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Alice Zeniter et Benoît Volnais (Avant l’effondrement) : « Cette histoire ne pouvait qu’être racontée par les moyens du cinéma »

par | 19 Avr 2023 | CINEMA, Interview, z - 2eme carre droite

Pour la sortie en salles, ce mercredi 19 avril, du premier long métrage de Alice Zeniter et Benoît Volnais, Avant l’effondrement (avec Niels Schneider, Ariane Labed et Souheila Yacoub), nous les avons rencontrés pour parler d’écriture à deux, de finitude et de personnages féminins ancrés dans le contemporain.

C’est votre premier long métrage à tous les deux, quelle a été la genèse du projet, une envie de cinéma ? De travailler tous les deux ? 

Alice Zeniter : Les deux mon capitaine comme dirait nos pères ! 

Benoît Volnais : On s’est rencontré avec Alice, il y a huit ans…

Alice Zeniter : Benoît voulait faire du cinéma. Et moi, je disais que c’était moins bien que la littérature et le théâtre. (rires)

Benoît Volnais : Ma formation, c’est le cinéma, la philosophie et ensuite, j’ai bossé dans le vin. Et Alice, c’est le théâtre et la littérature. On avait beaucoup de conversations sur comment raconter des récits. Qu’est-ce que peut le cinéma ? Alice connaissait mon envie de cinéma, moi, je savais qu’elle dirigeait des acteurs de théâtre…

Alice Zeniter : Au début, je pensais que c’est une langue que je ne sais pas parler. Ce n’est pas ma grammaire et un art qui n’utilise pas du tout mes outils. Benoît m’a montré que le cinéma s’il se laisse libre, il peut mettre côte à côte la voix off de Pacific Rim et celle des Deux Anglaises et le continent de Truffaut. Ce n’est pas du tout la même chose, mais si on se dit qu’on peut passer de l’une à l’autre dans un même film, qui est ce qui nous en empêcherait ? Le cinéma peut le faire. Et présenter comme ça, ça paraissait être quelque chose que je pouvais faire. 

Benoît Volnais : Et à l’époque, Alice avait besoin de tester plusieurs formes qu’elle ne connaissait pas, d’apprendre et de se confronter à ces différentes formes d’expression. Assez naturellement, on s’est dit que l’on allait faire un film et on savait que l’on avait envie de parler de l’aspect le plus crucial de ce qu’on appelle le contemporain. C’est-à-dire, cette idée que l’avenir est forcément périlleux, bouché, que ce qui se passe dans le futur va forcément être pire que le présent. Et ça selon nous ça reconfigurait complètement les manières d’être au monde, d’aimer, d’interagir en société, de penser la politique. C’est l’idée que le temps politique s’est raccourci à cause de la catastrophe écologique.

Alice Zeniter : On a commencé avec ses interrogations qui étaient très larges. Et à peu près à la même période, je suis allée faire une résidence d’écriture dans un centre de recherche en épigénétique et parler avec les scientifiques qui m’accueillaient sur place de la question de la transmission des maladies génétiques rares et des gênes mutés délétères, ça m’a beaucoup marqué. Je l’ai raconté à Benoît et ça a été rapidement une évidence, la question de ce futur bouché et de comment vivre avec ça en plus de la question de la crise écologique qui est une problématique planétaire. On a voulu l’ancrer dans un corps et dans une vie qui va vraiment prendre en pleine face l’urgence de ce futur raccourci en créant ce personnage qui a cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, en étant chorée de Huntington ou pas,

Benoît Volnais : Pour résumer, on a su qu’on voulait évoquer de manière plus générale ce qui se passe au niveau sociétal à travers un destin individuel qui s’effondre et qui a cette éminence de la mort.

Avec cette idée symbolique de se voiler la face, par ce personnage qui a une conscience politique de la finitude qu’il n’a pas pour lui-même en ne voulant pas savoir s’il est atteint par cette maladie, de la même manière, que beaucoup de personnes se voilent encore la face de la catastrophe écologique et de la finitude du monde non ?

Alice Zeniter :  Se pose une question dont je pense, on n’a pas la réponse qui est : est-ce que pour réussir à vivre, on est obligé d’oublier que l’on va mourir ? Et par moments, on a envie de se dire qu’il faut effacer cette question de l’esprit pour pouvoir avancer et à d’autres moments, on se dit qu’il va falloir se confronter très clairement à la question de la finitude pour pouvoir prendre des actions en conséquences. Et je crois qu’il y a une ligne assez fine entre le déni et le fait de se laisser capable d’efforts et d’action, puisque ce que l’on montre aussi, c’est que quand Tristan commence à vraiment affronter en face la possibilité de la mort toutes les actions et leur sens se délitent : pourquoi aller travailler ? Pourquoi aller à l’enterrement du père ? 

Benoît Volnais :  C’est vrai que c’est ce lien que l’on voyait entre le destin de Tristan et le destin plus global du monde dans lequel on vit. J’ai une fille de 14 ans et je vois qu’il y a une perte de l’innocence. Maintenant avec le temps de la catastrophe écologique on ne peut plus faire comme si les choses n’avaient pas une fin. En définitive, le thème principal du film, c’est la difficulté d’être au monde…

Alice Zeniter : La difficulté d’être au monde + des blagues. (rires)

Benoît Volnais : Oui, c’est vrai, on voulait trouver un équilibre entre émotionnel et intellectuel et aussi entre burlesque et tragique dans le film.

En prenant pour enjeu de départ l’idée farfelue de recevoir un test de grosses positif anonyme par la poste. Comment s’est passé l’écriture à deux à partir de ces thématiques que vous aviez dégagées ? 

Alice Zeniter : Dans un premier temps, c’était beaucoup parler pour voir les grandes lignes sur lesquelles on était tous les deux d’accord afin de pouvoir se séparer plus facilement le travail. On a parlé, on a inventé des choses que l’on a jetées de côté aussitôt qu’elles avaient été prononcées et on a pris en note les choses qui nous convainquaient. On a rapidement dessiné les parties, avec ce mode particulier de narration et des manières de filmer différentes. Et à partir de là, on s’est réparti le travail en fonction des disponibilités de chacun. Quand on a commencé, j’étais un peu dans le contre-coup du succès de L’ Art de perdre et donc au début, c’est Benoît qui jetait les premiers cadres et c’est le boulot le plus fragilisant, ça veut dire être celui à qui on va refuser le plus de choses, car ce sont les premières pistes. Il l’a fait avec une immense bravoure. (rires). Et à partir du moment où c’était réparti comme ça, on pouvait faire des répartitions à l’envie. Se dire : « Cette scène-là, j’ai envie de l’écrire », « ce personnage-là m’a toujours attiré »… Et après mettre en place des temps de mise en commun.

Benoît Volnais : Il y a un passage qui est assez joyeux quand on travaille à deux, c’est le moment où on réécrit tout et on se met à jouer les scènes, mais c’est vrai qu’il y a eu tellement de couches et d’étapes successives dans l’écriture que c’est vraiment un scénario écrit à quatre mains. Et d’ailleurs tout le film, même si parfois de manière assez logique en fonction des compétences de chacun, Alice était plutôt du côté des acteurs pendant le tournage et moi plutôt du côté du directeur de la photo. Mais toutes les décisions, on été prises à deux, le montage s’est fait à deux… C’est une vraie co-écriture et co-réalisation. 

Vous parliez du contemporain, il y a quelque chose de frappant dans l’écriture des quatre personnages féminins… on voit rarement ces femmes qui sont autant dans cette liberté de faire leur choix de vie, d’aimer, d’être célibataire tout en vivant des histoires quand même… Montrer des femmes en dehors du couple traditionnel, c’est souvent écrit de manière caricaturale là où vous avez réussi à saisir ces personnages féminins actuels… comment vous les avez travaillé ? 

Benoît Volnais : Déjà, ça fait plaisir ! C’était notre volonté de faire un film féministe. D’abord dans la fabrication, quand on est arrivé à une version presque finale du scénario, on a repassé tout le scénario en se disant, pour chaque personnage, s’il n’y a pas une nécessité impérieuse que ce soit un homme ça va devenir une femme. Puis sur le tournage, on a essayé de travailler avec un maximum de femmes comme cheffes de poste. Et aussi d’avoir des scènes où les femmes vont parler d’autre chose que d’un homme, le fameux test de Bechdel. Elles vont parler de politique, par exemple, et c’est aussi avoir des personnages féminins qui sont forts, affirmés, mais qui restent dans une cohérence de ce qui est raconté. Ce sont des manières de répondre à cette question de la finitude et de l’angoisse de la mort. L’apolitisme d’un personnage comme Pablo, c’est une manière d’y répondre en acte, comme le côté révolutionnaire joyeux de Fannny et comme Perséphone qui incarne un autre aspect. Quand tout est sur le point de se finir, on va boire des coups, on rencontre des gens et on rêve d’être amoureux. 

Alice Zeniter : Sachant que c’était aussi important pour nous, ces personnages de Perséphone ou d’Anna. Pablo et Fanny sont des puissances et notamment Fanny qui a l’air d’être montée sur des ressorts et de ne jamais connaître la faiblesse qui peut avoir un côté hors du commun. Mais on voulait dire aussi, on n’est pas juste dans une inversion des rôles où les femmes pourraient prendre des rôles d’hommes et où on raconte uniquement des existences héroïques. On a aussi envie de filmer des personnages de femmes qui ont juste envie de boire des pintes et de se taper des mecs et qui sont hyper drôles, mais avec une faille mélancolique. On les trouve tout à fait justifiées dans la narration. Il n’y a pas besoin que les femmes soient Erin Brockovich pour avoir le droit d’apparaître à l’écran. C’était aussi important pour nous de dire ça. Pareil pour le cas d’Anna, elle fait un métier dévalorisé, elle est dans sa petite ville dont le héros suppose, comme peut-être une partie des spectateurs qu’elle veut en partir alors que pas du tout. C’était important pour nous d’avoir tous ces personnages. Et sachant que l’on a l’un comme l’autre la certitude qu’une des grandes raisons qui font que l’on a tant aimé la fiction en grandissant et qu’on l’aime encore aujourd’hui, c’est la rencontre de ces personnages où on se dit, ils sont bien pensés, dessinés et ils ont un trouble.

Benoît Volnais : Ils ont une vie propre en dehors de la fiction. Il pourrait y avoir un film sur eux…

Alice Zeniter : Et on habite avec eux hors du cadre de l’œuvre. C’est pour ça qu’on avait envie de faire ces personnages-là qui ont beaucoup été des personnages masculins. Nos têtes sont squattées par des personnages masculins qui y vivent gratis depuis trente, quarante ans. Maintenant, on fait les portes ouvertes pour les personnages féminins.

C’est fou, car ça permet de se rendre compte que ces femmes que l’on voit dans nos vies, on n’a pas l’habitude de les voir à l’écran malheureusement. Je voulais revenir sur la scène dont vous parliez, ce duel verbal et politique entre Fanny et Pablo comme dans un western… comment vous avez pensé la mise en scène ? 

Benoît Volnais : C’est vrai. Au départ, il y avait l’envie de filmer la parole politique. Une scène de Land and Freedom nous avait marqués où on voyait concrètement des gens se disputer idéologiquement et on trouvait ça très beau. Il y avait aussi au-delà du plaisir de filmer la parole, l’envie de faire une scène qui soit à deux niveaux de lectures. D’une part, un règlement de compte affectif…

Alice Zeniter : Mais c’est une vraie discussion politique…

Benoît Volnais : Oui, on peut juste regarder les corps, les tons, les langages corporels et ne pas écouter, on peut ne faire qu’écouter ou les deux en même temps. Et dans ce règlement de compte affectif, il y avait un côté duel donc pour nous, il y avait cet aspect western. On utilise le Scope en filmant en gros plan les visages. C’étaient toutes ces envies-là.

Alice Zeniter : Et sachant que dans la manière d’écrire les dialogues, il y avait un truc assez inspiré de la tragédie grecque dans la forme de construction avec des répliques très courtes qui s’appellent des stichomythies chez les Grecs et puis des tirades plus longues comme si après des passes d’armes hyper serrées, il y avait une des femmes qui réussissait à mettre son pied dans la porte de la parole. Puis pendant qu’elle bloquait, prenait tout l’espace possible et puis ça se resserre et ça repart en répliques courtes et c’est l’autre personnage qui cette fois glisse son pied. Et au-delà de la réplique écrite, c’est aussi à quoi on a prêté attention comme faiblesse dans l’argument de l’autre pour essayer de la mettre en défaut. C’était tout ça qu’on voulait filmer. Par exemple, l’étincelle dans le regard qui naît avant la réplique parce que tout à coup l’autre en face a dit un truc et qu’on sait qu’on va pouvoir la choper, l’abattement qui apparaît parfois sans qu’on ne sache si c’est la conversation qui pèse ou si ce sont les réalisations qu’elle entraîne de la situation plus globale. Nous, ça nous a toujours paru passionnant à filmer et c’est quelque chose que l’on a beaucoup défendu. Avant que le film n’existe et montre ce qu’on voulait faire, on nous a beaucoup dit que ce n’était pas filmable…

Benoît Volnais : Et puis une dernière chose, cette scène-là permet de filmer le silence de Tristan. Ça raconte ça aussi, un personnage qui n’est pas capable à ce moment-là de penser, de participer, d’agir et ce silence est mis en valeur par le fait que ces deux femmes prennent le pouvoir dans la parole et règlent leurs comptes devant lui qui est silencieux. 

Pour rester sur la mise en scène, vous filmez de très près les acteurs quand les personnages sont à Paris. Ils sont enfermés et étouffés dans le cadre là où en Bretagne on ressent l’image s’ouvrir, s’élargir pour montrer la liberté des corps et des esprits… C’était un parti pris ? 

Alice Zeniter : Pour nous, ça avait deux niveaux de lecture. C’est-à-dire à la fois en effet être au plus près de ces corps écrasés par les conditions météorologiques, mais aussi le manque de temps, la nécessité de toujours rebondir et d’être avec la réalité organique du corps qui est très actif, mais qui va peut-être décrépir et être dévoré par la maladie. Et dans un second temps de passer dans des rapports du corps à l’espace qui sont différents car, ce n’est plus un corps en action pour transformer l’espace. C’est un corps qui évolue dans un cadre et se mélange un peu avec le cadre. Il y a tout ça qui apparaît à la fois et d’un autre côté, ça raconte que dans ce cadre serré il y a moyen de croire qu’une action individuelle peut faire la différence alors que dans un cadre plus large il y a la question de se perdre dans un cadre trop grand et d’être décentré de l’action, de ne plus trop savoir dans quelle mesure, on est moteur de sa vie. 

Benoît Volnais : Et c’est vraiment pour ça que cette histoire ne pouvait qu’être racontée par les moyens du cinéma. Parce que c’est vraiment le lieu où on peut travailler cette histoire d’espace et de temps. Le cinéma permet de travailler ça plastiquement. Comment le destin du personnage fait que la question du temps et de l’espace va évoluer et va être différente au fur et à mesure de l’histoire. Ça ne pouvait être qu’un film. 

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