À l’affiche d’Astrakan, le premier long métrage de David Depesseville en salles aujourd’hui, Bastien Bouillon interprète le père d’une famille d’accueil aux côtés de Jenny Beth. Un rôle secondaire ambigu entre tendresse et sévérité pour l’acteur qui est enfin nommé au César du meilleur espoir masculin pour La Nuit du 12 de Dominik Moll après… quinze ans de carrière où il n’a cessé de tourner. Rencontre.
Qu’est ce qui vous a attiré à la lecture du scénario d’Astrakan ?
Bastien Bouillon : C’est un film qui a mis du temps à se monter. Il a changé de producteur donc on a eu le temps de digérer notre première rencontre avec David Depesseville. Il y a des films où on peut très vite avoir une vision approximative de ce que ça va donner. Là, on rentre vraiment dans l’univers de David et parfois, c’était dur de tout comprendre. Je ne suis pas un comédien qui a besoin de comprendre, mais je voyais le cinéma, son envie, son geste. On a discuté de sa nécessité. J’ai vu ses courts métrages qui m’ont plu même si c’était une esthétique différente. J’aime les choses qui sont sourdes dans la narration et qui, à un endroit, ne donnent pas de solutions, ne soulignent pas.
Vous interprétez le père du personnage principal, c’est un rôle plus en retrait et un personnage particulier qui selon la scène peut avoir un geste tendre ou violent…
C’est un personnage très secondaire, le père de famille d’accueil. Il est à la fois doux et violent, ambigu. C’était bien de ne pas être dans l’un ou dans l’autre, mais de lui amener de la complexité, car effectivement, la partition n’est pas très grande, donc on a envie qu’elle vive et que ce soit un personnage avec une âme. La partition était écrite de manière plus violente et froide. Et je pense qu’aux essais David a vu que j’amenais de la douceur, il sentait que ça nourrissait une espèce d’humanité de Clément. Et on est parti main dans la main.
C’est la première fois que vous jouez un rôle plus âgé et, en l’occurrence, un père… Vous avez beaucoup interprété des jeunes hommes…
Oui, c’est étrange, car je suis père depuis que j’ai 22 ans, mais on commence à peine à me confier des rôles de père. Je pense que c’est parce que j’ai un truc un peu juvénile. Je ne suis pas au summum de la masculinité exacerbée, pas d’une grande virilité. Mais j’en suis ravi. Là, en plus, il se jouait des choses au scénario. David aimait ma voix. Mais cette scène au début où je mets mes lunettes sur le bout de mon nez et je fais des mots croisés, j’avais du mal à m’imaginer là-dedans. Pour revenir à la première question, c’est vraiment cette rencontre avec David, d’envies de cinéma, de reconnaissance d’un cinéma qu’il aimait, que j’aimais aussi et vers lequel on avait envie d’aller tous les deux.
Vos parents sont dans le milieu artistique. C’était une évidence pour vous de devenir comédien ?
Au départ, au contraire, j’ai plutôt réfuté l’idée. Je voulais être écrivain, avoir mon propre parcours. C’était peut-être de la fierté ou de l’ego mal place. Et puis je me suis fait à l’évidence que c’était ça qui me plaisait et que je voulais faire. Mais j’ai passé un bac scientifique, je n’ai pas fait d’études tout de suite. Après le bac, j’ai passé deux ans pour moi à faire des petits boulots et voyager. Les premiers cours de théâtre, je devais avoir 21 ans. Ce n’est pas si tôt. Certains commencent dès l’option théâtre au lycée.
Il y a eu donc un déclic ?
Je pense que j’avais du mal à l’assumer alors que je le voulais sûrement depuis longtemps. J’ai pris du temps pour voyager avant parce que j’avais peut-être une idée du métier. Au début, je me disais, déjà que c’est compliqué de se faire une place si tu pars plusieurs mois, on peut vite t’oublier. Même en ce moment… J’ai un petit coup de lumière grâce à La Nuit du 12, mais ça fait quinze ans que je travaille et même si c’est un métier de passion formidable, c’est aussi dur. On s’en prend plein la gueule. Même quand on est une grande star, on doit continuer à douter et d’autres problèmes s’offrent à nous. Je ne parle pas de problèmes comme Clément dans le film qui a un travail de labeur, de nuit… Comédien, c’est dur autrement. Tu dépends du regard des autres, c’est très hiérarchisé. On peut te prendre pour un court métrage et ensuite, on prend une star pour faire le long. C’est dur parce qu’on a peur, on se montre, on se livre, on va chercher des choses. Il faut avoir sa tête, savoir se concentrer, abandonner son quotidien, notamment sa famille. C’est un peu déréglant, mais c’est quand même un métier fascinant.
D’ailleurs depuis que vous avez débuté, vous n’avez jamais arrêté de tourner entre les longs, les courts, les séries, les téléfilms…
J’ai commencé par faire de la figuration, puis des petits rôles à la télé, des grands rôles à la télé, des petits rôles au cinéma… Et maintenant un grand rôle au cinéma, même si j’avais déjà eu des premiers rôles. Mais on partageait l’affiche en couple ou bande d’amis. C’est une carrière un peu au diesel et qui sait peut-être qu’elle accélérera, peut-être qu’elle continuera au diesel ou en courant alterné.
Avec La Nuit du 12 de Dominik Moll, vous êtes nommé au César du meilleur espoir, comment voyez-vous le fait d’être encore une révélation après quinze ans de carrière ?
J’avais fait La Guerre est déclarée qui avait été un beau succès, mais j’ai fait beaucoup de films que peu de gens ont vus. La Nuit du 12 a un peu coché les cases du succès critique et public. Ce n’est pas une chose qui me vexe même si je suis avec des gens trois fois plus jeunes que moi parfois. Et ce n’est pas la première fois que ça arrive. J’ai été découvert d’un certain public à ce moment-là, donc pourquoi pas espoir, en tout cas, je garde l’espoir.
Vous n’aviez pas été forcément pressenti pour ce rôle d’ailleurs, non ?
Il y a les lois de financement d’un film qui ont dû venir jouer sur les épaules de Dominique (Moll). Nous, on avait déjà travaillé ensemble (Seuls les bêtes) et il aime dire qu’il ne travaille jamais deux fois avec les mêmes personnes. Il y avait sûrement plusieurs choses qui jouaient, mais un comédien a accepté puis s’est désengagé. Ça m’a un peu chiffonné au début de ne pas être considéré, pas forcément pour ce rôle d’ailleurs, mais pour jouer dans la brigade. Et ça a été une formidable surprise. Je n’ai pas du tout eu de fierté mal placée, j’étais content, j’ai adoré le scénario. Je fais des choix, mais là en l’occurrence ce n’est pas seulement un choix, c’est aussi une opportunité.
Et en même temps, on dirait que ce rôle a été écrit pour vous…
J’ai envie de dire tant mieux pour moi, pour Dominique et pour le film que ça ait été moi. Mais il ne pensait pas à moi. À chaque fois, les équations pour ce film s’imbriquaient à partir du moment où ils se sont mis à écrire avec Gilles Marchand. Ça a été vite, le financement a été rapide… Je suis un peu déçu que France Télévisions ne soit pas venu sur un film comme ça. Ils ont dit qu’ils seraient venus si ça avait été une réalisatrice ou si on trouvait le coupable à la fin. Puis, on a fini de tourner en décembre et il était quand même à Cannes en mai.
Vous avez beaucoup tourné dans des courts métrages, très récemment dans le très beau Partir un jour qui a tourné en festival… pour vous il n’y a pas de différences entre courts et longs quand vous vous engagez ?
Hier, j’étais à Clermont pour présenter un film, j’en ai deux cette année en compétition. Je ne suis pas du tout fermé, mais les deux sont dans la balance donc ce n’est pas tant le format que ce que j’ai à faire dans le court ou dans le long. À quel endroit j’ai le plus de désir par rapport à la partition, le travail, l’investissement… Je n’ai pas du tout envie d’oublier le court, mais maintenant arrivent plus de projets qu’avant grâce au coup de lumière de La Nuit du 12.
Vous sentez la différence parmi les projets que vous recevez désormais ?
Oui beaucoup. Après, je passe encore des castings. Et c’est bien d’ailleurs, j’étais content de passer des essais comme pour Astrakan. Quand on est choisi, c’est rassurant, car on a fait une proposition. Mais je me retrouve enfin à avoir des propositions fermes, ce qui était très rare avant.
Qu’est ce qui vous attire dans un personnage ?
Peut-être qu’un jour, je changerais, mais pour l’instant la partition fait partie d’un tout. Je ne sais pas si je serai capable de me lancer dans un film dans lequel je n’ai pas du tout envie d’apparaître même si le rôle est super. Donc d’abord le scénario, puis la rencontre humaine. Je ne pense pas pouvoir, surtout si j’ai un rôle important, passer plusieurs mois avec quelqu’un avec qui on ne se comprend pas. Sur le plan humain, il faut qu’on se reconnaisse à des endroits. Ça ne veut pas dire devenir les meilleurs amis bien sûr.
Est-ce qu’il y a des types de personnages que vous rêvez d’incarner ?
Non. Quand j’étais plus jeune, je voulais jouer un skinhead belge, mais j’en suis revenu. Je pense que c’est à cause d’un épisode de Strip Tease « Tiens ta droite », en deux parties. Je le trouvais tellement haut en couleur que j’avais envie de jouer une personne comme ça. Mais maintenant non, ça doit faire partie d’un tout. Et pour l’instant, j’ai de la chance, notamment les courts métrages m’ont amené sur des partitions très différentes autant un addict à l’héroïne qu’un jeune écrivain qui chante. Encore là, à Clermont dans un film, je suis un caméraman qui fait des plans de coupes pour des documentaires, en perte de désirs. Il n’a plus envie de filmer des choses belles puisque c’est de toute façon très subjectif et qu’il ne veut pas vendre du faux. Et dans l’autre, je joue un père qui ne voit qu’à moitié sa fille. Là, en ce moment dans les scénarios que je lis, il y a des choses qui tiennent de la comédie pure et d’autres du drame. Je suis satisfait, je n’ai pas de manque en ce moment, ni de fantasmes sur les rôles que j’ai à jouer.
Vous avez réalisé un court métrage, c’est quelque chose que vous auriez envie de poursuivre, l’écriture et la réalisation ?
Oui. Là, je suis en train d’écrire un long métrage. Le court je ne l’avais pas écrit pour faire un court mais c’était le format pour ce que j’avais envie de dire. Et là, je pense que ça ne tiendrait pas en 59 mn ou moins donc je passe au long. Mais je n’ai pas trois synopsis dans le tiroir et des films que je dois faire après. À la limite, j’ai quelques idées. Quand j’ai écrit le court, j’ai mis beaucoup de temps, j’avais commencé à écrire des films vers 22 ans, quand j’ai commencé à jouer. Je ne me sentais pas les épaules. Plus de dix ans après, j’ai fait ce court et là je vais faire un long. La nécessité, c’est un mot employé facilement mais c’est un peu ça. Je n’ai pas l’ambition de devenir réalisateur ou d’assumer d’être comédien et réalisateur comme l’est, et tout à fait à sa place, Louis Garrel. Il fait les deux extrêmement bien et en plus, il arrive même à se filmer lui ce qui est encore plus un mystère pour moi. C’est épatant, il est très fort. Le court m’a donné envie et on verra si le long me donne aussi envie de continuer. Je laisse de la place à mes désillusions ou à l’exaltation de mes désirs, mais je ne les enferme pas.
On a parlé de personnages mais est-ce qu’il y a des cinéastes avec lesquels vous aimeriez tourner ?
Il y a quelque chose d’étrange, il y a beaucoup de cinéastes que j’aime, mais avec lesquels je ne me vois pas du tout travailler. Je pense à Rabah Ameur-Zaïmeche, Damien Odoul ou Mati Diop. Ce n’est pas que je n’ai pas envie, mais dans leur travail, je ne sais pas s’ils iraient vers moi. Mais les gens avec lesquels j’ai envie de travailler, c’est aussi ce truc de filiation. Les réalisateurs avec lesquels j’ai déjà travaillé en court métrage, j’ai envie pour certains de retravailler avec eux sur leurs longs même si ce n’est pas un calcul d’investissement. Et retravailler avec David, Dominique, ou Axelle Ropppert, Sebastien Betbeder. Après, évidemment, j’ai envie de travailler avec Albert Serra ou plein d’autres. Mais avoir un désir si ardent pour une chose si précise qui est le travail de quelqu’un ou même un être humain parfois ça empêche la rencontre. Il y a des films qui me plaisent, mais je ne suis pas obnubilé par l’idée du travail de quelqu’un.
Quels sont vos projets en tant que comédien ?
Umami avec Depardieu qui devrait sortir en mai. Sinon entre La Nuit du 12 et Umami, je n’ai tourné que deux courts métrages. C’est La Nuit du 12 qui m’amène des scénarios. Mais j’ai tourné ensuite un premier film de Baptiste Debraux produit par Agat films et les quatre personnages principaux sont Léa Drucker, Marion Barbeau, Pierre Lottin et moi. C’est un film assez hybride. Comme dans Partir un jour, c’est un auteur qui retourne dans son village d’enfance après avoir coupé les liens avec ses parents et ses amis pendant quinze ans. Il y retourne parce que son ami d’enfance a braqué un fourgon de la BRIC pendant une grève donc c’est un film à la fois social, d’amitié et de filiation. Il a un peu pâti de ne pas rentrer dans une case pour les financements. C’est très compliqué. Mais c’est le premier film de cinéma que je tourne après La Nuit du 12 car Astrakan, je l’ai tourné avant le covid et Umami après donc tous les films qui sortent là étaient déjà tournés. Depuis ce petit coup de baguette magique pour l’instant, je n’ai pas encore tourné. Il faut à la fois profiter de ça et se faire rare, il ne faut pas sauter sur tous les projets, en tout cas selon moi.