Liberté, chérie !
Raconter l’histoire d’un personnage féminin affirmant son désir était déjà le sujet du premier long métrage de Lucie Borleteau, Fidelio, l’odyssée d’Alice (2014). Dans le milieu très masculin de la marine, Alice, mécanicienne, incarnée par Ariane Labed, explorait sa liberté sexuelle et les questions de fidélité amoureuse. Dans À mon seul désir, la sexualité devient le cadre-même du film. Aurore (Louise Chevillotte) ose pousser la porte d’un cabaret érotique éponyme. Curieuse, l’étudiante va quitter son petit job de caissière pour assumer celui de strip-teaseuse dans ce théâtre burlesque d’effeuillage. Pour nous faire pénétrer dans ce lieu atypique, la réalisatrice impose une distanciation romanesque avec cette « histoire de quelqu’un qui a osé ». Se déshabiller est un travail et un jeu, que Mia (Zita Hanrot) – qui va initier Aurore – comédienne débutante peut exercer de manière rémunérée en attendant d’être repérée. Si cette dernière le cache à son petit ami, Aurore va y voir la liberté d’explorer son corps, de la même manière que Catherine Deneuve, dans Belle de jour de Buñuel, bourgeoise sans jouissance va découvrir le trouble dans une maison close. Le plaisir ressenti par Aurore la conduit, elle aussi, à se prostituer avec une autre de ces camarades (interprétée par l’incroyable Laure Giappiconi). Lucie Borteleau ne donne jamais de leçons, et s’abstrait de toute forme de morale. Dans À mon seul désir, tout est une question de regard, celui avec lequel la réalisatrice observe cette jeune femme, ces femmes qui regardent ensemble leurs corps nus avec bienveillance. Mais aussi le parti-pris d’adopter leur point de vue à elles, de se placer de leur côté, de la libre disposition de leur corps et de leur joyeuse sororité, empêche tout voyeurisme. Le film nous place dans une situation, ou si des images dérangent certains, c’est qu’elles nous renvoient à nos propres visions des représentations du sexe, du strip-tease, de la prostitution… Véritable cas pratique du « female gaze », les hommes ici ne sont que des personnages faire-valoir des femmes. Autour de cette superbe bande de filles, une ribambelle de comédiens apparaissent dans des petits seconds rôles : Melvil Poupaud, Timothée Robart, Félix Maritaud, Raphael Quenard ou encore le réalisateur de documentaires Frédéric Wiseman ici spectateur – dont la présence cinématographique semble amuser les réalisatrices françaises après son apparition en gynécologue dans Les Enfants des autres de Rebecca Zlotowski. Mais ce qu’ose Aurore – et donc la cinéaste – avec À mon seul désir, c’est placer l’intimité ailleurs que dans la sexualité. Le film se transforme en romance lesbienne entre les deux principales effeuilleuses, inversant finalement les codes du film romantique, le sexe n’est plus ici la concrétisation de la rencontre intime, mais ce sont bien les sentiments amoureux partagés entre deux femmes.
Réalisé par Lucie Borleteau. Écrit par Lucie Borleteau et Clara Bourreau. Avec Zita Hanrot, Louise Chevillotte, Melvil Poupaud, Thimothée Robart…1h57 – En salles le 5 avril – Pyramide Distribution.