Réseaux sociopathes
En revenant sur l’affaire Mehdi Meklat, Laurent Cantet fait le pari de la nuance face à la tempête médiatique. il livre avec Arthur Rambo un film d’une intelligence rare en forme de rempart émotionnel complexe à la binarité contemporaine du lynchage en quelques caractères.
Sur le papier l’équation pouvait paraître impossible à résoudre : raconter l’histoire (vraie et datant de 2017) d’un jeune auteur d’origine algérienne, ici Karim D., foudroyé en plein envol par la découverte de tweets infâmes (majoritairement racistes, antisémites et homophobes) publiés quelques années plus tôt sous une identité créée de toutes pièces, un alter ego virtuel en forme de bête immonde. C’était sans compter sur la subtilité, la finesse d’esprit et la foi indéniable dans la force du cinéma de Laurent Cantet qui a prouvé, au fil d’une filmographie d’une richesse et d’une cohérence absolue qu’il était l’un des cinéastes les plus en prise avec le monde qui est le notre.
En plongeant dans ce récit à double détente quasi immédiate (succès fulgurant / “annulation” par la vindicte populaire), Cantet marie avec une dextérité évidente la poudre du soupçon et le feu du combat intérieur qui anime Karim D. sans jamais verser dans l’explosion facile. Que ce soit dans le portrait à l’os d’un transfuge de classe, de ses entourages (familial, amical, amoureux, professionnel) et de ses doutes comme dans sa mise en scène fluide et tranchante et son écriture sans fioritures, Arthur Rambo oppose une palette de nuances profonde aux réactions épidermiques dictées par la peur de la contagion de l’effacement social. Rabah Naït Oufella, révélé ado par Cantet (Entre les murs, Palme d’or 2008) et toujours juste depuis dans des rôles qui prennent leur distance avec les clichés (Bande de filles, Grave, Nocturama, Patients, Les Affamés…) est l’incarnation idéale de ce combat intérieur, de cette rage contenue. Cantet confirme son statut à part dans le paysage du cinéma français : celui d’un cinéaste en prise avec son époque et capable d’en traduire les contradictions et la violence sans jamais pointer du doigt un quelconque bouc émissaire. Il signe avec Arthur Rambo un film d’une impérieuse nécessité et d’une justesse salvatrice.
Réalisé par Laurent Cantet, avec Rabah Naït Oufella, Antoine Reinartz, Sofian Khammes… France – 1h27 – En salles le 2 février 2022 – Memento Distribution