Lors de la dernière édition du Festival International du Film de Marrakech, nous avons pu rencontrer le réalisateur palestinien Elia Suleiman, venu présenter It Must Be Heaven en séance spéciale. Le film est toujours en salles en France. Interview express du cinéaste.
Dix ans séparent Le temps qu’il reste, votre précédent long métrage, de It Must Be Heaven. Entre temps, vous avez réalisé un des chapitres du film choral 7 jours à la Havane. Mais pourquoi une si longue absence ?
Elia Suleiman : Penser et faire un film, c’est long. Trouver la bonne idée, la bonne entrée, et la coucher sur papier, ça ne se fait pas d’un claquement de doigts. Je fais des films – peu c’est vrai – en partant toujours d’observations, et je construis un récit autour de celles-ci. Mais ce temps conséquent dont vous parlez n’aurait pas dû être si conséquent. J’ai toujours eu du mal à trouver des financements pour mes films, ou, en tout cas, des producteurs prêts à me suivre au moment où j’en avais besoin. La réalité est là.
C’est pour cela que vous avez donné un rôle dans la dernière partie du film à Vincent Maraval et Nancy Grant, tous deux producteurs ? A des fins ironiques ?
Elia Suleiman : J’ai travaillé avec Vincent, donc c’était un clin d’œil, quant à Nancy, elle m’a été recommandée. Mais les rôles qu’ils jouent sont à des années lumières de ce qu’ils sont dans la vie. Ce sont ici des personnages de comédie, et les curseurs sont poussés, forcément, même si ces séquences renferment une réalité, comme par exemple le fait qu’on attende d’un réalisateur palestinien qu’il fasse un film qui correspond à la vision stéréotypée que le marché et les producteurs ont du cinéma palestinien. C’est absurde.
Romain Gary a écrit : “L’humour est l’arme blanche des hommes désespérés”. Vous partagez cette idée ?
Elia Suleiman : Je ne touche pas aux armes, mais l’humour est, je crois, salvateur, surtout pour quelqu’un comme moi qui, comme la plupart de mes camarades palestiniens, ne se sent chez lui nulle part. Les villes que je traverse dans le film sont des endroits que je connais bien, et c’était nécessaire pour bien capter l’humour et l’atmosphère qui leur est propre. Il y a peu de dialogues dans le film, parce que je pense que le langage peut compliquer les choses et que, finalement, les images se suffisent souvent à elles-mêmes. C’est la situation qui joue, et que je travaille de manière burlesque pour faire exister grossièrement les aberrations. L’humour peut être un outil politique, comme le silence, qui a une place évidente dans mes films, peut revêtir lui aussi un caractère militant.
Votre film se déroule en effet dans trois villes, Nazareth, où vous êtes né, Paris, où vous vivez, et New York, où vous avez vécu. Ces trois villes partagent selon vous la même tentation : la militarisation ?
Elia Suleiman : Oui. Si on regarde bien, la guerre est présente dans presque chaque coin du monde. Le film parle d’une violence qui s’est en effet mondialisée. La présence de la police et des armes à feu font partie de notre quotidien, et ça provoque autant de tension que d’anxiété. Le film décline des instants banals, en marge des grands sujets comme on dit. Ce qui reste habituellement hors champ, je le ramène dans le champ pour le dire simplement.
It Must Be Heaven, en salles depuis le 4 décembre 2019. QATAR – FRANCE – CANADA.