Un rêve éveillé
Une odyssée hypnotique, poétique et politique signée par un artiste complet revendiquant sa fluidité et ses origines congolaises. Sans doute l’une des plus belles découvertes du dernier Festival de Cannes. Et l’une des plus belles rencontres avec un cinéaste, belge d’origine congolaise, venu présenter son film à Un Certain regard dans une robe sublime, dédiant son film à sa fille et sa mère. Une première œuvre dont chaque plan dit son urgence de filmer, dont chaque image est pensée, déterminée, ancrée dans la poésie, le naturalisme et la fantasmagorie d’un pays si peu représenté au cinéma. Un film débutant dans le chaos pour s’achever dans un faux apaisement. Un instant suspendu, inquiet, volé à la réalité de la condition de la femme dans une société au patriarcat délétère et immarcescible. Une fiction bruissante débutant avec le retour d’un homme au pays et s’achevant sur le bouleversant portrait d’une mère seule affrontant ses fantômes. Un voyage où l’on croise une bande de gamins des rues habillés de robes roses et coiffés de tiares en plastique, une jeune femme contemporaine rêvant de toutes les émancipations qui lui sont interdites par le poids d’une culture ancestrale et archaïque ainsi que des créatures aquatiques et un vendeur de rue chanteur à la voix cristalline. Augure est un rêve éveillé, toujours lucide, fuyant le cauchemar sans pouvoir l’effacer. Ni lui échapper complètement. Une transhumance qui débute à Paris, plonge ensuite dans la grouillante Kinshasa avant de s’achever à Lubumbashi et son horizon minier. Un aller simple de l’aisance à la condition prolétaire, entamé par Koffi (remarquable Marc Zinga), de retour au pays avec son épouse blanche et un enfant à venir. Il est là pour déposer une dot. Mais le mot semble toujours se confondre avec celui de cette “dette africaine” qui ne cesse d’entraver le continent de ses chaines infernales. La cérémonie où arrive Koffi vire au cauchemar. Son père ne vient pas et tous les convives lui rappellent terrorisés sa condition d’enfant du Diable en raison de cette marque du diable lui barrant la joue. Un mauvais œil qu’ils espèrent juguler en enfermant le jeune homme dans un immense masque de bois. Le premier film de Baloji, chanteur aux mots magnifiques et danseur au corps évanescent, lui ressemble. Miroir troublant, filmé à l’arrache en vingt-deux jours et pourtant porté par une exigence formelle tour à tour sensuelle, abrasive, rugueuse et en même temps d’une douceur infinie. « Il faut toujours savoir ce que l’on veut raconter. Si on ne le sait pas c’est perdu d’avance » affirme-t-il. Cette conviction nourrit ce film à la beauté intranquille, l’innervant d’un sang grondant de révolte. Il faut savoir oser dans Augure. Respirer, écouter, caresser ce coup d’essai lyrique et sensoriel qui ramasse, dans un geste ravageant de beauté, les innombrables talents de Baloji.
Réalisé par Baloji. Avec Marc Zinga, Yves-Marina Gnahoua, Eliane Umuhire, Marcel Otete Kabeya, Lucie Debay … Durée : 1H30. En salles le 29 novembre 2023.