ?“. Elle n’avait jamais eu l’idée de les revoir alors qu’elle avait rencontré le condamné, les gardiens de prison, … Elle a beaucoup réfléchi et m’a donné son accord, le voyage était lancé. En 2014, une semaine après la mort de son mari, nous avons passé un peu de temps ensemble et nous avons vraiment connecté, je n’avais pas percuté sur le fait qu’elle soit à ce point conservatrice sur tous les sujets de société ! Je me suis donc posé à mon tour la question de savoir si je voulais donner la parole à quelqu’un d’aussi conservateur mais je me suis dis que justement des documentaires sur des figures progressistes de l’abolition, on avait vu ça 30 fois. Au début, j’avais peur de ses positions un peu “hard”. J’étais un peu naïf en pensant que ce voyage introspectif la ferait changer d’avis sur plein de sujets mais je n’en suis pas sûr !
Comment se sont organisées les choses, notamment les retrouvailles avec les autres membres du jury dont elle était la jurée n°2 ?
Je l’ai un peu aidée à retrouver les coordonnées. Je suis allé aux archives relire tous le compte-rendus du procès. Elle avait conservé 2 ou 3 contacts. Une des jurées avait conservé un petit carnet de bord dans lequel elle décrivait tous les autres membres du jury : le calme, le machin … et elle avait gardé des numéros de téléphone. J’en ai rencontré deux pour voir si cela allait être intéressant et j’ai laissé Lindy prendre contact avec tous les autres en écrivant des lettres. Elle a douté car elle n’avait eu aucune réponse, elle pensait leur faire peur ! On a donc téléphoné et frappé aux portes ! Mais cela me plaisait aussi de suivre ce processus, je ne pensais pas que les rencontres allaient être aussi fortes. Ce qu’on voit dans le film est assez juste sur la façon dont les choses se sont faites pendant ce mois de tournage en petite équipe : un ingénieur du son, un assistant, avocat de formation, et moi je filmais. Souvent on imaginait les gens suite au premier contact par téléphone et on a souvent été surpris par les rencontres. C’est vraiment au montage que les personnages se sont dessinés. Le film ne joue pas trop sur l’émotion, on a souvent choisi d’enlever les séquences de larmes mais, par exemple, les propos de Brett, le plus analytique qui se voit comme le maillon d’une chaîne qui suit les règles à la lettre m’ont vraiment choqué, j’étais terrifié. Allen qui est plus taiseux, c’est celui qui évoque la nécessité d’avoir une sorte d’aide psychologique pour les jurés. Lui, au départ ne voulait pas parler, et j’ai compris quand on a filmé à quel point il avait été atteint par cette expérience. Il s’énervait contre les autres, ses collègues au bureau, en disant que personne ne savait ce que l’on pouvait éprouver après avoir pris une décision comme celle-ci, il n’en avait jamais parlé à sa femme. Mais chacun d’entre eux, à mesure qu’ils replongeaient dans ces souvenirs, donnait l’impression que quelque chose se brisait à l’intérieur. Quand je vois le film, je les vois tous un peu abattus, brisés.
On remarque que les références religieuses prennent une vraie place dans le processus de Lindy…
C’est partout et tout le temps et d’ailleurs, au départ de la quête de Lindy, la religion a toute sa place. En sortant du procès elle a couru chez son pasteur pour savoir si donner la peine de mort était compatible avec sa foi. Il lui a retrouvé le passage d’ “œil pour œil”… Elle le dit dans le film, elle accepte de prendre place dans ce tribunal au lieu d’aller donner des cours de catéchisme donc elle se dit que si Dieu l’envoie là c’est qu’elle doit s’y rendre. Elle voit des signes partout. Tout est vu à travers ce prisme-là ! Et là-dessus on ne s’entend pas car je suis plutôt athée, alors elle m’a dit “Moi j’ai fait des efforts pour être contre la peine de mort, tu devrais faire aussi des efforts pour aller plus vers Dieu !“.
Comment gère-t-on la partie montage qui est forcément la plus lourde pour un documentaire comme celui-ci ?
Comme pour tous les films ! Ce qui m’inquiétait le plus, c’est que c’est un film qui joue sur la répétitions, les rencontres avec les jurés, un par un. Il fallait faire en sorte que le propos soit mis en valeur, organiser tout cela. La clé c’est d’avoir un peu de temps de recul sur son propre film ! On avait filmé d’autres rencontres avec des avocats, des membres de la famille des victimes mais on a choisi au montage de se concentrer sur les jurés. Ce que j’ai beaucoup aimé c’est le sens de l’écoute de Lindy qui joue le rôle de l’intervieweuse. Le film reste assez simple formellement, mais en festival, j’ai souvent eu des questions sur la véracité du personnage, donc on peut aussi imaginer que c’est une fiction et cela veut dire que la dramaturgie fonctionne !
Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira
Photos : Lindy Lou / Florent Vassault / Crédits : JHR Films