Il est déjà l’un des jeunes comédiens français les plus demandés dans le monde. En quelques rôles, Adam Bessa a montré qu’il pouvait être aussi à l’aise dans des blockbusters américains que dans des films indépendants en France ou, ici, en Tunisie. Dans Harka, il est absolument incroyable d’intensité et son incarnation de ce jeune homme qui tente de survivre dans une Tunisie post-révolution lui a valu le prix d’interprétation du jury Un certain regard à Cannes ainsi qu’au Festival de Saint-Jean-de-Luz. Pour FrenchMania, il revient sur ses débuts, sa jeune carrière, sa méthode et ses projets.
Quel a été votre parcours jusqu’à Harka ?
Adam Bessa : J’ai fait pas mal de choses après mes études de droit, j’ai travaillé comme agent immobilier et puis comme poissonnier à Marseille. Dans ce métier je suis un peu autodidacte, j’ai commencé par faire un court métrage avec des personnes que j’avais rencontrées et c’est là que j’ai été repéré par Sofia Djama pour passer le casting de son film Les Bienheureux (2017). J’ai ensuite été parmi les révélations des Césars et j’ai signé avec un agent. Mais je n’étais toujours pas sûr que j’allais vraiment passer du côté professionnel, je voyais ça comme une passion mais je continuais à être poissonnier parce que je pêche depuis tout petit et que la mer est aussi une passion. J’avais vu pas mal de copains ne faire qu’un film et ramer ensuite à Paris. J’ai continué les auditions et, après un grand casting international, j’ai décroché le premier rôle de Mosul (sorti en 2020 sur Netflix, NDLR) et tout a changé ! Le film était la première production des frères Russo qui ont réalisé des Avengers. Ils cherchaient à faire un film avec le scénariste de The Kingdom sur la guerre en Irak mais du point de vue des Irakiens, le premier film américain en langue arabe avec des protagonistes arabes. C’est l’anti American Sniper d’Eastwood. Le film a fait son avant-première à Venise mais, avec le covid, le film est finalement sorti sur Netflix. A partir de là, j’ai commencé à enchaîner les films américains et à jouer aussi dans des films français, j’ai pris confiance.
Harka est arrivé au bon moment ?
Adam Bessa : Oui complètement. Je suis d’origine tunisienne mais je n’avais encore jamais tourné de films en Tunisie. Harka rassemblait tout ce que j’imagine de mieux dans le métier d’acteur et notamment la relation avec le réalisateur. C’est un film centré sur un personnage qui existe vraiment, un vrai personnage de cinéma. Et j’ai été touché par la complexité et l’intensité de ce mec, j’ai même pleuré en lisant le scénario. C’est rare. En discutant avec le réalisateur qui a grandi aux Etats-Unis et qui est fan de Taxi Driver, j’ai compris ce qu’il voulait faire : un drame contemporain qui parle à toute une génération et dans tout le Maghreb. Pour moi, il n’y a pas besoin d’être Tunisien et d’avoir vécu la révolution pour être légitime et raconter cette histoire. Quand on est un artiste, seul l’honnêteté, la sincérité et le travail compte. Un regard extérieur, c’est toujours intéressant, notamment en termes de mise en scène. J’ai grandi entre la France et la Tunisie et il y a vraiment eu une grande complémentarité entre Lotfy (Lotfy Nathan, le réalisateur de Harka, NDLR) et moi. Il voyait des choses que je m’étais habitué à voir et que je ne voyais plus. On a inventé de nombreuses scènes ensemble, liées à mes souvenirs ou à son regard. Tout cela a apporté quelque chose de très organique au film et sa mise en scène a vraiment travaillé sur l’idée de rendre important un personnage qui ne l’est pas aux yeux des autres.
Vous avez eu besoin de vous remettre dans le bain tunisien pour travailler ce personnage ?
Adam Bessa : Oui parce que le personnage n’a pas grand-chose à voir avec d’où je viens et qui je suis. Il est solitaire ce que je ne suis vraiment pas, il vient d’un milieu rural gangréné par la contrebande que je connais peu et il a un dialecte particulier que j’ai dû apprendre. J’ai passé quelques semaines seul à Tunis pour me remettre dans le bain et préparer le tournage. Je me suis enfermé pendant deux semaines pour me confronter à la solitude et expérimenté la vie de ces jeunes qui boivent beaucoup le soir après le travail, qui parlent de leurs vies. Et c’était intéressant de voir comment on se comporte sous 50 degrés après quelques bières, je voulais connaître les réactions de mon corps. Ma démarche dans le film est inspirée de cette sensation de gueule de bois sous un soleil intense, il y a quelque chose de l’ordre de la machine, du robot, avec le bruit incessant de la circulation et des klaxons qui est aussi éprouvant que celui des hélicos dans Apocalypse Now ! Il fallait aussi que j’entraîne mon regard à soutenir la luminosité sans lunettes de soleil car j’ai remarqué, que dans ces régions du sud de la Tunisie, les gens avaient des regards perçants même quand le soleil était au zénith. Il y a toujours un travail intellectuel avec le metteur en scène pour comprendre le personnage et les enjeux mais j’ai besoin d’une expérimentation physique très organique pour construire un personnage. Après, le tournage est un vrai moment de concentration, j’ai essayé de ne pas trop me mélanger, d’entretenir une certaine solitude. C’était aussi ma façon de respecter mon personnage. C’est un peu inspiré de l’Actor’s studio ou de méthodes russes ou asiatiques. Les Iraniens travaillent beaucoup comme ça, j’en ai parlé avec Golshifteh Faharani.
Harka vous a valu le prix d’interprétation d’un certain regard à Cannes et, plus récemment, au festival de Saint-Jean-de-luz. Dans ces cas-là on se dit qu’on a bien fait son travail ?
Adam Bessa : Je me dis en tout cas que ma méthode semble être la bonne même si je me suis fait virer d’une école de théâtre à Paris quand j’ai voulu tenter d’apprendre. On me disait toujours qu’il fallait partir du texte mais, pour moi, cela ne fonctionnait pas. J’ai une passion pour des acteurs tels que Trintignant ou Annie Girardot, je les trouve très forts en termes d’incarnation physique. En fait, j’ai commencé à jouer à une période où les comédiens issus de l’immigration n’étaient pas encore très présents. J’ai l’impression que cela change, que nous sommes de plus en plus nombreux et très différents. Pour ne revenir aux prix, oui, ça fait vraiment plaisir et cela me donne l’impression que mon travail paie même si, je pense et j’espère qu’on n’en voit pas les coutures. C’est vraiment énorme de faire vivre et exister un personnage. Enfant, on ne se dit jamais qu’il y a un mec, Charlie Chaplin, derrière Charlot, on voit juste le personnage. Le public est intelligent puisqu’on joue tous un peu un rôle dans la vie, donc ils sont affutés. C’est pour ça que pour moi le défi est d’aller très loin pour qu’ils se laissent prendre et croient à la réalité du personnage.
Quels sont vos projets ?
Adam Bessa : J’ai tourné Le Prix du passage de Thierry Binisti avec Alice Isaaz (sortie en avril 2023, NDLR) qui était présenté à Angoulême cet été. Ensuite, j’ai tourné un très gros blockbuster avec Chris Hemsworth et Golshifteh Faharani et réalisé par Joe Russo, Tyler Rake 2, attendu en mai 2023 sur Netlfix. C’est entre Jason Bourne et Taken et c’est vraiment très cool en termes de scènes d’action. C’est un autre registre mais c’est intéressant. Ensuite, j’ai tourné dans le premier long de l’Américano-Tunisienne Meryam Joober qui s’appelle Motherhood, et qui est la version long métrage de son court Brotherhood, qui avait été nommé aux Oscars. Cela a été une très belle expérience et le film est actuellement en montage et je pense qu’il sera présenté dans un beau festival l’année prochaine.
Vous êtes l’un des rares comédiens français à tourner à la fois dans des films d’auteur et dans des blockbusters américains pour Netflix, quel est votre regard sur le débat salles/plateformes ?
Adam Bessa : La question est très intéressante. Je pense qu’avec l’arrivée de ces plateformes, le cinéma doit se réinventer et offrir au public de nouvelles expériences. Le cinéma restera une sortie, un moment important pour les gens en salles mais il faut que les équipes de films proposent un travail poussé, moderne, inédit et ne se reposent pas sur leurs lauriers. Les très bons films sont la meilleure façon de faire que le cinéma continue d’exister en salles. Il ne faut pas croire que c’est acquis, le travail c’est la clé. C’est de notre responsabilité en tant qu’artistes d’offrir des visions, des points de vue uniques. C’est une remise en question de chaque instant mais je suis confiant.