Interview avec Sophie Dupuis, réalisatrice de Chien de garde, et avec le comédien Jean-Simon Leduc
Quel est le point de départ de cette histoire sombre de deux frères élevés dans la violence ?
Sophie Dupuis : Je suis fille unique et je suis fascinée par cette relation-là, cet amour là que je ne connaîtrais jamais en fait, celui entre frères ou entre frère et sœur. Ce n’est pas la première fois que j’en parle puisque je l’évoque aussi dans mes courts métrages. Les relations familiales sont toujours intéressantes, scénaristiquement parlant, parce que c’est intense et qu’on peut vraiment aller loin. Il y a les côtés toxiques, la difficulté de partir, de quitter ses repères, tout ce qu’on connaît. L’autre chose qui m’a amenée à écrire Chien de garde, c’est une histoire que j’avais entendue sur une mère et son fils qui avaient une très belle relation mais elle ne savait pas que ce jeune adulte était “collecteur”, ceux qui vont faire du mal à ceux qui ont des dettes de drogues. Elle avait fermé les yeux sur la réalité de son fils. Je me suis interrogée, comment on pouvait fermer les yeux sur quelque chose d’aussi violent ? Et j’avais envie de créer des personnages plus grand que nature. Tout se passe à Montréal dans le quartier de Verdun.
Jean-Simon Leduc : C’est un quartier ouvrier qui a été une “ville sèche” pendant un bon bout de temps, il n’y avait plus de bar, plus le droit de vendre et consommer de l’alcool.
Sophie : Je viens d’une petite ville dans une petite région du Québec et je voulais montrer un endroit où tous les gens se connaissent un peu. J’avais envie de recréer ça à Montréal.
Comment avez-vous imaginé ces deux frères ?
Sophie : En fait je voyais vraiment Vincent comme quelqu’un d’éclaté, d’imprévisible, de violent et dangereux et je voulais un personnage comme celui-là, incontrôlable, qui nous échappe un peu. Le personnage de JP (prononcé Jipi, NDLR), c’est celui qui s’occupe de lui, qui doit le gérer et limiter les dégâts, il est toujours à l’affut, c’est le chien de garde de la famille ! Sans lui, Vincent est comme une tornade incontrôlable qui peut faire de gros dégâts et l’un sans l’autre, il y a comme un manque d’équilibre. On a fait cinq semaines de répétition pour le film, pour moi c’était important de travailler en amont avec les acteurs. Dans ces cinq semaines les personnages ont beaucoup évolué. Après est venu le moment où mes acteurs dépassent ma propre compréhension des personnages, et je leur laisse une grande liberté.
Jean-Simon : La dynamique entre les deux était importante à régler pour savoir jusqu’où on pouvait aller sans se dire “je ne peux pas l’aimer s’il va aussi loin que ça”. avec Théodore (Pellerin, qui joue Vincent, NDLR), c’était parfait, c’est comme si Sophie avait organisé un blind date, elles organisait des soupers, des sorties au laser game, plein de trucs. On est devenus amis, je l’aime beaucoup, je pouvais lui faire confiance sur le plateau pour qu’il me donne la même énergie que la caméra soit sur moi ou sur lui.
Sophie : Ils ont vraiment travaillé ensemble ! Pendant ces cinq semaines de répétitions, les personnages ont beaucoup évolué. Après est venu le moment où mes acteurs dépassent ma propre compréhension des personnages, et je leur laisse une grande liberté.
Jean-Simon : C’est vraiment bien pour les acteurs parce qu’on se sent souvent pris dans des carcans de mise en scène, on se dit souvent qu’on pourrait aller plus loin mais là, Sophie nous faisait confiance et nous laisser faire. Dans mon cas c’était bien mais pour le personnage de Vincent, c’était encore plus important de savoir qu’il n’y avait pas de limite. Sur le plateau, la mise en scène était réglée chaque jour selon l’espace et les choses pouvaient changer pendant cette mise en place. Quand la caméra était à l’épaule avec Mathieu Laverdière (le directeur de la photo, NDLR) qui est franchement instinctif on savait qu’il allait nous suivre même si on changeait des mouvements.
Peut-on parler de la musique qui joue un rôle à part entière ?
Sophie : Quand j’écris j’ai besoin de musique, de me mettre dans un univers, une ambiance. Je cherche toujours des musiques très précises à faire écouter aux acteurs pendant les répétition et le tournage. Je pensais mettre plus de hip-hop et j’ai quand même cherché d’autres choses au moment du montage, je voulais quelque chose de plus angoissant en complément de la musique que les personnages écoutent. On a eu la chance de rencontrer des super compositeurs, Gaetan Gravel et Patrice Dubuc, ils ont fait un travail génial. ils étaient amoureux du film et cela transparaît dans leur travail. J’adore les cordes, les violoncelles, je suis très contente d’en avoir dans mon film. Et il y aussi une musique originale des Dead Obies, le groupe de hip-hop le plus connu au Québec.
Comment le film a-t-il été reçu au Québec lors de sa sortie en mars dernier ?
Sophie : On ne s’attendait pas à un tel accueil. Malgré notre petit budget de promotion, le film a fait beaucoup d’entrées et il est resté longtemps à l’affiche. L’industrie a aimé le film et nous avons eu des nominations et des prix au Gala Québec, l’équivalent des César : le montage, le prix révélation pour Théodore Pellerin et le prix d’interprétation pour la mère incarnée par Maud Guérin. Et puis maintenant le film représente le Canada aux Oscars (pour le meilleur film étranger, NDLR) et va sortir en France mi-novembre, c’est le bonheur !
Qu’est-ce qui se profile après l’aventure Chien de garde pour vous deux ?
Sophie : Je suis prête à tourner un film qui s’appelle Souterrain. Je viens d’une ville minière et j’avais envie de tourner dans les mines. La première chose qui m’a attirée c’est le décor mais, en rencontrant ces hommes qui travaillent sous terre, j’ai découvert une autre forme de fraternité, de famille, toutes les générations sont mélangées. Les gars ont du fun ensemble, il y a de l’humour, ce n’est pas glauque ou sombre. J’ai vu des gens passionnés qui aiment leur métier et les gens avec qui ils le font. J’attends les subventions pour tourner l’été prochain.
Jean-Simon : A Montréal, j’ai quelques jours sur une série. Je prépare un show au théâtre pour la fin de l’année, nous sommes en ce moment en répétitions pour cette création qui se base sur les créations de poètes québécois à travers les années et j’ai aussi écrit des textes. Et je viens finir le tournage d’un autre film sur deux frères, j’ai tourné pendant un mois dans le fin fond de la forêt, et ça va sortie d’ici un an, cela s’appelle Réservoir.
Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira
Photos/Crédits : Jean-Simon Leduc et Théodore Pellerin dans Chien de garde – Sophie Dupuis sur le plateau /Babas Photography-Fratel Film