C’est lors du Festival d’Arras que nous avons rencontré Laurent Micheli, réalisateur de Lola vers la mer et sa comédienne principale, Mya Bollaers. Avec eux, nous avons parlé de la genèse de ce road movie très maîtrisé, des étapes du casting, des représentations trans à l’écran, de l’engagement politique que représentait ce projet mais également de Benoît Magimel, des César, de la Belgique, de la Californie, de la mort et de Six Feet Under.
Après un premier film qui se concentrait plutôt sur le groupe, pourquoi avoir eu envie d’aborder ce duo père-fille inhabituel ?
Laurent Micheli : Il n’y a pas eu de cheminement particulier qui me mène de l’un à l’autre mais je pense que je suis imprégné depuis longtemps par les questions LGBT, autour des minorités et de la transidentité. J’ai un appétit particulier pour les sujets ayant trait aux quêtes identitaires, c’est quelque chose qui m’anime en général, et, pour moi, le personnage de Philippe qu’interprète Benoît Magimel est tout autant en quête identitaire que celui de Lola qu’interprète Mya dans le film. J’ai eu envie de me saisir de ce sujet-là parce que j’ai vraiment envie d’utiliser le cinéma pour mettre en avant les personnes invisibilisées dans la société, c’était un désir très présent et quelque chose de plus politique. Et j’avais aussi envie de me replonger dans mon adolescence à moi en écrivant un personnage adolescent. C’est aussi une envie d’en découdre avec cette époque-là de ma vie, j’étais un peu comme Lola, contestataire, énervé, révolté par l’injustice du monde adulte, par le fait de ne pas trouver ma place ! J’étais peut-être mal dans ma peau mais j’avais envie de m’emparer de cela pour créer un personnage. Et la relation père-enfant, ici père-fille, c’est un champ dans lequel j’avais envie de me replonger car j’ai eu des rapports complexes avec mon père pendant un bon moment et que ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui ! Il y a de plus en plus de films sur la transidentité, et tant mieux, mais j’avais envie de le raconter avec mon regard, j’avais l’impression qu’il y avait encore des choses pertinentes à raconter.
Et l’envie du road movie était déjà présente dès le début du projet ?
Laurent Micheli : Après Even lovers get the blues, j’ai fait l’atelier scénario de la Fémis et, pendant le concours, il y a une épreuve qui consiste à écrire un synopsis complet de long métrage et des scènes dialoguées à partir d’une image ou d’une citation. L’image était celle d’un ponton sur la mer avec deux personnes au bout, c’est comme ça qu’est venue le road movie. C’est là que j’ai écrit la première de version de Lola, en quatre heures ! Finalement, le scénario est très différent de cette première version mais il y avait cette idée de trajet, de finalité, de cheminement. Le road movie, c’est toujours un voyage physique mais aussi spirituel, émotionnel et parfois un voyage dans le temps également, tout cela m’intéressait ! Quand on a proposé le film à différents festivals, on m’a souvent dit « On a déjà eu Girl l’année dernière, revenez dans 10 ans ! », c’est extrêmement choquant d’entendre ça, on a envie de leur demander s’ils diraient la même chose à chaque fois que Claude Lelouch revient avec une histoire d’amour hétéro ! Mais on nous l’a tellement dit ! C’est dingue ! Je n’ai pas envie de rentrer dans des polémiques parce que je pense que les films sur l’identité trans doivent s’additionner et non se soustraire, Girl est l’histoire d’une transidentité, il y en 1000 autres à raconter, elle ne fait pas jurisprudence. Cela nous raconte à quel point on est encore dans une société homophobe, transphobe.
Comment avez-vous abordé la question du casting ?
Laurent Micheli : Pour le rôle de Lola, je voulais absolument travailler avec une jeune fille trans, c’était une évidence dès que j’ai commencé à écrire. Je ne me voyais pas faire autrement par rapport à ce que j’écrivais et à ce que je souhaitais défendre politiquement. Ce n’est pas parce que j’estime qu’un acteur ne peut jouer que ce qu’il est, loin de là. Un acteur peut jouer beaucoup de chose et bien sûr ce qu’il n’est pas. Mais on est à une époque charnière, importante, où il faut veiller à ce que les minorités se réapproprient leurs vécus, leurs histoires, cela fait partie de ma responsabilité de cinéaste de montrer ces personnes au cinéma et de les filmer. Ce sont des personnes souvent invisibilisées dans la société et j’ai envie de les filmer, de les filmer de près, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai choisi le format 4/3 ! Un format dédié au portrait et qui permet au spectateur d’oublier les décors, qu’il se concentre sur un visage, un corps, des émotions C’est le prendre en otage et lui dire : « Maintenant tu vas regarder celles et ceux qu’on ne voit pas » ! Le casting a donc été commencé très en amont, parce que je savais que cela n’allait pas être facile de trouver une jeune fille trans, actrice, qui potentiellement fait du skate ! On a commencé tôt, en France, en Belgique et en Suisse, via des directeurs de casting dans le monde de la francophonie. J’avais peur qu’on n’ait pas beaucoup de réponses et nous avons eu une quarantaine de candidatures de femmes trans, de personnes non-binaires ou en questionnement. Il y a eu de belles rencontres et nous avons choisi Mya et nous avons commencé à travailler.
Mya, comment avez-vous décidé de vous porter candidate pour le rôle ?
Mya Bollaers : Une de mes amies m’a parlé de ce casting mais je ne m’étais pas arrêtée dessus. Un dimanche, je m’ennuyais et je suis tombée sur l’annonce sur un réseau social. Ils demandaient des photos, une description et une vidéo. J’ai directement répondu et la directrice de casting m’a contactée le soir même. J’ai rencontré l’équipe à Bruxelles, puis à Paris. L’idée pour moi c’était l’expérience humaine, des rencontres intéressantes. Je n’ai jamais rêvé d’être comédienne mais j’ai fait un film !
Quel était le défi du personnage pour vous ? Comment êtes-vous allée vers Lola ?
Mya Bollaers : Merci de me poser la question car de nombreux journalistes font le raccourci et croient que comme je suis transgenre, je suis le personnage. Un journaliste a même dit que je n’avais pas eu besoin de travailler parce que j’étais le personnage alors qu’elle n’est pas moi du tout. J’ai des points communs avec Lola mais pas plus que n’importe qui d’autre en fait. J’ai travaillé avec deux coachs de jeu pour gommer mon accent, m’approprier mon corps, être à l’aise devant la caméra, apprendre à jouer avec quelqu’un. Avec des femmes d’abord et des hommes ensuite car j’avais du mal à être à l’aise avec les hommes. Et puis j’ai travaillé la démarche, le skate, …
Laurent Micheli : On a fait dans un premier temps un long travail à deux pendant de nombreux mois, il fallait qu’on se rencontre. Et il y a eu de nombreux cours de skate !
Mya Bollaers : C’était pas tant le skate qui me dérangeait que le milieu du skate qui me faisait un peu peur alors que tout le monde a été très sympathique.
Pourquoi avez-vous choisi Benoît Magimel et comment avez-vous travaillé ensemble ?
Laurent Micheli : C’est une idée de directeur de casting. Je n’étais pas sûr au départ de me sentir à l’aise avec la masculinité forte qu’il transporte mais c’était extrêmement pertinent pour le rôle. J’ai revu certains de ces films notamment La Tête haute d’Emmanuelle Bercot et cela m’a convaincu, car dans ce rapport éducateur et jeune garçon, je voyais beaucoup la générosité de l’acteur envers un autre acteur. Il fallait quelqu’un de patient, de généreux et de bienveillant. Avec l’âge, il a vraiment pris en complexité, en épaisseur, en couches. Il est papa dans la vie et il a ce truc à fleur de peau, fragile et maladroit d’homme blessé et cela correspondait vraiment au rôle que j’avais écrit. Ce n’est pas donné à tous les acteurs d’avoir cette palette-là ! Je n’ai pas eu à le convaincre, il a lu le scénario et a accepté tout de suite.
Mya Bollaers : Quand je l’ai rencontré à Paris, chez lui, il m’a offert un petit bracelet tibétain, symbole de la féminité et j’ai trouvé ça vraiment mignon de sa part ! J’avais vu plusieurs de ses films mais je ne me suis pas mis la pression. Il m’a vraiment tirée vers le haut sur les scènes et, parfois, la réalité et la fiction se rejoignaient et il fallait que cela soit un peu tendu entre nous.
Laurent Micheli : la fiction doit infuser un peu les acteurs parfois ! Benoît est quelqu’un de vraiment passionné par le jeu, il réfléchit beaucoup, me montrait de leçon de cinéma de Renoir sur YouTube, nous avons eu énormément d’échanges. C’est beau de voir un mec comme lui au travail alors qu’il fait ce métier depuis plus de 30 ans. Il est continuellement au travail et m’a inclus dans sa démarche en tant que directeur d’acteur. Je suis assez fier de ce qu’on a fait ensemble.
Il y a un travail très précis sur la cadre, un vrai sens esthétique, comment avez-vous travaillé la mise en scène ?
Laurent Micheli : On me parle souvent de Dolan, c’est un réalisateur que je suis et que j’aime beaucoup même si je n’aime pas tous ces films et qu’il n’est pas une influence directe sur Lola. Il est inspirant parce qu’il ose. Je viens du théâtre où les propositions formelles sont fortes et j’avais fait un énorme travail de recherches photographiques, j’ai dû balancer 600 photos à mon chef op sur les idées de décor, de personnages, de cadres et de lumières. J’avais amassé tout cela sur une dropbox pendant l’écriture. Il y avait la volonté d’aller à contresens de l’histoire qui peut être dure, glauque à la base, qui plus est dans une Belgique qu’on filme souvent dans la grisaille. J’avais envie de filmer la Belgique comme la Californie, de donner du peps, de la couleur, de la lumière à cette histoire et de faire du bien aux gens. Je crois que ma grosse référence c’est Six Feet Under, une série que j’adore et que j’ai vu trois fois ! Le rapport à la mort, aux enterrements, au deuil et aux personnages, c’est un chef d’œuvre et une leçon de dramaturgie. J’ai donné des références directes au compositeur de la musique du film dont il s’est bien inspiré. Il faut avoir envie de montrer et de filmer la Belgique différemment.
Mya, est-ce que cette expérience vous a donné envie de continuer dans ce métier d’actrice ?
Mya Bollaers : Je prends souvent les choses comme elles viennent sans trop penser à demain. Mais si d’autres opportunités se présentent à moi, j’y répondrai avec beaucoup d’envie et de plaisir. Après, j’ai conscience du monde actuel et je ne suis pas certaine que beaucoup de films sur la transidentité se présentent ni que des réalisateurs soient prêts à donner un rôle de femme cisgenre à une femme trans ! Ce sont des questions que je me pose mais je reste ouverte à ce qui peut arriver. Si ce n’est pas moi, peut-être que, dans 10 ans, cela sera quelqu’un d’autre !
Laurent Micheli : Le fait qu’une actrice trans soit pré-nominée aux César, c’est déjà énorme ! Je suis hyper fier de faire un peu partie de cette révolution !
Est-ce que vous avez l’impression par ce film intime et personnel d’avoir fait un acte politique ?
Laurent Micheli : Complètement ! Mais, en même temps, pour moi l’acte politique est multiple : il est dans le fait d’écrire une histoire avec un personnage principal trans, de donner ce rôle-là à une femme trans et de vouloir que ce film soit vu par tout le monde et que chacun puisse se projeter. Et je suis très heureux quand un spectateur me dit que l’histoire d’une fille trans à priori il n’en a rien à foutre mais que, finalement, il a chialé parce qu’il a été touché à des endroits insoupçonnés. Je suis fier d’ouvrir des portes à grands coups de pied ! Et c’est éminemment politique et j’ai besoin de faire un cinéma politique mais en faisant un vrai film de cinéma, pas un documentaire militant. L’idée c’est de choper le spectateur dans ce qu’il a de plus humain !
Mya Bollaers : Dès l’annonce du casting, j’ai trouvé la démarche chouette et cela m’a rassurée. J’ai eu la pression, j’ai eu peur de mal faire, de m’éloigner de la réalité des personnes trans. Évidemment, c’est politique que de laisser les minorités être au cœur de leurs histoires et de leurs vécus.
Laurent Micheli : Et ce n’est pas du tout gratuit comme choix, c’est un choix qu’il faut porter et défendre à tout moment. Quand on était, Mya et moi, écrasé par la trouille, je lui disais « Rappelle-toi de pourquoi on fait ça ! » et cela nous redonnait un boost. Sans vouloir s’imposer porte-parole de quoi que ce soit, il fallait qu’on se dise qu’on faisait quelque chose de plus grand que nous.
Mya Bollaers : Cela me faisait peur de na pas être « une bonne représentante » et de me mettre en danger en m’exposant mais au moins je faisais quelque chose qui avait du sens pour moi.