Voir les invisibles
Tourné en grande partie au Sénégal, Atlantique pose un regard concerné et délicat sur la jeunesse dakaroise et les fantômes qui la hantent. C’est d’un départ dont il est question au début de ce premier long métrage qui fait coexister plusieurs ambiances et appelle le mystère. Suleiman et plusieurs jeunes ouvriers d’un même chantier, fatigués d’être exploités, décident de prendre le large à bord d’une pirogue, direction l’Europe, pour y trouver un travail et un avenir pensent-ils. Partir pour Suleiman, c’est renoncer à Ada, la jeune femme qui l’aime et qui s’apprête à épouser un homme riche qu’elle n’aime pas. Le motif récurrent des vagues s’aligne alors avec celles que les personnages ont à l’âme. Les blessures de l’émigration clandestine sur les adolescents africains, voilà ce que Mati Diop filme avec douceur et pudeur, conjuguant ici le réel et les chimères de manière progressive et non sans une certaine poésie (on pense au cinéma mystique d’Apichatpong Weerasethakul). La réalisatrice ne plaque pas les ornements du fantastique, elle les disperse. Ils se matérialisent sous différentes formes : des rayons verts, des yeux blancs, le bleu de la mer, somptueuse et assassine, mais aussi ce feu qui détruit comme par magie le lit où devait se dérouler la nuit de noces – incendie qui débouche sur une enquête de police. Déjouer la fatalité par des coups de théâtre à teneur surnaturelle, voir le drame de l’exil à travers les yeux d’une femme abandonnée dont la condition, elle aussi, terrifie, c’est sûrement ce qui rend cette fable sur l’émancipation si intime, si dense, si pur, une fable qui a séduit le jury du dernier Festival de Cannes, récompensant Mati Diop du Grand Prix de cette édition. Quant à la jeune comédienne qui joue Ada, Mama Sane, sa grâce nous envoûte du premier au dernier plan. Une étoile est née.
Réalisé par Mati Diop. Avec Mama Sane, Amadou Mbow, Nicole Sougou… Durée : 1H45. En salles le 2 octobre 2019. AD VITAM. FRANCE – SÉNÉGAL.