Avec sa mise en scène à fleur de peau et ses deux comédiennes affolantes (Déborah Lukumuena et Souheila Yacoub), Entre les vagues a fait chavirer (de bonheur) la Quinzaine des réalisateurs. Anaïs Volpé, autrice et réalisatrice de ce premier film bouillonnant, nous explique le pourquoi du comment…
Pourquoi cet âge-là (les deux héroïnes ont 26/27 ans) ?
Anaïs Volpé : J’ai souvent tendance à parler de personnages qui ont mon âge au moment où j’écris, or j’avais 27 ans lorsque j’ai attaqué le scénario d’Entre les vagues. Mais au-delà de ça, je pense que c’est un âge particulier. La fin de la vingtaine est un virage pour tous, homme, femme, singulièrement lorsque l’on est, comme mes deux héroïnes, comédienne. Je l’ai été moi aussi, essentiellement au théâtre. C’est un métier où il est difficile de faire sa place. Cela prend du temps. L’approche de la trentaine est donc un cap. Le moment où l’on a envie de sentir que l’on ne s’est pas trompé de voie. Où l’on se dit aussi, c’est maintenant ou jamais, après ce sera trop tard. J’en ai beaucoup discuté avec de nombreux ami.e.s issu.e.s du métier. Il y a une pression, beaucoup de questions et de doutes à cet âge-là. Pourtant, je crois très fort au destin, au fait que l’on peut encore percer à 40 ans. Voyez, par exemple, Corinne Masiero : il faut se raccrocher à ces images-là. D’ailleurs, un dicton m’accompagne depuis longtemps : « on est toujours à l’heure là où l’on est attendu »…
Pourquoi le théâtre (les héroïnes sont l’une et l’autre comédiennes) ?
Anaïs Volpé : D’abord parce que c’est un art vivant. Je trouvais intéressant de l’intégrer au film, à ce que vont traverser les personnages. Ensuite parce que qui dit théâtre, dit collectif. D’ailleurs, Margot et Alma répètent à côté d’une troupe, qui répète elle-même une autre pièce. Il y a un jeu de va-et-vient et de partage entre elles et eux. La notion de collectif est importante, surtout quand on est jeune. C’est une façon de se serrer les coudes. De rêver et de réussir ensemble. Par la suite, on a moins la place de vivre ce collectif au quotidien, la vie nous rattrape.
Pourquoi l’amitié (Margot est la meilleure amie d’Alma et vice-versa) ?
Anaïs Volpé : Parce que je voulais parler de l’amitié au féminin, de la sororité, telles que moi j’ai envie de la voir sur grand écran. Oui, je voulais montrer deux femmes, deux amies dans un milieu artistique, qui se font concurrence (puisqu’elles postulent pour le même rôle) mais sans être rivales pour autant. J’ai vu tellement de films où les personnages féminins se cannibalisent et se crêpent le chignon. Pas du tout à l’image de ce que j’ai vécu lorsque j’étais jeune comédienne à Paris. D’ailleurs, j’ai construit des amitiés très solides à l’époque. Attention, tout n’est pas rose non plus dans mon film : les sentiments de mes deux personnages sont complexes, mêlés. Margot est triste de ne pas être prise dans la pièce, c’est vrai, mais elle est aussi sincèrement heureuse pour Alma qui, elle, a décroché le rôle principal. Mais je ne veux pas trop en dire, juste que c’est un film sur deux alliées, quoi qu’il arrive…
Pourquoi ces deux comédiennes (Déborah Lukumuena et Souheila Yacoub) ?
Anaïs Volpé : Je n’avais personne en tête lorsque j’ai écrit le scénario. A ce moment-là, je voulais juste me laisser surprendre par l’énergie folle de mes deux personnages. Et puis c’est toujours un challenge de trouver un duo d’actrices qui fonctionne. Surtout que là, non seulement il fallait que l’on puisse croire en leur amitié, mais aussi qu’elles soient crédibles en comédiennes impliquées dans une création théâtrale ambitieuse. Heureusement, les planètes se sont alignées avec Déborah et Souheila. Elles ne se connaissaient pas, se sont rencontrées le jour du casting, et d’emblée il s’est passé quelque chose. Une alchimie formidable ! Ce sont deux virtuoses qui viennent l’une et l’autre du théâtre, mais qui ont suffisamment de naturel pour jouer dans un film-vérité comme le mien. Franchement, pour moi, ça n’aurait pu être personne d’autres qu’elles !
Pourquoi cette façon de filmer, à fleur de peau et de visages ?
Anaïs Volpé : C’est un choix assumé. J’aime ce genre de films en général, caméra à l’épaule, dans l’énergie, le mouvement. Pour Entre les vagues, il fallait de toute évidence que ça pulse. Comme Margot et Alma ne s’arrêtent jamais, je souhaitais que l’on reste constamment avec elles, dans leurs… vagues ! J’ai toujours imaginé le film comme un mouvement constant, comme la mer. Et puis mes héroïnes vivent des situations sans toujours pouvoir prendre de distance, elles sont aussi très proches. Cela impliquait donc qu’elles soient filmées au plus près de leurs corps et de leurs visages.
Pourquoi, enfin, êtes-vous devenue réalisatrice après avoir été comédienne ?
Anaïs Volpé : Des hasards de la vie, rien d’autre. Des portes qui s’ouvrent ou se ferment. Je dois dire qu’au tout début, devenir réalisatrice me semblait impossible. A 18 ans, j’avais été assistante-réalisatrice sur des courts métrages, juste pour aider, pour voir. Finalement, je me suis retrouvée première assistante et lorsque je regardais le ou la réal, je me disais intérieurement « jamais de la vie, c’est trop dur ! ». Et puis voilà, au fur et à mesure, les choses se sont faites en douceur. Etape par étape. Je me suis découvert une passion pour le montage, notamment. J’ai obtenu une bourse, puis fait une résidence artistique en Chine. J’ai alors conçu un projet « cross media » (long métrage + série + installation artistique, NDLA), intitulé HEIS, où j’ai vraiment tout fait de A à Z. Je l’ai même autoproduit. Un film en a été extrait, il a beaucoup voyagé en festival. Cela m’a permis de rencontrer ma productrice actuelle… et de me présenter à vous aujourd’hui. Je suis hyper touchée, émue, bouleversée par l’accueil qu’Entre les vagues a reçu à Cannes. D’une certaine façon mon film dit que la fiction nous sauve. Que le jeu est vital. Cet accueil formidable me le confirme…