Des mots aux maux
Dernièrement le documentaire semble s’intéresser plus que jamais au fait de porter son regard à l’intérieur des couloirs de l’hôpital public en crise. L’an dernier, De Humani Corporis Fabrica de Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel et Notre Corps de Claire Simon observaient les corps au plus près. Ce printemps voit fleurir plusieurs films arpentant ces lieux de soin et d’attention des soignants aux patients : Madame Hofmann de Sébastien Lifshitz suit le quotidien de Sylvie, cadre infirmière depuis 40 ans à l’hôpital nord de Marseille (10 avril), État Limite de Nicolas Peduzzi (1er mai) s’immerge auprès de Jamal Abdel Kader, seul psychiatre de l’Hopitâl Beaujon de Clichy, dont la mission consiste à redonner leur humanité aux malades. La psychiatrie c’est aussi le domaine auquel s’est intéressé le documentariste Nicolas Philibert. Avec Sur l’Adamant , il embarquait sa caméra sur ce centre d’accueil de jour, péniche flottant sur l’eau, qui lui valut l’ours d’or à Berlin en 2023, initiant un triptyque dont Averroès & Rosa Parks en est le cœur et le deuxième volet avant un troisième film, La Machine à écrire et autres sources de tracas (17 avril) plus court et léger où l’on suit des soignants-bricolos, affiliés à l’Adamant, visitant des patients à leur domicile réparant leurs appareils électroniques tout en apaisant leurs âmes. Avant de pénétrer à l’intérieur des murs de ces deux services du pôle psychiatrique Paris centre – Averroès et Rosa Parks, surnommés à l’époque « l’asile de Charenton » – le réalisateur filme des plans au drone du lieu. Il permet aux spectateurs comme aux patients d’envisager l’immensité de ce lieu de passage pour certains, de résidence durable pour d’autres. Certains d’entre eux, d’ailleurs, ne sont pas complètement inconnus à celles et ceux qui ont vu Sur l’Adamant, comme François qui chantait « La Bombe humaine » de Téléphone. Pendant 2h30, Philibert place le dialogue au centre d’un dispositif frontal et classique d’entretiens en champs et contrechamps, dans un temps long sollicitant l’écoute attentive de ce qui se joue entre soignants et patients tout en gardant la bonne distance. L’esprit humain se retrouve sondé dans toute sa fragilité entre tourments et lucidité venant titiller nos angoisses communes. Chaque histoire – parfois déchirantes de souffrances – ouvre un univers différent et raconte la solitude des patients, l’humanité du corps médical, les échanges de vie en collectivité pendant les réunions « soignants-soignés ». Jamais le film ne fait abstraction de la violence et du profond désespoir qui occupent ces lieux mais dans cette écoute généreuse et offerte, il rappelle qu’il n’y a pas de petits gestes pour rendre à l’être humain toute sa dignité.
Réalisé par Nicolas Philibert. Durée : 2h23 – Les Films du Losange – En salles le 20 mars 2024.