Pour son premier long métrage documentaire pour le cinéma, la comédienne a posé son regard et ses caméras dans le village de Tatiste au bord du Niger où la corvée d’eau pèse sur la vie du village, son organisation, et la vie des familles, alors qu’un lac immense est là, sous le sol. FrenchMania a rencontré Aïssa Maïga pour évoquer la genèse de cette expérience, son travail de réalisatrice et ses projets…
Comment avez-vous intégré le projet Marcher sur l’eau ?
Aïssa Maïga : L’idée n’était pas de moi, c’était un projet qui était porté par Guy Lagache. Le producteur m’a contacté et on s’est rencontré. Je ne voyais pas ce que je pouvais apporter de particulier sur le réchauffement climatique si ce n’est comme simple citoyenne face à ces questions. Mais si j’ai accepté le projet, c’est pour l’endroit, cela a beaucoup compté : L’Afrique de l’Ouest à laquelle je suis très attachée. C’est un lien presque charnel, c’est vraiment le creuset familial. Je ne vivais pas là-bas mais j’y allais en vacances et j’ai énormément de souvenirs de mes rapports à l’eau, les baignades dans le fleuve, le bonheur que c’était de se laver alors qu’à Paris, il fallait me pourchasser quand j’avais six ans pour prendre une douche. Et puis il y a eu les projets de puits de mon père qui est mort très jeune. Je me suis dit que j’étais un peu l’héritière de tout ça. Et j’ai tout de suite eu l’envie de parler de cette histoire à travers les yeux d’une jeune femme, notamment quand j’ai appris à quel point les familles étaient éclatées.
Comment justement travaille-t-on le récit dans un documentaire comme celui-ci ? Aviez-vous des inspirations précises ?
Aïssa Maïga : Déjà j’’ai eu une équipe incroyable et c’est trois ans de nos vies à tous ! C’est beaucoup de batailles, beaucoup d’énergie, beaucoup de discussions. Je voulais vraiment raconter une histoire, parce que je viens de ce monde-là, du monde des récits, des personnages. Il y a des documentaires qui m’ont marqué comme Swagger qui avait un sens du récit, un sens du portrait, et qui s’est autorisé des choses proches de la fiction, des choses de l’ordre de l’audace, formelle, plastique, esthétique ! Le film racontait une réalité des jeunes Français des quartiers populaires en leur redonnant leurs lettres de noblesse ! J’ai aussi pensé à Truffaut qui a accompagné mon adolescence avec Les 400 coups que j’ai regardé au moins une centaine de fois ! Je ne veux bien sûr pas comparer, bien évidemment, mais ce sont des choses qui vous hantent en fait, on se rend compte à quel point les images ont façonné notre imaginaire. J’ai pensé aussi à Dominique Cabrera avec qui j’ai tourné un film télé pour Arte et qui a sa façon à elle de fabriquer le récit, dans la quotidienneté et avec une poésie qui peut être proche de l’abstraction. J’ai beaucoup échangé avec le chef opérateur, l’ingénieur du son et puis il y a eu les recherches avec ma coscénariste et de nombreux entretiens réalisés en amont pour construire ce récit. Et le montage a été déterminant, avec, notamment la monteuse du film Swagger qui, et je ne le savais pas en lui proposant le film, avait vécu plusieurs années au Niger.
L’un des défis c’est de filmer la préciosité de l’eau qui doit être presque palpable dans le film, comment y parvenir ?
Aïssa Maïga : C’était une obsession de me dire : comment on film le manque sans tomber dans le pathos, le truc hyper démonstratif, donc ça a été l’objet de beaucoup d’aller-retours, dans ma tête et avec l’équipe. La chance c’est qu’on a pu filmer sur un an, entre octobre et octobre, et qu’on avait des sessions d’une semaine à 10 jours. Entre chaque session, on pouvait regarder les rush, et le film s’est construit comme ça. C’est un dispositif un peu particulier, parfois c’était la réalité, au premier degré, brute, et parfois c’était des remises en situation. Ma responsabilité de réalisatrice, c’était de restituer à la fois la cruauté de l’existence, mais aussi la beauté de leurs liens, et la force de leur dignité.
Après cette expérience du documentaire, avez-vous l’envie de continuer ou d’aller vers la réalisation de fictions ?
Aïssa Maïga : J’ai envie de ça depuis très longtemps, je suis partagée entre faire les choses vraiment pas à pas, commencer par un petit film, quelque chose d’assez intimiste même si ça ne veut pas dire que c’est plus facile ou se jeter directement dans un gros projet. Je suis hantée par plein de récits et de personnages qui se bousculent dans ma tête ! Donc je ne sais pas encore. Une chose est sûre, c’est que je vais d’abord réaliser un documentaire sur mon père et sur son parcours de journaliste engagé au cœur des années 70-80 en France et sur le continent africain ainsi que sur sa proximité avec Thomas Sankara. J’ai besoin clairement de faire cet hommage à mon père qui était incroyable et qui est mort vraiment très jeune, à l’âge de 33 ans. Aujourd’hui je le sens, j’ai tourné autour mais il faut y aller maintenant il ne faut plus reculer !
(photo en une : Aïssa Maïga par Sylvia Galmot)