Ainsi passe la gloire de ce monde
Tout commence avec des signes synchronisés d’espoir de vies meilleures : la naissance d’une petite Gloria et la sortie de prison de Daniel, son grand-père. Mais cette entrée en matière optimiste est trompeuse, Gloria Mundi est sans doute le film le plus désespéré de Robert Guédiguian. C’est comme souvent par l’immersion dans le cercle, pas si circonscrit que cela, de la famille que le réalisateur marseillais parle de l’état de la France et, globalisation oblige, du monde.
Entre ce nouveau-né et cet aïeul qui retrouve une liberté qui l’embarrasse, il y a non seulement des années de vie familiale manquée avec “remariage”, alliances et mésalliances, mais un changement de paradigme plus profond : le monde ne tourne plus rond, il a perdu ses valeurs essentielles et la violence sociale a infusé les destins et changé les êtres. Chez Guédiguian, le portrait de famille, qu’elle soit de fiction ou pas, s’impose comme préalable. Daniel (Gérard Meylan) avait eu en son temps la mauvaise réaction au mauvais moment et au mauvais endroit, il en a payé le prix incarcéré à Rennes. A Marseille, il retrouve une ville grise et son ex-femme Sylvie (Ariane Ascaride), femme de ménage sur les bateaux de croisières à quai. Daniel va également tenter de renouer avec sa fille Mathilda (Anaïs Demoustier) qui galère de CDD de vendeuse en CDD de vendeuse, et Nicolas (Robinson Stévenin), chauffeur Uber débutant. Et puis, il y a l’autre fille de son ex-femme, celle qu’elle a eu avec Richard (Jean-Pierre Darroussin), Aurore (Lola Neymark) qui fait, en quelque sorte, commerce de la paupérisation ambiante puisqu’elle tient avec Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet) un magasin qui rachète des objets d’occasion une misère pour les revendre après passage en atelier. Si ces deux-là sont chargés (et pas qu’à la coke), arrivistes, individualistes, libertins, et sans scrupules, ils ne sont que le symptôme de l’époque, se revendiquant “premiers de cordée”.
Les jeux d’influences, de pouvoirs relatifs et de survie sont au cœur de ce film, chronique-cocotte-minute sociale aux allures de film noir. Certains blâment déjà une éventuelle outrance, un jusque-boutisme dans les portraits à la serpe de ces figures-emblèmes d’un corps social en perdition, on n’y voit que pêché de manichéisme, de l’ordre de ceux qu’on pardonne aux idéalistes. Si Guédiguian enfonce le clou avec une férocité nouvelle, c’est pour faire mal, pour atteindre la chair et nous dire qu’il n’y a pas de demie mesure quand il est question de survie. Car, élément frappant dans Gloria Mundi, la noirceur du film n’est que le fruit d’un constat plus noir encore : l’idéalisme de combat collectif a vécu et a cédé la place à un individualisme presque inéluctable de survie. Le personnage d’Anaïs Demoustier, sans doute le plus désespéré du film, l’affirmera plus prosaïquement à son compagnon, encore emprunt d’un espoir qui confine à l’idéalisme : “Tu crois que j’ai le temps de t’aimer ?“. Le personnage de Sylvie aussi a baissé les bras s’opposant farouchement à ses collègues en grève dans une scène où excelle une fois de plus le mélange d’intelligence et de sensibilité qui font d’Ariane Ascaride une actrice si singulière.
Le monde tel qu’il va, qui humilie les pauvres, les dresse les uns contre les autres, Guédiguian refuse d’en prendre acte sans mot dire. A l’image de Daniel, alter ego naturel, qui plane sur le film comme un ange protecteur qui se muera bientôt en deus ex machina, il est celui qui sait que résister à l’injustice, implique parfois une certaine violence. Il n’a pas oublié que l’idéal c’est le bonheur simple et gratuit, comme celui de faire la planche dans la méditerranée en regardant le bleu du ciel, de partager avec humilité des haïkus naïfs, de se sacrifier par pure humanité.
Réalisé par Robert Guédiguian, avec Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Anaïs Demoustier, Jean-Pierre Darroussin, Robinson Stévenin, Lola Naymark, Grégoire Leprince-Ringuet – 1h47 – FRANCE-ITALIE – En salles le 27 novembre 2019 (Diaphana)