En salles le 14 août : Je promets d’être sage, premier long de Ronan Le Page. Nous avons pour l’occasion rencontré le réalisateur de cette comédie burlesque et loufoque dont le héros est un trentenaire – Franck, interprété par Pio Marmaï – qui renonce avec perte et fracas à son rêve de théâtre pour enfin grandir, ailleurs. Rejeté par ses contemporains, Franck trouve un abris dans le passé, un Musée des Beaux-Arts, à Dijon …
Comment est née l’idée de mettre en scène l’histoire d’un « perdant » ?
Ronan Le Page : Cette histoire est née d’une immense frustration. Je venais de consacrer des années à un projet de long métrage qui avait fini par capoter et, comme Franck, après des années à vivre sur le fil, j’étais au bord de renoncer à ma passion. J’avais, moi aussi, soif de normalité et de tranquillité. C’est à peu près à cette période qu’un ami travaillant dans un musée m’a raconté les agissements d’une gardienne qui entretenait des relations exécrables avec ses collègues. Cette femme, qui avait été assistante sociale et avait atterri là à la suite d’une dépression, ne supportait pas ce nouveau travail et déclenchait des torrents d’hostilité autour d’elle. Je connaissais bien cette énergie négative pour l’avoir quelquefois éprouvée et cela m’a inspiré Sibylle, l’héroïne du film. Le lieu même du musée m’attirait : un lieu poétique, cinégénique, à l’abri du monde, mais qui peut être aussi très étouffant… Écrire une comédie sur le sujet m’a paru salutaire.
C’est à la fois un film sur la résignation, l’acceptation de l’échec comme étape possible dans la vie d’un homme, ou comme nouveau départ, mais aussi un film sur la résistance à la normalisation. Ni Franck, ni Sybille (Léa Drucker) n’ont visiblement l’intention de se plier au système. Leur grain de folie leur permet de survivre dans un monde qui semble être sur le point d’exploser. Comment est née la collaboration avec ce formidable duo Marmaï/Drucker ?
Ronan Le Page: Pio, que j’avais trouvé extraordinaire dans Maestro de Léa Fazer, s’est imposé très vite. Il avait le tempérament du personnage. C’est en voyant Le Bureau des légendes que j’ai imaginé Léa en Sibylle. Particulièrement dans une scène où elle faisait preuve d’une autorité glaçante face à Mathieu Kassovitz. Avec les comédiens, notre plaisir était de faire les prises les plus différentes possibles, d’aller dans des directions de jeux très opposées, de sorte à créer des personnages vraiment surprenants. Je pouvais demander à Léa de dire une réplique de façon cinglante et la prise suivante dans un sourire, et cela créait un effet très étonnant. Et bien que le film soit très écrit, nous nous sommes autorisés des moments d’improvisation. Léa et Pio sont très forts pour ça. Nous tournions la scène telle qu’elle était écrite puis, nous nous en écartions … beaucoup. Parfois, cela marchait, parfois non. La scène où Léa raconte son cauchemar chez l’antiquaire, par exemple, est complètement improvisée. Elle insuffle quelque chose d’imprévisible à cette séquence, une folie supplémentaire.
Chacun des membres de cette micro-société muséale s’accroche à une passion pour survivre : la danse, la méditation… Une passion qui rejoint la folie des protagonistes. Aviez-vous la volonté de « queeriser » ce lieu, le musée, qui est par excellence un lieu figé ?
Ronan Le Page : Il y avait en tout cas le désir d’accompagner des personnalités un peu barrées et fragiles qui font ce boulot pour souffler. Le musée les protège de la violence du monde extérieur, mais ils redoutent d’y étouffer ou d’y végéter. A travers eux, Franck revit ses angoisses. Ce sont un peu ses doubles. Tous ont une part de drôlerie, de dinguerie et de générosité qui fait qu’on les regarde avec humour. Je tenais à dessiner un parcours à chacun d’eux. Je voulais qu’on s’y attache.
Le film est parsemé de références et citations cinématographiques. On peut y voir quelque chose des comédies de Woody Allen ou de la « Screewball Comedy » américaine des années 30, mais on pense aussi au « cirque volant » des Monty Python et aux comédies humanistes de Pierre Salvadori…
Ronan Le Page : J’ai puisé mes références surtout dans le cinéma français. J’ai toujours été friand des comédies qui traitent de la difficulté de vivre ou du sentiment d’être inadapté. Les films de Pierre Salvadori me touchent beaucoup pour cela, et plus particulièrement Les Apprentis. Je pensais aussi à L’Effrontée et à La Petite Voleuse, de Claude Miller, dont j’aime le mélange de légèreté et d’âpreté ; et aux héroïnes de Jean-Paul Rappeneau – Le Sauvage m’a notamment guidé dans la construction de la relation entre Franck et Sibylle. Et je tenais à intégrer des touches d’étrangeté et de bizarrerie, que l’on retrouve dans les séquences d’hallucinations par exemple. Mon envie était de teinter la comédie d’angoisse.
Le film porte aussi une réflexion décalée et ironique sur le milieu de l’art contemporain, et notamment sur le théâtre contemporain. Pourquoi ce choix ?
Ronan Le Page : Cela m’amusait surtout de dresser le portrait d’un artiste en surchauffe qui a l’impression de révolutionner le théâtre alors qu’il épuise tout le monde, que ce soit son équipe, ses comédiens ou le public. Je voulais qu’on découvre un personnage complètement hystérique, égocentrique et survolté. Le voir ensuite tenter de rentrer dans le rang et jouer les gardiens de musée me semblait d’autant plus savoureux. Le spectateur n’est pas dupe et guette le moment où le vernis va craquer.
Au bout du compte, l’amour et l’improvisation semblent l’emporter sur tout, y compris sur l’art…
Ronan Le Page : Ce qui sauve mes personnages, c’est la fiction. Franck transmet à Sibylle son goût du jeu, de théâtre, de la mise en scène. A son contact, elle se découvre actrice : c’est en s’inventant des personnages qu’elle se libère enfin. C’est cette fantaisie qui les unit à la fin.
Propos recueillis par Manuel Billi.
Je promets d’être sage, réalisé par Ronan Le Page. Avec Pio Marmaï, Léa Drucker, Mélodie Richard … Durée : 1H32. En salles le 14 août 2019. FRANCE.