Antoinette, elle est très chouette
Tonique, solaire, rafraîchissante : Antoinette dans les Cévennes est la comédie la plus stimulante de la rentrée. Une balade très « nature », à découvrir pour (au moins) 4 raisons…
Une héroïne en marche
Elle ne s’arrête jamais, Antoinette ! Un mouvement perpétuel qui s’apparente grosso modo à un réflexe de survie. Et pour cause : cette accorte quadra, institutrice enthousiaste, est raide dingue amoureuse de Vladimir, père d’une de ses élèves et homme (très) marié. Maîtresse à tout point de vue, donc doublement esseulée à l’orée de l’été, Antoinette choisit finalement de poursuivre son bel amant égoïste jusque dans les Cévennes, là-même où il est parti faire une randonnée en famille. Un périple on ne peut plus initiatique… Non seulement cette marche va l’apaiser, et l’amener au plus près d’elle-même, mais elle va aussi lui permettre de tisser un lien très fort avec Patrick, un âne pour le moins récalcitrant au départ ! Autant dire qu’Antoinette, tendre brunette, surprend de bout en bout. À la fois enjouée et pathétique, romanesque et bravache, moderne et atemporelle, elle est de ces anti-héroïnes galvanisantes auxquelles il est difficile de ne pas emboiter le pas.
Une écriture tonique
Vingt ans tout ronds après Les Autres filles, son premier long métrage, Caroline Vignal – autrice et réalisatrice d’Antoinette dans les Cévennes – nous revient en grande forme. Comme boostée par la beauté panoramique des lumineuses Cévennes, elle s’amuse beaucoup et nous avec ! D’abord, elle déconstruit avec malice les codes de la comédie romantique et du « buddy movie » (la grande romance de son film se joue bel et bien entre Antoinette et son âne !). Ensuite, elle utilise avec finesse les ressorts du récit initiatique (jalonné de rencontres, souvent cocasses) pour dynamiser le parcours d’Antoinette (une marche peut être monotone à filmer a priori, sauf que pas du tout ici). Et enfin, elle met en avant une héroïne justement déroutante, qui carbure autant à l’autodérision qu’au courage et à la sensualité. Un mélange plutôt rare au cinéma ! Nul hasard si Caroline Vignal se place sous la tutelle conjuguée de trois œuvres « cultes », à savoir Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis Stevenson, Le Rayon vert d’Éric Rohmer et La Revanche d’une blonde de Robert Luketic (avec Reese Witherspoon). Le résultat est là : son écriture, exigeante et frondeuse, débouche sur un récit formidablement tonique.
Une actrice au top
Vous l’avez aimée dans la série Dix pour cent ? Vous allez l’adorer dans Antoinette ! Endossant le rôle-titre avec une aisance confondante, Laure Calamy confirme ici à quel point son registre est large et sa belle « nature » unique dans le cinéma français. Quasiment de tous les plans – c’est une première pour elle, d’ordinaire abonnée aux seconds rôles -, elle irradie de drôlerie pathétique… donc émeut comme jamais. Mieux, la comédienne donne le sentiment de se réinventer à chaque instant, qu’elle chante (intensément) un refrain de Véronique Sanson en robe lamée ou qu’elle redouble de douceur, en short et chaussures de randonnée, pour faire avancer son âne ! Une grande fraîcheur et un profond plaisir de jouer se dégagent de son interprétation. Peut-être parce que, comme son personnage, elle n’a pas froid aux yeux et ose tout, notamment d’être sincère.
Une séquence au sommet
Nombre de scènes sont savoureuses dans Antoinette. L’une d’elles, pourtant, s’affirme comme un sommet. L’acmé, en somme, de cette randonnée en montagne à nulle autre pareille. Située peu ou prou à la mi-temps du récit, filmée en plan-séquence au détour d’un sentier en forme de grimpette, elle donne à voir la rencontre – donc « la » scène d’explication – entre Éléonore, la femme de Vladimir, et Antoinette. Dans n’importe quel vaudeville, cette situation déboucherait sur un crêpage de chignons. Au minimum. Rien de tel ici. Dynamitant cette vision passablement misogyne, Caroline Vignal inverse les règles du jeu. Foin de montage disruptif, saccadé, rapide pour accentuer le côté farce de ce « règlement de comptes » au féminin ! Non seulement son plan-séquence épouse au mieux le rythme lent de la marche, mais il favorise la proximité avec ses personnages (donc affine leur trouble et leurs émotions). Surtout, en respectant la durée de la confrontation entre les deux rivales, dans sa continuité, il laisse percer une solidarité entre elles, voire une complicité, aussi complexe que souriante. Inattendue. Certes, la tension est de mise. Et certes l’épouse (magnifique Olivia Côte) signifie à l’amante que son mari (Benjamin Lavernhe, légèrement inquiet…) ne la quittera jamais. Pour autant, nul triomphalisme ne s’échappe de sa bouche vengeresse… Puisqu’il n’y a pas de vainqueurs, in fine. Juste beaucoup d’élégance et d’humanité.
Réalisé par Caroline Vignal. Avec Laure Calamy, Olivia Côte, Benjamin Lavernhe … Durée : 1H35. En salle le 16 septembre 2020.