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As Bestas de Rodrigo Sorogoyen

par | 18 Juil 2022 | CINEMA, z - 2eme carre droite

La terre des hommes

Deux ans après Madre, drame aux accents français et espagnols, qui se passait au Pays-Basque, Rodrigo Sorogoyen continue de faire dans le mélange des langues et des genres. As Bestas, son nouveau film, nous embarque dans un village de Galice, en montagne, là où les lois sont celles du plus fort. Un western ? Pas loin. Le film est sauvage et terrien, et c’est un duel de toutes les saisons qu’il met en scène : un bras de fer, été comme hiver, entre un couple de néo-ruraux français, venu s’installer dans la région pour y faire pousser des tomates bio, et ses voisins espagnols, deux frères incommodés par cette soudaine mitoyenneté. Les enjeux sont vites posés, les intérêts de chaque partie sont lisibles, la tension grimpe, les rapports entre les protagonistes se musclent jusqu’à enclencher les poings, les corps se rapprochent, les dés sont jetés. Dès le prologue, où des hommes tentent de mater un cheval à un main nue, de le coucher violemment au sol, nous sommes prévenus : comme souvent chez Sorogoyen, on se bat jusqu’à la mort, et le réalisateur va ici prendre le temps de décliner les motifs de la lutte, sociale, écologique, identitaire et politique, au lieu de cultiver un suspense en toc. Impossible pourtant de ne pas succomber au vertige, le film est si habilement construit et mis en scène qu’il déclenche vapeurs et palpitations. Jamais il n’est manichéen, jamais il n’est caricatural. Il est à la bonne place, au milieu du terrain, pour justement nous laisser voir ce qui pèse dans la balance de Thémis, pleine de la terre et du sang des hommes. Les symboles s’agitent et s’accumulent dans le premier acte, qu’ils soient bibliques ou communs à ceux de la tragédie antique, et ils se transforment dans les deux derniers actes ponctués d’ellipses. Deux derniers actes dans lesquels la puissance de jeu de Marina Foïs éclate. Évidemment, tout le casting est impeccable (Denis Ménochet, Luis Zahera, Diego Anido), ce n’est plus à prouver, Sorogoyen est un grand directeur d’acteurs. Cependant, c’est bien Marina Foïs qui nous surprend le plus. C’est elle que l’on dévore du regard, elle dont on admire la rigueur et la précision jusqu’au plan final, ravageur. Film après film (Que dieu nous pardonne, El Reino), Sorogoyen monte en gamme. Sa mise en scène se déploie et s’affirme (impressionnants plans séquences), ses talents de conteurs se confirment, ses personnages ont tous dans le cœur quelque chose qui pourrit et respirent un air de moins en moins respirable. As Bestas est une parfaite synthèse des obsessions politiques du réalisateur espagnol (sa vision critique et allégorique des rapports de force et de domination entre les pays européens voisins) – et son goût du drame intime, humain. Cruel et poignant. L’un des films les plus remarquables du dernier festival de Cannes et de l’année.

Réalisé par Rodrigo Sorogoyen, avec Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahara, Marie Colomb, Diego Anido … Durée : 2H17. En salles le 20 juillet 2022. FRANCE/ESPAGNE.

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