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Ann Sirot et Raphaël Balboni (Une vie démente) : “Le vécu est une matière gigantesque”

par | 9 Nov 2021 | Interview, z - 2eme carre droite

Noémie et Alex vont bien, merci. Ils ont même des projets comme celui d’avoir un enfant. Mais Suzanne, la mère d’Alex, devient de plus en plus fantasque et dépensière, sa passion pour l’art tourne à l’obsession, elle a besoin qu’on s’occupe d’elle… comme d’une enfant. Le duo belge Ann Sirot / Raphaël Balboni dont c’est le premier long métrage ose s’aventurer dans un exercice inédit : une comédie burlesque et tendre sur une femme atteinte de démence sénile. Le résultat est à la fois élégant et attachant grâce à une fantaisie de chaque instant, aussi présente dans l’écriture et la poésie des scènes parfois improvisées, que dans une mise en scène précise et audacieuse. Le trio de comédiens est, lui aussi, dément, avec à sa tête, Jo Deseure, qui interprète Suzanne et ouvre en permanence des horizons de jeu absolument inédits et stupéfiants. FrenchMania a rencontré les réalisateurs.

Comment est venue l’idée d’évoquer la démence sénile et ses conséquences au quotidien sur l’entourage ?

Raphaël Balboni : En fait le sujet vient directement d’une situation vécue. On avait envie de transmettre quelque chose suite à ce vécu. Tout part de là et notamment l’envie d’adopter un ton particulier parce qu’on ne se retrouvait pas toujours dans ce que l’on pouvait voir sur la maladie. Quand on rentrait à Bruxelles et qu’on parlait avec des amis de ce qu’on était en train de vivre, on se rendait compte qu’on racontait des choses un peu décalées, c’est ce qu’on avait envie de retranscrire dans le film.

Ann Sirot : On se disait que tout le monde savait que ce genre d’expérience était quelque chose de très intense et que tout le monde connaissait cette douleur et cette détresse mais nous ce qu’on a appris c’est qu’en fait il y a aussi beaucoup de burlesque parce qu’on est fébrile et sur le fil. Et cela créé une intimité très intense avec les proches et la personnes malade.

Le ton du film comme sa direction artistique sont étonnants, fantaisistes. Comment se sont décidés ces choix ? 

Raphaël Balboni : C’était vraiment présent dès le départ. C’est parce qu’on a trouvé cet angle qu’on a eu envie de faire le film.

Ann Sirot : Au début on cherchait vraiment des façons visuelles de signifier que la situation prend une place de plus en plus importante dans la vie du couple et il y avait une volonté de créer quelque chose formellement pour correspondre à cette sensation. Comme tout le film est sur ce que la maladie créé, sur la façon dont elle enrichit le quotidien, on s’est dit qu’on ne pouvait pas écrire sur cette fantaisie qu’apporte Suzanne sans que cela n’influe sur la forme du film. Il fallait que le fond contamine la forme et qu’à un moment donné on fasse des choix qui ne soient pas académiques, qu’on ose sortir du cadre de la bienséance en tant que cinéaste.

Raphaël Balboni : On a fait beaucoup de courts métrages avant ce premier long et il y avait déjà un jeu formel, une façon de décaler les choses, c’est comme un jeu avec le spectateur qu’on recherche, une façon de jouer avec les codes. Cela nous amuse beaucoup de chercher à raconter les choses autrement.

Qu’avez-vous gardé de vos méthodes de travail sur le court métrage pour ce passage du court au long ?

Raphaël Balboni : En travaillant sur nos courts, au bout d’un moment, on a mis en place une méthode de travail, sur les trois derniers, qui consiste à travailler très en amont avec les comédiens, dès l’écriture, pour développer des scènes, des situations, de les filmer et de développer un brouillon de film. On a conservé cette méthode pour Une vie démente. Ann était comédienne de théâtre avant et cela vient de là. C’est une phase de création comme celle d’un spectacle.

Ann Sirot : Les comédiens ont été sollicités une vingtaine de fois et on a beaucoup travaillé avec eux avec de grandes phases d’écriture entre ces rencontres qui nous permettent de digérer et d’intégrer ce qui a été expérimenté en répétition et de s’ajuster aux acteurs. On travaille à ce qu’ils aient dans le scénario final des personnages sur mesure.

Raphaël Balboni : Au niveau de l’écriture, que ce soit avant le tournage ou même au montage, il y a vraiment eu quelque chose de nouveau pour nous. Ne serait-ce que raconter une histoire sur une heure et demi, de suivre des personnages, on a compris pas mal de choses et cela nous a permis de trouver des clés sur un projet qu’on avait initié avant et qui sera notre prochain long métrage.

De votre expérience vécue à celle racontée dans le film, remodelée par le travail avec les comédiens, quels ont été les grands changements ?

Ann Sirot : Le vécu est une matière gigantesque. Le film ne s’attache qu’à une petite partie de l’expérience que nous sommes toujours en train de vivre puisque cela fait 15 ans que nous accompagnons quelqu’un de malade. On pourrait faire plusieurs films très différents avec tous les angles possibles ! Par exemple sur les aides à domicile puisqu’on en a eu une vingtaine et que ce sont des personnes de milieux sociaux différents du notre, avec des problèmes qui n’étaient pas les mêmes que ceux que nous avions vécus…On a décidé de partir du moment où la maladie arrive dans la vie de ce couple et celui où ils parviennent à trouver leur équilibre avec tout ça. Ce sont les premières années. Et, pour la fiction, on doit écrire pas mal de choses qui ne correspondent pas à la réalité mais qui permettent de mieux la raconter : par exemple le désir d’enfant était le meilleur outil de fiction pour mettre en compétition ce qui arrive face aux projets en cours. Les personnages retranscrivent des attitudes face à la maladie plutôt que des personnes précises, ceux qui n’acceptent pas et ceux qui comprennent qu’on ne peut pas se battre contre une telle maladie, que c’est une force de la nature.

Raphaël Balboni : Il y a une scène qu’on avait tourné et monté avant de la retirer parce que ce n’était pas crédible alors que c’était quelque chose qu’on avait vraiment vécu !

Ann Sirot : La réalité a le droit à des extravagances que la fiction ne peut pas se permettre ! On a été ramenés à ça tout le temps. On a du faire des choix pour que les fantaisies de Suzanne soient transgressives tout en étant crédibles pour les spectateurs. La réalité est bien plus punk que le film.

Jo Deseure est une actrice phénoménale. Qu’a-t-elle apporté au personnage de Suzanne ?

Ann Sirot : Elle a amené beaucoup de choses qui sont dans son tempérament. Nous nous sommes beaucoup reposé sur son côté très rebelle, c’est une femme très punk, très rebelle. Elle est très indépendante. Elle place tous les projets au même endroit, elle a une vraie force d’implication. Elle a aujourd’hui 73 ans et traverse toujours Bruxelles à vélo la nuit. Pendant le confinement, elle se faisait juste arrêter par la police pour remettre son masque. Je m’étonnais qu’elle n’ait pas eu d’amende et elle me répondait  : “Tu sais, Ann, je suis une vieille femme blanche, il ne peut rien m’arriver ! “.

Raphaël Balboni : Elle s’est vraiment retrouvé dans la liberté du personnage de Suzanne et c’était presque un film d’action pour elle ! Le plus dur pour elle c’était de jouer la Suzanne du début qui est encore un raisonnable ! Pendant les séances de travail et d’improvisation, elle venant toujours apporter un décalage, une petite chose qui allait créer encore plus de spontanéité.

 

 

 

 

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