Pour finir cette année en beauté, FrenchMania est allé à la rencontre des talents français qui ont marqué 2018. C’est le cas de l’épatante Laure Calamy qui était à l’affiche de Nos Batailles de Guillaume Senez, Roulez Jeunesse de Julien Guetta et Mademoiselle de Joncquières d’Emmanuel Mouret, mais aussi dans la série Dix pour cent où elle interprète saison après saison, avec de plus en plus de liberté, le personnage de Noémie. La comédienne répond à notre questionnaire maison, nous parle de la cinéphile qu’elle est et de son année 2019.
Quels souvenirs gardez-vous de votre premier rôle ?
J’avais 19-20 ans quand je suis venue à Paris pour faire du théâtre. Je suis passée par l’école de la rue Blanche, et ensuite par le Conservatoire, ce qui m’a donné confiance en moi. Le cinéma n’était pas une priorité ni même un désir en soi et je passais peu d’essais. Je n’étais pas celle que les agents repéraient a priori, je n’avais pas le physique de la jeune première, mais ça m’était égal puisque je voulais faire du théâtre avant tout. Ensuite, par un hasard de circonstances, Philippe Garrel – qui enseignait à l’école mais n’était pas mon professeur – m’a proposé un petit rôle dans son film Sauvage innocence en 2001. On peut dire que c’était mon premier rôle au cinéma, même si ce n’était qu’une petite apparition ! C’était en tout cas un très beau souvenir de trois jours de tournage à Amsterdam.
Quelles étaient les comédiennes françaises que vous admiriez lorsque vous étiez adolescente ?
Il y en a tellement ! Mais je dois avouer que j’ai toujours été fascinée par Isabelle Adjani et par Isabelle Huppert, je regardais beaucoup les films dans lesquels elles jouaient. Adjani va hyper loin, elle saute dans le vide, elle n’a pas peur des gouffres, elle joue avec ses monstres, il y a quelque chose chez elle qui m’époustoufle à chaque fois. J’ai une autre forme d’admiration pour Huppert, elle me touche à un autre endroit, elle s’en fout de jouer des personnages antipathiques voire haïssables; elle va dans des rôles troubles, opaques, et en même temps avec une forme de légèreté ahurissante. Elle sait prendre les choses à contre-pied. Et puis j’admire sa boulimie de cinéma, son envie de jouer toujours palpable… Une autre comédienne que j’aimais beaucoup adolescente, c’était Arletty, dans Les Enfants du Paradis, dans Hôtel du Nord. Elle avait une grâce folle !
Quelle cinéphile êtes-vous ?
J’ai toujours aimé voir des films. Quand j’habitais Orléans, j’allais souvent en salles, dans des ciné-clubs aussi, et j’enregistrais les films qui passaient à la télé. J’étais tombée raide dingue amoureuse d’À bout de souffle de Godard que j’avais même enregistré, en plus de la VHS, sur cassette audio. Je l’écoutais en boucle, je connaissais tous les dialogues par cœur. J’ai eu toute une période Pasolini aussi, j’adorais Mamma Roma, avec la merveilleuse Anna Magnani, et j’ai du voir au moins 30 fois L’Évangile selon Saint Matthieu ! Complètement mystique ! Pasolini fait partie de mes cinéastes préférés. Quand je suis arrivée à Paris, je passais mon temps dans les salles du quartier latin à voir des classiques, je voyais 3 à 4 films par jour, ce que je n’ai plus du tout le temps de faire aujourd’hui. Je me faisais des cycles Allen, Bergman, Rossellini … A Orléans, j’avais découvert Greenaway, Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989, NDLR). C’est un film qui reste gravé dans ma mémoire. Mais mon vrai premier souvenir de cinéma, je crois que c’est Le Roi et l’oiseau que ma mère m’avait montré enfant.
Lorsqu’on regarde votre filmographie, on s’aperçoit que les réalisateurs et réalisatrices avec lesquels vous avez travaillé (Justine Triet, Guillaume Brac, Vincent Macaigne, Léa Mysius …) appartiennent à une même famille, celle du cinéma d’auteur. Est-elle plus généreuse en rôles ?
Oui, c’est vrai, c’est une famille dans laquelle je me sens bien et acceptée. Les réalisateurs et réalisatrices avec lesquels j’ai travaillé, ce sont aussi des amateurs de théâtre. La plupart m’ont vue sur les planches, comme dans les spectacles de Vincent Macaigne, avant de m’employer ailleurs. C’était le cas de Justine Triet (La bataille de Solférino, Victoria) et Blandine Lenoir (Zouzou). Pour Guillaume Brac par exemple, c’est notre rencontre qui l’a convaincue de me donner un rôle dans son moyen métrage Un monde sans femme (2011, NDLR). Je ne calcule rien, mais ça m’intéresse particulièrement de tourner dans des premiers films. Il y a un frisson particulier. Après, on peut le ressentir ailleurs ce frisson, même lorsqu’on tourne avec un cinéaste plus confirmé. Je crois que ça dépend des personnes. Je suis très sensible à la rencontre, à l’humain, à ce qu’on dégage. C’est ça mon moteur pour accepter un rôle.
Comment définiriez-vous le rapport que vous avez à votre image ?
J’ai toujours eu du mal à me regarder et me voir jouer. Je ne crois pas que mon métier me réconcilie particulièrement avec l’image que j’ai de moi-même. Les films restent toujours plus forts, donc j’arrive à voir les films dans lesquels je joue contrairement à certains acteurs ou certaines actrices qui y renoncent. Se voir, c’est très pénible, je ne m’y ferai pas, mais j’arrive à dépasser ça. Ce qui me fait du bien, c’est de voir des gens après et de me sentir rassurée par leurs mots et leur regard.
Quel rôle a joué pour vous le personnage de Noémie dans Dix pour cent ?
Ça m’a permis de toucher un public plus large en effet, la diffusion télé joue. Cependant, il m’arrive d’être arrêtée dans la rue par des spectateurs qui m’ont vu ailleurs que dans Dix pour cent. Ma chance est d’avoir éclos auprès d’un plus large public avec la série et que, parallèlement à ça, ce que j’avais entamé avec le cinéma d’auteur continuait de faire son chemin. Léa Mysius dont on parlait plus tôt ne m’a pas repérée dans Dix pour cent mais dans le moyen métrage de Guillaume Brac et le court métrage La Contre-allée de Cécile Ducrocq par exemple. Pour en revenir au personnage de Noémie, au départ, ce n’était pas un personnage très engageant, il n’y avait pas de quoi avoir le coup de foudre, dans la saison 1, il est un peu monochrome… Mais, et c’est l’une des qualités de cette série, chaque épisode, chaque saison nourrit un peu plus nos personnages et dès la saison 2, il m’est apparu plus coloré. Dans la saison 3, je suis carrément vernie ! J’ai davantage de choses cocasses à jouer. Je crois aussi que notre rencontre avec Nicolas Maury (Hervé, NDLR) sur le plateau a amené quelque chose et donné envie aux autrices et auteurs de solidifier ce duo à l’écran. Cette série est devenue un véritable terrain de jeu pour moi, je m’y lâche de plus en plus, et on prend plaisir à se surprendre les uns les autres.
Quel est votre film préféré de l’année 2018 ?
Sans hésitation, Burning de Lee Chang-dong. Ça m’a renversée. Je n’ai pas compris qu’il n’ait pas été pas du palmarès à Cannes, c’était le grand absent, c’est dingue. Ce film est d’une beauté à couper le souffle. J’adorerais travailler avec ce réalisateur ! J’ai beaucoup aimé son film Oasis aussi (2003, NDLR). Il réussit à t’embarquer dans une histoire d’amour absolument folle, et tout a une saveur et une complexité extraordinaire.
Vos envies de rôles à l’avenir ?
J’adorerais jouer dans une comédie musicale, une chanteuse de rock par exemple, j’aime chanter ! Je rêve aussi de jouer dans un western, jouer une femme politique ou une magistrate…
Où vous revoit-on en 2019 ?
J’ai plusieurs projets, dont le premier long métrage de Cécile Ducrocq qui devrait s’appeler Une femme du monde, le premier film de Nicolas Maury aussi, et le film de Julie Bertuccelli, La dernière folie de Claire Darling, qui sort en février. J’imagine que le prochain film de Justine Triet va sortir en 2019, comme celui de Mohamed Hamidi, baptisé Les Footeuses pour le moment. L’agenda 2019 est bien rempli !
Propos recueillis par Ava Cahen.
Photo Une : Copyright Christophe BRACHET / FTV