Sobre, sombre et actuel, Noura Rêve de Hinde Boujemaa est un drame tunisien (coproduit par la France et la Belgique) qui bouscule. Noura attend que son divorce soit prononcé pour enfin vivre son amour avec Lassad et quitter Jamel, son mari incarcéré et père de ses trois enfants. Malgré quelques phases un peu flottantes en termes de récit, ce film-portrait d’un femme qui aspire à suivre son instinct et ses sentiments dans une Tunisie rétrograde sur les questions de mœurs séduit par la puissance de son sujet, de sa mise en scène et l’interprétation saisissante de Hend Sabri. Nous avons rencontré la comédienne, star du cinéma tunisien et égyptien, lors de son passage à Paris.
FrenchMania : Vous êtes une superstar dans le monde arabe et vous tournez énormément, qu’est-ce qui vous a séduit dans le propos de Noura Rêve ?
Hend Sabri : Dans le monde arabe oui, mais il faut rester modeste ! Les personnages de femmes dans les films du Moyen Orient restent un peu stéréotypés. On ne plonge pas vraiment dans la psychologie féminine ce qui me frustre en tant que comédienne. Je suis à un âge où j’ai accumulé une petite expérience de vie et je veux parler des femmes de mon âge, je n’en ai pas souvent l’occasion. En l’occurrence, ici, oui ! Bien sûr que c’est un film sur l’amour, sur l’adultère et sur le droit qu’on a en tant que femme d’aimer un autre alors qu’on est encore engagé dans une relation. Il y a ces questionnements mais il y a aussi un questionnement plus intime, celui d’une femme qui est à un carrefour de sa vie, les enfants grandissent, le mari ne sert plus à grand-chose, il est un poids. Quand arrive cet amour un peu imprévu qui laisse la place au rêve, toute femme passe par ça.
Le rêve du titre, ce n’est pas forcément son amant qui n’est finalement pas si différent que ça de son mari …
Hend Sabri : Exactement ! Le rêve c’est de suivre ses désirs. Le fait de savoir si une femme a le droit de suivre ses désirs, c’est une question qui se pose partout, pas exclusivement dans le monde arabe. C’est fondamental ! Une femme ne peut pas changer de vie aussi facilement parce qu’elle est la gardienne d’un temple, celui de la famille, et la société ne le tolère pas de la même façon que pour un homme.
Le film parle aussi de la façon dont la condition de la femme évolue. Est-ce que les changements ont été notables suite à la révolution tunisienne ?
Hend Sabri : La condition de la femme en Tunisie a été peut-être celle qui n’a pas vécu un vrai bouleversement en Tunisie. La société civile tunisienne reste encore farouche quant aux droits et la défense de ceux-ci. La femme tunisienne n’a pas été ébranlée par la révolution de 2011, on s’est un peu endormi sur nos lauriers. Et on ne peut plus s’endormir sur nos lauriers quand ceux-ci sont fait d’épines ! Il faut que nous devenions de vraies combattantes quant à nos droits. La société reste conservatrice, et l’est même de plus en plus. Je fais partie d’une génération de femme tunisienne qui a connu, enfant, la fin de Bourguiba, puis Ben Ali, et depuis 2011 une succession de gens au pouvoir, mais la position de la femme tunisienne reste inchangée. Avec des films comme celui-là, on va pouvoir mesurer les avancées de la société tunisienne par rapport à des questions de liberté de la femme quant à l’héritage, le divorce, … Les débats sont d’actualité.
Le film se différencie par sa volonté de montrer une Tunisie sans cliché, il n’y a pas d’exotisation, pas de soleil, …
Hend Sabri : Pas de folklore ! C’est gris, on pourrait être à Paris. Les choix artistiques visuels, de mise en scène et de lumière étaient déjà précis à la lecture du scénario. Elle voulait une image épurée, sans lieu commun tunisien ou maghrébin comme on a pu le voir longtemps dans un cinéma de la génération précédente, avec sa lumière, ses couleurs, ses musiques. Ce n’est pas un jugement mais là, on est dans une modernité, avec des personnages qui parlent comme dans la vie, comme la rue. Vos ne vous en rendez peut-être pas compte mais c’est parfois très vulgaire et c’est un peu du jamais vu dans le cinéma tunisien ce langage cru ! On s’attend à ce que ça fasse parler en Tunisie ! Et puis il y a beaucoup de moments en huis-clos : à la laverie, au commissariat et dans la maison qui est très réaliste. Cette maison avec son frigo toujours plein nos a vraiment immergés dans une réalité, un peu glauque parce qu’on est dans une classe prolétaire, qui souffre. La souffrance ne vient pas que de l’histoire mais de la situation socio-économique de cette femme qui gère tout : faire la bouffe pour son mari en prison, y emmener ses enfants ce qui n’est jamais très agréable, avec en fond cette question de comment elle va finir le mois. Ca parle d’une Tunisie qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma et c’est important parce que la Tunisie a souvent souffert de ne pas être vue comme elle est, d’être disséquée.
Ce sentiment d’urgence qu’on ressent à la vision du film était tangible sur le plateau ?
Hend Sabri : On a tourné vite parce qu’on n’avait pas beaucoup de moyens. Cinq semaines avec peu de décors et sans maquillage si ce n’est quelques mèches blondes. C’était presque clandestin, il n’y avait aucun chichi : une caméra très proche des acteurs et un film construit presque comme un thriller. Il y a beaucoup de plan séquences également comme la scène du commissariat qui, elle, a été tournée avec deux caméras et qu’on a répétée pendant plusieurs jours. Au final, un travail proche du théâtre avec de l’improvisation, des entrées dans le champ, des passages hors-champ sans coupure, c’est toujours génial pour un acteur ! Il y avait une alchimie entre nous tous.
Quand on vous voit dans ce film, on se dit que le cinéma français va commencer à s’intéresser à vous plus sérieusement !
Hend Sabri : Pourquoi pas ! Il y a plein de gens que j’aime beaucoup ici. J’aime beaucoup Juliette Binoche, elle a un parcours exceptionnel. J’aime aussi Isabelle Huppert. J’aime leur universalité, leur façon de tourner avec des metteurs en scène américains, japonais, suédois, … J’aime cette liberté et je m’y retrouve parce que je ne tourne pas souvent dans mon pays. En Tunisie on ne peut pas vraiment vivre de ce métier, je vis et travaille essentiellement en Egypte. Ce ne sont pas que des chefs d’œuvre, je le reconnais aisément, mais la pratique et l’expérience nourrissent. Ce métier ne s’apprend pas à l’école, mais sur la tas, avec des gens et devant des caméras. La France, l’Europe, pourquoi pas mais je ne suis pas cliente des films et des personnages construits sur le côté ethnique plus que sur l’humain, je ne veux pas être l’Arabe de service ! J’ai toujours eu un peu peur de ça mais cela s’ouvre et je suis très fière de cette génération, des acteurs comme Roshdy Zem par exemple, qui font bouger les lignes, on leur doit beaucoup ! Je suis en écriture d’une histoire qui m’est propre et je pense que je vais y arriver, je ne me mets pas de pression !