La deuxième saison des Engagés, première série LGBT+ française, est actuellement diffusée sur Studio 4, site de France 4 dédié aux web séries. Cette saison 2 creuse les thèmes initiés dans la première et fait émerger de nouveaux personnages pour un résultat maîtrisé, riche, qui sonde en profondeur les parcours personnels et militants. Sullivan Le Postec, créateur de la série, a accepté, pour FrenchMania, de nous raconter, à sa façon, les coulisses et le tournage à Lyon de cette deuxième saison des aventures d’Hicham, de Thibault et du Point G, l’association LGBT dans laquelle ils sont … engagés.
Épisode 1 : De l’introspection à la découverte de l’autre
Lorsque nous avons commencé le tournage de la première saison des Engagés, en février 2017, la première version d’un scénario d’épisode Pilote datait de six ans. Pendant ces années de développement solitaire, le projet avait connu plusieurs évolutions mais, ironiquement, le format court proposé par Studio 4, la plateforme de fictions web de France Télévisions, m’avait ramené à la version d’origine. La deuxième saison allait devoir s’écrire dans un timing bien plus serré. Mais je ne partais pas d’une page blanche : ces six années de rumination avaient généré des pistes allant bien au-delà de ce que j’avais pu traiter dans la première saison. Tout n’était pas prévu non plus : la série est une matière vivante. Maintenant qu’ils sont portés par des acteurs, les personnages ont acquis de nouvelles dimensions. Le tournage, le montage avaient parfois transformé la matière.
Cependant, ce qui a le plus profondément affecté les scénarios de la saison deux, c’est l’accueil qu’a reçu la première par le public. Sur le web, des dizaines de commentaires sont postés sous chaque épisode, et beaucoup d’autres arrivent par les réseaux sociaux. Les spectateurs des Engagés n’ont pas tellement affecté les intrigues ou les parcours des personnages principaux. S’ils ont agi sur la série, c’est en me forçant à approfondir ma réflexion sur la question de la représentation. J’étais très conscient, au moment de la première saison, que la télévision française n’avait encore jamais produit de séries LGBT, et j’en avais tenu compte. Mais cette première saison était aussi une affaire intime. J’ai eu recours à des filtres et artifices de fiction, si bien que personne à part moi – et encore – ne peut savoir ce qui est vrai ou pas. Il n’en reste pas moins que les dix premiers épisodes des Engagés racontent mon histoire. Cette matière intime a produit un projet dont le succès international, en festival, ou sur des plateformes étrangères qui ont acheté la série, a illustré l’aspect universel. Cependant, certains manques étaient saillants. Force est de constater que beaucoup d’histoires qui concernent les LGBT n’ont toujours pas été racontées. Que beaucoup de personnes n’ont jamais eu la chance de se sentir représentées par un personnage de fiction, de pouvoir réellement s’identifier.
La création sort souvent renforcée des contraintes
L’idée a toujours été que la trajectoire des Engagés mène du personnel au collectif. Après une première saison d’introspection, s’est dessinée une deuxième saison qui partirait à la découverte de l’autre. Un autre multiple, différent, riche. Si Hicham (Mehdi Meskar), Thibaut (Éric Pucheu), et leur relation complexe, restent la colonne vertébrale de la série, j’ai ressenti la nécessité de laisser davantage de place au monde qui les entoure et d’enrichir les représentations. Hicham avait débarqué dans un Point G un peu bloqué dans les années 90 : une association très blanche, assez bourgeoise. Il allait contribuer à l’ouvrir au monde et à se remettre à jour. De nouveaux personnages arrivent, en particulier le jeune homme trans Elijah (Adrián de la Vega) et la réfugiée Tunisienne Kenza (Malika Azgag). Cette approche fut aussi l’occasion de mettre davantage dans la lumière certaines figures de la première saison, comme Nadjet (Nanou Harry) ou Claude (Denis D’Arcangelo) qui portent cette année leurs propres intrigues.
Une écriture complexe
A la fois pour des raisons économiques (le budget d’écriture ne permet pas d’accueillir d’autres auteurs) et parce que la série est une affaire personnelle, j’écris seul. Entrer dans cette deuxième saison ne fut pas simple. Il nous fallut plusieurs mois d’échanges avec les producteurs, Sophie Deloche et Baptiste Rinaldi, et plusieurs versions, avant que je réapprenne la leçon de la première saison. Le format de 10 minutes par épisode se prête assez peu à un traitement choral. Il est beaucoup plus efficace, et payant émotionnellement, de choisir un point de vue clair à chaque épisode. Si l’ensemble des dix épisodes forment un tout, dont je crois qu’il est assez cohérent, chaque segment peut presque s’apprécier indépendamment. La plupart des épisodes de la saison 2 se concentrent soit sur un événement, soit sur le parcours émotionnel d’un personnage en particulier. Les deux premiers renouent avec les deux personnages principaux, et introduisent, parfois subrepticement, leur conflit central de la saison. Ensuite, le troisième s’appuie sur ces premières bases pour délivrer un premier pay-off émotionnel qui sert de base à l’intrigue fil rouge de la saison.
La complexité de l’écriture est aussi technique et économique. Produite pour le digital, Les Engagés ne bénéficie que du quart du budget d’un épisode de série française. En développant l’univers autour d’Hicham et de Thibaut, la deuxième saison a encore augmenté le nombre de personnages et de décors par rapport à la première, où nous nous étions déjà frottés aux limites de la production web. Pire, deux épisodes essentiels, le troisième et le dernier, requièrent d’importantes scènes de groupe, grosse consommatrices de cachets. Dans les dernières semaines avant le tournage, deux épisodes, le quatrième et le huitième, seront intégralement repris pour livrer des versions plus simples, qui rendent cette saison possible à produire. Ils sont aussi plus concentrés, plus efficaces. Pas sûr du tout que les changements nous aient porté préjudice : la création sort souvent renforcée des contraintes.
(A suivre …)
Crédits Photos : Jean Combier/Astharté – Portrait Sullivan Le Postec/Clément Caudal/Astharté.
Les Engagés, saison 2 à suivre sur Studio 4, 2 épisodes par semaine depuis le 12 novembre. Visible en dvd (chez Optimale Distribution) et en vod (Queerscreen.fr) dès le 6 décembre prochain. La saison 1 est disponible sur les mêmes supports.