Si Sandor Funtek est le héros et la grande révélation de K Contraire de Sarah Marx, en salles depuis hier, Sandrine Bonnaire incarne sa mère dépressive avec conviction. Leur rencontre à l’écran est chargée d’émotions : du rire, des larmes et surtout une sincérité désarmante dans le regard que chacun porte sur l’autre, nous en avions discuté dans le cadre convivial du Festival de Saint-Jean-De-Luz.
Comment vous êtes-vous retrouvés tous les deux sur ce premier film de Sarah Marx, produit par Ekoué Labitey et Hamé Bourokba de La Rumeur ?
Sandor Funtek : On s’était rencontré une première fois sur un épisode de Capitaine Marleau, je m’étais fait pourrir par la réalisatrice Josée Dayan et Sandrine m’avait rassuré pendant un retour en voiture, en me disant de ne pas m’inquiéter. Elle avait été très bienveillante.
Sandrine Bonnaire : Il jouait mon amant, c’est ça qui est drôle. Là, c’est mon fils dans le film (Rires) !
Sandor : Œdipe me poursuit, tout le temps ! On s’est revu à une terrasse de café, dans notre quartier commun, et à la manière dont elle m’a fait la bise, je savais que le courant passait.
Sandrine : Pour K Contraire, j’ai croisé Ekoué à 3h du mat’ une nuit, il m’a dit qu’il m’aimait beaucoup en tant qu’actrice et il a demandé mes coordonnées à une maquilleuse que je connais un peu et qui a travaillé sur Les Derniers parisiens et qui me disait beaucoup de bien d’eux. Il m’a rappelé en me disant : “T’es une fille bien parce que tu n’as même pas peur quand tu croises un black à 3 heures du matin et ça, ça me plaît !“. J’ai ensuite rencontré Ekoué avec Hamé, puis Sarah avec qui le courant est très vite passé.
Sandor : C’est une vraie team du 18ème, mon quartier, et je connaissais tout ceux qui étaient dans leur film précédent. C’est un quartier très éclectique avec autant d’artistes déchus et d’alcolos entretenus par les gars du quartier, que d’artistes influents, de prolos et de bourgeois. Du coup, le langage du film, la façon qu’on a de parler vient de là. Ekoué Labitey et Hamé Bourokba, ce sont des mecs qui ne m’ont jamais infantilisé, ils m’ont toujours parlé d’égal à égal, ils font partie de mes mentors. J’avais une petite scène dans Les Derniers parisiens, et ils m’ont emmené sur ce projet en me disant de ne pas m’emballer, qu’il fallait que je rencontre la réalisatrice. J’ai rencontré Sarah, ça a matché direct et la semaine suivante elle me rappelait en me disant qu’elle n’allait pas me faire attendre, pas faire passer d’essai et que j’avais le rôle d’Ulysse.
Est-ce qu’il y avait sur le plateau cette énergie que l’on ressent à la vision du film ? Est-ce qu’un premier film comme celui-là nécessite un engagement plus fort ?
Sandrine : Carrément ! On riait beaucoup ! Notre première scène ensemble, je ne sais plus ce que Sarah m’avait demandé de faire et j’ai fait une espèce de mimique qui les a fait marrer et c’est parti en fou rire. C’était très joyeux et très dynamique avec une équipe assez jeune. Sarah ne voulait pas éclairer ou très peu afin de pouvoir tourner à 360 degrés et cela donne une autre façon de jouer avec son corps. Elle nous a vraiment laissés libre de nos déplacements. Sur l’engagement, je dirais pas plus que sur un autre film parce qu’il faut être engagé à chaque fois mais là, on avait envie d’y aller plus, face à l’énergie de Sarah, des gars et de celle de Sandor. Pour moi cela a été un nouveau souffle, il n’y a pas de fioritures. Je joue avec la gueule que j’ai, ma gueule du moment, il n’y a pas de joli éclairage. L’engagement est plus vis-à-vis de moi-même : montrer un visage tel qu’il est, parfois très marqué et pas magnifié. Si j’ai une sale gueule et bien j’ai une sale gueule, ça tombe bien, je joue une femme déprimée ! Je joue avec tout ce que je suis.
Sandor : Et presque chaque chef de poste était sur son premier poste. La costumière avait 22 ans ! Il y avait de la générosité et du partage, aucune frustration. J’ai vraiment eu de la chance car je tourne toujours avec des actrices comme ça ! Avec Trine Dyrholm sur Nico 1988 c’était incroyable aussi. Mais le film était aussi très écrit. Ce langage je l’ai adopté depuis que je les connais, il y a une espèce de gouaille, de culture de l’accent parigot, des expressions, et même du verlan qui n’est pas celui qu’on entend en cité mais une version qui est pour moi aussi belle que le beau français. il n’y pas eu d’impro sur les dialogues même si on peut avoir cette l’impression. Leur cinéma et celui que Sarah a voulu faire c’est “one take” ! la bonne prise ! On cherche un peu l’accident, le “dirty” de chaque scène pas la chose clinique mais le texte, c’est le texte. Après si tu as quelque chose de mieux à dire, dis-le !
Sandrine, maintenant que vous êtes réalisatrice, est-ce que vous abordez les premiers films différemment, avec un autre œil ?
Sandrine : Ce qui est chouette chez Sarah, c’est qu’elle nous fait participer à la mise en scène. Ce n’est pas une fille qui te dit “Moi je suis la réalisatrice et toi tu es l’actrice“. Au contraire, elle sait que j’ai fait des films alors elle me demandait mon avis sur certaines scènes. Je suis contente de ses choix suite à nos conversations sur la mise en scène. Il y a des plans qui racontent en une image la détresse des deux personnages, notamment Ulysse qui continue à vivre, même dans ses efforts physiques pour ne pas craquer.