Il est l’âme de Synonymes, film avec lequel il fait corps. Chaque partie de son être semble être en alerte dans le film de Nadav Lapid, entre implication physique franche et phrasé poétique et brutal, il est tout simplement stupéfiant. Son interprétation de Yoav, alter ego du réalisateur en super-héros idéaliste, allie la grâce d’un danseur à la puissance d’un judoka, deux disciplines dans lesquelles il excelle. Nous avons rencontré Tom Mercier, jeune comédien à la fois doux et intense pour évoquer ce premier rôle qui marque de son sceau un début de carrière des plus prometteurs.
Comment tout a commencé pour vous dans l’aventure de ce film ?
Tom Mercier : Je crois que cela fait deux ans que je suis encore sur des rails de ce personnage, de cette figure. Je me souviens de l’e-mail que j’ai reçu pour l’audition pour le film de Nadav. A l’époque, il s’appelait Micro Robert comme le dictionnaire. J’ai vu une scène avec plein de synonymes en hébreu et que cela m’a intéressé. J’ai appelé mon père qui est Français, il est né à 10 km de Béziers, je lui ai demandé de m’aider à bien prononcer des mots en français. Je suis allé chez lui, on a répété, on s’est enregistré et je suis arrivé à l’audition avec les mots préparés en français. Nadav était content que j’ai choisi de les traduire et de les dire en français. Et j’ai improvisé avec un grand carton que j’avais vu dans les coulisses, on pouvait glisser sa tête dedans, elle était en sous-vêtements et j’ai imaginé que c’était Edith Piaf et je suis entré en chantant, en dansant, en marmonnant du Edith Piaf, je me suis amusé. Ils ont été à la fois émus et choqués ! Après tout cela, Nadav m’a dit que j’allais interpréter le rôle. Près de Tel Aviv, il m’a donné un dictionnaire et m’a demandé de travailler dessus. Il m’a dit de choisir un mot au hasard, le premier c’était blé, une plante qui pousse dans les champs et qui produit le pain, la baguette, la tradition. Après je cherchais champ, et c’était interminable. Je partais sur “viens”, et trouvais Boris Vian, puis j’écoutais le Déserteur !
Comment avez-vous préparé ce tournage à Paris ?
Je vivais à quelques kilomètres de Tel Aviv, une ville au bord de la mer avec plein de soleil, j’ai grandi là-bas jusqu’à 23 ans. Je suis resté en France depuis le film parce que je sentais que je n’étais pas encore assez à l’aise la langue. J’avais joué un petit rôle dans un film en Israël, je n’avais pas beaucoup de texte, donc là c’était vraiment plonger dans l’océan du cinéma français moderne. Nadav m’a donné plein de films à voir sur lesquels on a travaillé ensemble, des films de Godard, de François Truffaut, de Cocteau parfois, de Jean Eustache, des choses qui m’ont chatouillé un peu pour que, comme lui, je sois nourri par le cinéma français. Bruno Dumont m’inspirait beaucoup, ou Carax. Des gens qui m’ont poussé à être au mieux. J’ai vu tous les films de Nadav aussi car, avant l’audition, je ne savais pas qui il était, comme lui qui ne connaissait peut-être pas Godard avant d’arriver en France.
Comment avez-vous vécu le tournage ?
Chaque jour de tournage, chaque plateau était dans un endroit différent. Tu te sens dans une atmosphère où tu sais que tu es à Paris mais pas exactement où. Les 15 premiers jours, Nadav m’a un peu dirigé et les 15 jours suivants il m’a laissé la liberté totale, tout en étant très précis avec le texte et la technique. J’étais un peu perdu et libre, et j’ai eu un peu peur les 15 derniers jours. La sensation d’être un héros, c’est quelque chose que je crois que j’ai vécu quand j’étais en Israël mais cela n’est jamais arrivé, c’est un fantasme. A la différence, le fait d’être presque immobile avec un regard froid, presque blanc comme un requin, c’était quelque chose que j’ai construit. Quand je vois le film, les mouvements sont lents alors que je ressens le moteur qui bouge à l’intérieur. Moi je bouge tout le temps. Yoav bouge beaucoup mais à l’intérieur, il danse, il est tout le temps dans un mouvement, mais à l’extérieur, rien, le silence, la mer sans nuage dans un jour plat. Rien. C’est la violence qu’il a en lui.
Comment avez-vous réagi en voyant le film pour la première fois ?
Je suis presque arrivé en retard à la projection à cause des embouteillages dans Paris. Toute ma vie je suis toujours arrivé à l’heure et là, non. C’est comme arriver en retard à ton enterrement ! Pourquoi Dieu tu me fais ça, si tu existes, maintenant je te déteste ! Je suis arrivé un peu à l’arrache. En sortant de la salle, j’ai eu besoin d’un peu de silence avec moi-même mais j’étais content. C’était comme si je voyais quelqu’un d’autre que je connais peut-être mais qui vit sa vie à lui. Cela m’a ouvert des portes, des rencontres avec des réalisateurs, avec des gens qui me remercient pour mon travail … J’ai envie d’être dans ce métier, j’espère que je vais avoir des projets, c’est le plus important. Juliette Binoche, elle peut jouer une femme de ménage alors qu’on l’a vu à Berlin en déguisement de festival, moi aussi je veux pouvoir jouer un homme de ménage.