Festival de Saint-Jean-De-Luz, l’invitée du jour : Épisode 3
Combattante dans Sœurs d’armes de Caroline Fourest qu’elle défend contre vents et marées, Camélia Jordana forme un couple inédit avec le comédien Guang Huo dans La Nuit venue, premier long métrage très réussi de Frédéric Farrucci, présenté en compétition au Festival de Saint-Jean-De-Luz. Avec elle, nous avons évoqué cette plongée dans les milieux de la mafia chinoise parisienne, le film de genre, ses choix d’actrice et l’engagement de l’âme et du corps.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le scénario de ce premier long métrage de Frédéric Farrucci et dans le personnage de Naomi, danseuse et escorte ?
Camélia Jordana : La première chose qui m’a plu c’est le scénario, je n’avais jamais lu ça. C’est très singulier et c’est venu me parler à un endroit très intime, celui de la politique. Frédéric (Farrucci le réalisateur, NDLR) remet en question une certaine forme de fatalité et le fait de s’intéresser à la communauté asiatique était excitant et rare, qui plus est au cinéma. Le fait qu’on dise “communauté asiatique” alors qu’on ne parlerait jamais de “communauté européenne” veut déjà tout dire ! Dans le scénario, c’est le côté politique qui m’a vraiment bouleversée, et, dans ces nuits, il a chopé quelque chose de nos intimités solitaires par rapport à la nuit parisienne. La nuit à Paris, d’humain à humain, c’est dur, cela renvoie à un sentiment d’impuissance permanent. Le fait qu’il ait réussi à filmer ça, grâce au talent du chef opérateur Antoine Parouty, avec une certaine neutralité, c’est fou. Pour ce qui est du personnage de Naomi, cela m’a vraiment touché qu’il accepte de me recevoir pour la simple et bonne raison que, généralement, on ne penserait pas à une fille comme moi pour un rôle comme celui-là. C’est rare et intelligent de la part d’un réalisateur ou d’une réalisatrice de vous voir pour ce que vous n’êtes pas ! Pour être honnête, c’est la première fois que ça m’arrive même si j’ai fait des films que j’aime. J’ai toujours été la battante, celle qui apporte de la lumière, là j’étais un peu plus féline, plus mante religieuse ! Il fallait qu’elle pique, qu’elle soit mystérieuse. Il a vraiment eu du boulot, Frédéric n’a pas lâché mais je suis ravie car j’adore le résultat. Et puis il y avait quand même de la pole dance !
Il y a effectivement un engagement du corps dans cette scène de danse …
Camélia Jordana : J’ai adoré ça ! La scène allait plus loin à l’écriture mais Frédéric est la pudeur incarnée, tout comme Guang qui vient de cette culture chinoise où tout est honneur et respect, avec une forte présence du non-dit. J’ai adoré que cette fille-là se prenne à son propre piège. On l’imagine enfermée et, en même temps, professionnellement très ouverte. Et c’était génial de répéter le pole dance pendant des semaines, d’être à la diète en se disant “je vais faire un strip !”. Quand je serai grand-mère, je pourrai dire à mes petits-enfants “Regardez comme Mamie a été bonne !” (rires). L’endroit est minuscule, c’est une boîte à musique. Rien n’est vulgaire, c’est plutôt berlinois et pictural plus qu’érotique, quelque chose de l’ordre de l’affirmation. La lumière vient taper sur les fesses juste au bon endroit pour que cela soit beau et élégant. C’était un défi mais quand je suis avec ma casquette de comédienne, je pars du principe que je suis une autre femme. J’ai un principe de déconnexion avec mon corps que j’arrive à appliquer sur un plateau et qui m’épate moi-même !
Quand on suit votre carrière de comédienne, on se dit que vous n’avez jamais fait deux fois la même chose, il y a chez vous un goût conscient du défi permanent ?
Camélia Jordana : Déjà cela me fait plaisir que vous me disiez cela ! Oui, c’est un vrai choix et je suis heureuse que cela soit visible. J’ai un luxe : je viens de la musique et le cinéma est arrivé un peu comme un cadeau dans ma vie. Du coup, j’ai la chance de pouvoir attendre à chaque fois LE rôle. Mais je suis dans l’attente parce que maintenant je suis piquée ! Quand je suis en studio j’ai envie d’être en tournage et inversement. Je suis dans le prochain film d’Emmanuel Mouret, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, avec Niels Schneider, qui est un acteur que j’adore, Vincent Macaigne, mon rêve d’ado ! Il y aussi Émilie Dequenne et Guillaume Gouix mais, malheureusement, je n’ai pas de scène avec lui. Et j’ai fait aussi une comédie avec Noémie Saglio cet été aux côtés de Vincent Dedienne, joie et bonheur, passion de ma vie ! Cela s’appelle Parents d’élève et c’est avec toute une troupe de super comédiens, une team de l’espace avec un vrai niveau de jeu.
Propos recueillis par Ava Cahen et Franck Finance-Madureira