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Azor de Andreas Fontana

par | 14 Oct 2022 | CINEMA, z- 1er carré gauche

Au coeur des ténèbres bancaires

« Azor : tais-toi, fais attention à ce que tu dis ». Azor, traduction d’une expression suisse qui lève le voile à mi-métrage sur le mystérieux titre du premier film long d’Andreas Fontana co-écrit avec le réalisateur argentin Mariano Llinás (La Flor). C’est dans ce silence calme des banques privées suisses que se situe ce thriller politique. Le cinéaste place son récit, chapitré, à l’orée des années 1980 en Argentine à l’époque de la dictature militaire, mais assume de filmer de nos jours sans reconstitution visuelle, comme pour créer une atemporalité cinématographique. Dans ce pays devenu un « terrain de chasse privé pour quelques hauts placés », se rendent le banquier genevois Yvan De Wiel (Fabrizio Rongione) et son épouse Inès (Stéphanie Cléau) sous prétexte de vacances à Buenos Aires. Leur but premier c’est de découvrir comment l’associé d’Yvan, René Kheys, s’est évaporé dans la nature, et de rassurer par la même occasion les nobles clients locaux. Ils effectuent une espèce de tournée des riches intérieurs et terrains à perte de vue pour rencontrer toute une galerie de personnages auxquels il faut plaire. Chez Fontana, ce silence feutré se glisse dans chaque plan fixe où tout semble se dérouler hors champ… Les secrets, les complots, les rumeurs et surtout la dictature. Est-ce l’influence de l’œuvre de Borges (né en Argentine, mort à Genève) – cité dans un dialogue – qui plane sur le film ? S’il y a bien une présence fantomatique, c’est celle de Kheys, l’associé absent ou disparu dont le nom et le comportement hante toutes les conversations. Tous l’ont connu, et ils ne peuvent s’ empêcher de comparer son exubérance à l’humilité de De Wiel chez qui aucune mèche de cheveux ne dépasse. Dans cette lenteur étrange, empruntant un chemin labyrinthique, la recherche de Kheys s’apparente à celle de Kurtz, le célèbre personnage d’Au cœur des ténèbres de Conrad, auquel Marlon Brando donne corps dans la jungle vietnamienne d’Apocalypse Now, tandis que De Wiel remonte le long fleuve. Des ténèbres dans lesquelles s’enfonce consciemment ou non – impossible de deviner la moindre pensée des personnages – de plus en plus De Wiel, toujours dans le calme et les chuchotements. Autour de lui, chacun semble jouer sa partie, complice, dans cette lente damnation dominée par les finances qui régissent le monde. C’est toute la force du réalisateur, de nous enfermer comme dans un piège, dans un thriller frontal dont le rythme ne s’accélère jamais, et qui pourtant fascine par son ampleur romanesque. 

Réalisé par Andreas Fontana, co-écrit avec Mariano Llinás, avec Fabrizio Rongione, Stéphanie Cléau, Carmen Iriondo… – 1h40 – Suisse, France – En salles le 12 octobre 2022 – Next Film Distribution.

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