Passionné de cinéma et de justice, Antoine Raimbault s’est lancé un défi. Réussir à réaliser un vrai film de procès à l’américaine en partant d’une histoire vraie, le procès Viguier, d’un personnage identifié, l’avocat Dupont-Moretti et en créant un personnage fictif. Le résultat, un film haletant, intelligent, est une réussite, nous l’avons rencontré lors d’une des premières présentations du film au Festival d’Arras.
Pourquoi avez-vous eu envie de parler de l’affaire Viguier et du procès en appel en particulier ?
C’est un peu le hasard. Je m’intéresse à la question judiciaire et j’allais pas mal assister aux comparutions immédiates mais pas non plus sous une forme obsessionnelle. Et j’écrivais pas mal sur le doute, des films qui posent les cartes et qui laissent le spectateur se débrouiller. Je faisais lire ça à différentes personnes et notamment au cinéaste Karim Dridi qui est un ami. Un jour c’est lui qui m’a parlé de l’affaire Viguier. Je lui ai dit que c’était compliqué, qu’il fallait être Oliver Stone ! J’ai donc assisté au procès, j’ai découvert ses enfants et je me suis dit qu’il fallait représenter cela, que cette affaire était vertigineuse et symbolique des dysfonctionnements de la justice française : une condamnation sans preuve et un meurtre sans cadavre ! En plus j’ai des références cinématographiques qui sont anglo-saxonnes en ce domaine. Cette affaire est singulière mais très révélatrice et je me suis beaucoup intéresse à la notion d’intime conviction des jurés. Ce qui m’intéresse ce n’est pas tant de savoir ce qui s’est passé mais comment on juge un homme sans preuve, c’est tout le sens du film. J’ai donc eu cette idée du personnage de fiction, interprété par Marina Foïs. Pour faire du cinéma il faut un personnage, un point de vue.
Comment est-il né ce personnage de Nora justement ?
C’est un mélange de plusieurs personnes qui ont existé. La première rencontre importante que j’ai faite, c’est une femme qui s’appelle Émilie et qui est la maîtresse de Jacques Viguier, et son étudiante puisqu’il était prof de droit. Elle est entrée dans sa vie quand il est entré en prison et elle a découvert l’horreur de la justice, le rouleau compresseur qui broyait cet homme qu’elle aimait ! Je voulais écrire sur elle au départ mais comme je voulais un film de procès, et que je souhaitais mettre en avant une démarche citoyenne, donc le personnage de Nora est un mélange de cette Émilie et de pas mal de jurées que j’ai rencontrées sur plein d’autres affaires. L’idée c’était d’avoir un point de vue du procès de l’intérieur, dans les coulisses car j’ai vécu ce deuxième procès très proche de la famille et de l’avocat Dupond-Moretti. C’est un personnage de fiction mais, sur le procès, rien n’est inventé, tout est vrai, sourcé, tout ce qui est dit à la barre a été dit, ainsi que dans les écoutes téléphoniques qu’on a reproduit à la lettre. Son obsession à elle a été la mienne à un moment ! C’est assez rare dans les procès en France qu’il y ait de vrais rebondissements ! L’avocat ne cherche pas la vérité mais à défendre son client et à faire valoir le doute alors que Nora, en électron libre, cherche la vérité. C’est là le sujet du film à travers cette confrontation entre les deux personnages. On attend toujours de la justice qu’elle produise de la vérité mais elle ne produit que du doute, et dans la procédure française ni la preuve, ni la vérité ne sont les enjeux de la défense.
En termes de références cinématographiques, les films de procès sont plutôt américains mais aviez-vous quand même quelques exemples français en tête ?
A dire vrai je me suis tout tapé ! J’ai vu tous les films de procès et il y en a de très bons même si le meilleur c’est le chef d’œuvre de Clouzot, La Vérité. Nous, ce qu’on a produit en France, ce sont plutôt ce qu’on appelait des drames de prétoire ! Jusqu’à la fin des années 60 il y en a eu pas mal notamment ceux d’André Cayatte qui étai un ancien avocat mais c’était des drames. Les Américains, eux, sont plus dans le thriller. Là, on est dans un film d’enquête, de contre-enquête, avec des rebondissements qui n’arrivent que très rarement dans la justice française. J’ai été dans une écriture de thriller et de suspense car c’est ce que j’ai ressenti en assistant aux procès aux assises, on est en apnée, on devient un peu fou. Et je voulais traiter de la conviction comme d’une emprise sur la raison, qui devient presque un aveuglement. Ce dossier a été empoisonné par les aveuglements successifs et notamment des journalistes qui ont raconté cette histoire-là, de l’homme qui a tué sa femme, et la justice n’a pas résolu cette affaire. La vérité policière n’est pas la justice.
Comment Olivier Gourmet et Marina Foïs ont-ils réagi quand vous leur avez proposé ces personnages, réel pour l’un, fictif pour l’autre ?
Ils ont dit oui tout de suite tous les deux. Marina est très intéressée par ce type de sujet, par les procès. Et c’est évident qu’elle a ce truc d’empathie très naturel, elle dégage une empathie très forte et elle peut jouer des personnages un peu borderline. Pour moi, Marina Foïs, c’est James Stewart. Dans Sueurs froides, il va loin mais on est toujours avec lui ! Pour Gourmet, c’était casse-gueule mais il y avait un truc fort. Avec Dupond-Moretti, je les ai présenté l’un à l’autre, ils sont fait du même bois ! Il y a eu une vraie rencontre entre l’acteur et le personnage, une voix, un corps une humanité. Il n’a jamais cherché à l’imiter mais il a chopé des trucs incroyables, des gestes, une façon de fumer sa clope, … Sur les aspects techniques, je les ai fait travailler des PV, emmené aux Assises et je leur ai organisé des ateliers pour qu’il connaissent les fonctions de chacun. Comme on apprend le piano pour jouer un pianiste. Marina et Olivier sont très physiques et je ne les avais jamais vu au cinéma ensemble ! Je trouvais que cela fonctionnait, qu’il y avait un super équilibre.
Une Intime conviction sera en salles le 6 février 2019