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Agathe Riedinger (Diamant Brut) : “Diamant Brut est un film sur le besoin d’amour”

par | 19 Nov 2024 | Interview, z - 2eme carre gauche

Elle a présenté son premier long métrage au dernier Festival de Cannes, entourée de toute l’équipe du film. Agathe Riedinger nous parle de Diamant Brut, actuellement en salles. 

De quelle première idée narrative est né Diamant Brut ?

Agathe Riedinger : J’ai toujours regardé de la télé-réalité, sidérée de voir que l’on considère ça comme un divertissement alors que c’est quand même un système qui véhicule des valeurs sordides, réactionnaires, délétères, qui exploite le corps des femmes et alimente la culture du viol. La représentation du corps dans la télé-réalité m’interpelle également. Comment ces femmes avec ces corps arrivent à incarner une vérité nouvelle, une puissance complètement à l’opposé des codes de morale et de bon goût qu’on balance dans la société. Et ce paradoxe entre la fascination, la sidération, et, en même temps, la liberté de ces femmes m’a questionné sur ma conception du féminisme. Diamant Brut est un film sur le besoin d’amour et c’est à travers la télé-réalité que Liane va trouver une reconnaissance.

Votre film fait la distinction entre l’hypersexualisation et la sexualité…

Agathe Riedinger : Deux notions systématiquement confondues, qui n’ont strictement rien à voir et dont la frontière a été complètement gommée. Liane est vierge. À travers cela, elle inscrit sa différence. Cela raconte la pression sociale autour du corps et de la représentation de beauté parfaite qu’on déverse systématiquement sur les réseaux sociaux. Liane s’est tellement sculptée qu’elle a créé une créature totalement décorrelée de ses propres sensations.

L’une des scènes clés de votre film est celle du casting. Froide, clinique dont émane une férocité sourde…

Agathe Riedinger : Ce que j’essayais de montrer, c’était la réalité d’un casting à travers les phrases et les questions très violentes. Je me suis renseignée sur ce à quoi ressemblent ces castings et je pense qu’il y a pire encore. Mais faire pire, ça aurait été faire caricatural. Alors que je suis restée dans un truc par ailleurs très réaliste. Mais il y avait tout de même un questionnement autour de la voix de la directrice de casting. Comment la traiter ? Est-ce que la voix avance en même temps que la caméra avance ? Ou est-ce qu’elle reste à distance ? Est-ce qu’on la traite de manière très omnisciente comme un dieu, comme un ogre au-dessus d’elle ? Ou est-ce qu’on va l’humaniser ? Tout le travail du son était particulièrement intéressant dans cette scène sur la manière de faire vivre cette femme qui demeure hors champ. Au début on perçoit sa présence physique par les bruits de ses petits bracelets. Puis au fur et à mesure on élude complètement pour ne garder que cette voix qui devient implacable, avec le regard face caméra de Liane. C’est une séquence que j’avais vraiment pensé comme carcérale.

Votre film repose régulièrement sur le mélange entre naturalisme frontal et un lyrisme pris en charge par cette musique qui envahit l’écran… Quelles étaient vos intentions de mise en scène dans ce principe ?

Agathe Riedinger : Ce qui était important, c’était d’être authentique. Moi, j’avais besoin de m’inscrire vraiment dans ce principe d’authenticité, d’autant plus que le personnage est déjà hyperbolique et très surligné. Il y avait donc un travail de dosage très pointilleux à faire sur Liane et sur le jeu de Malou. Ce qui m’intéressait, c’était de montrer que cette jeune femme est ancrée dans une réalité dont elle veut s’extraire. Je voulais à la fois raconter un truc hyperréaliste et montrer tout le côté “majesté” de son rêve. Autrement dit tout ce qu’elle projette dans ces icônes de télé-réalité, dans la perfection divine. Il y avait vraiment tout un pendant entre l’immensité et le ras du sol. Et à nouveau c’est le travail sur le son qui prend cela en charge. Liane est entourée de silence. Elle n’écoute pas de musique sauf pour se mettre en scène. Le violoncelle c’est sa musique intérieure, elle vient écraser le réel. Le son du violoncelle vient donner des coups de canif. Le mot canif est revenu énormément pendant qu’on imaginait la musique avec la compositrice. On se disait que cette musique était au-dessus de Liane, dessus de tout. C’est son cri qui recouvre tout et qui va brûler l’image.

La foi de Liane est un élément clé de son parcours personnel…

Agathe Riedinger : Effectivement, il y a un truc de plus haut, de plus grand, de plus lumineux…. C’est une histoire d’élévations et de quêtes très radicales. D’élévation sociale, mais aussi dans l’amour, complètement proportionnelle au mépris qu’elle subit et qu’elle ressent. Par sa foi, Liane s’inscrit dans le négatif de tout cela foi. C’est ce qui lui reste pour tenir, pour tenir son rêve et faire face à tous les gens qui l’entourent. Par ailleurs, il y a tout un truc autour de la notion de la perfection que je trouve très intéressant dans la télé réalité. Dans la représentation notamment des corps de candidates. Cette idée du “si je suis parfaite, on ne peut que m’adorer”. Ce n’est pas de l’amour, c’est de l’adoration. Je voulais montrer la part de noblesse dans ce qu’est Liane et dans ce qu’elle espère. Et un rêve, par définition, c’est immense. Comme la foi.

Plus que jamais, le regard que vous posez en tant que cinéaste sur votre personnage est déterminant sur la manière dont nous la regardons…

Agathe Riedinger : Le maître mot, c’était l’empathie. D’autant que Liane est un personnage qui réunit tous les archétypes qui font qu’elle sera vite jugée, que son rêve sera automatiquement catalogué et qu’on va la regarder avec mépris. De la même manière que, quand je disais travailler sur la télé-réalité, cela suscitait de l’inquiétude, de l’amusement et une absence complète de crédit (rires). Donc la clé, c’était vraiment d’être en empathie avec Liane et de comprendre pourquoi elle est physiquement comme ça, pourquoi elle veut des chaussures comme celles qu’elle porte, pourquoi ce diamant, pourquoi son rêve. Et moi, mon regard, ma responsabilité effectivement c’est de surtout pas en faire une caricature, une créature, un pantin, une poupée. Surtout que je sais qu’a priori le spectateur va la regarder comme ça au début. Et moi, mon enjeu, c’est que le regard du spectateur change. C’est la trajectoire principale du film.

Regard acéré par votre choix du format 4/3…

Agathe Riedinger : La meilleure manière de pointer le regard, c’est de fabriquer un triangle. Tout vient de l’étude triangulaire du nombre d’or. Avec le 4/3, le triangle est forcément plus resserré. Et le regard est encore plus braqué. De plus, je trouve que c’est un format graphiquement absolument magnifique. Un format différent et comme Liane veut être différente, tout se justifiait.

Diamant Brut, en salles le 20 novembre 2024.

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