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Berlinale 2024 : Le doc français – encore – à l’honneur !

par | 27 Fév 2024 | CINEMA, Reportage, z - 2eme carre gauche

Fait exceptionnel : Après l’Ours d’or 2023 remis à Nicolas Philibert pour son documentaire sur un service de psychiatrie parisien flottant Sur l’Adamant, c’est cette année la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop qui lui succède avec son sublime Dahomey consacré à la restitution d’œuvres au Bénin par la France. Dans les sections parallèles de la Berlinale, le documentaire d’initiative française a également séduit et bouleversé les jurys berlinois à l’instar du déchirant  Une famille de Christine Angot (prix du jury de lecteurs de Tagesspiele) et de Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell (prix du meilleur film de la section Encounters). 

Côté fictions françaises, on passera rapidement sur le film de “confinement” d’Olivier Assayas, Hors du temps, huis-clos bourgeois poussif et autobiographique qui ne procure qu’un malaise profond ou sur la tentative de Star Wars sur la Côte d’Opale de Bruno Dumont, L’Empire (Ours d’argent ! Et déjà en salles) qui, malgré de beaux vaisseaux-cathédrales, provoque un ennui profond quand il ne fait pas preuve d’un sexisme d’un autre âge…  On s’attardera plutôt sur deux films pas complètement réussi mais qui, chacun à leur façon, permettent de raconter l’époque et de tenter d’en contourner l’inhérente binarité. Dans Langue étrangère, en compétition officielle, Claire Burger raconte la rencontre sensuelle et amoureuse entre une jeune Française, Fanny, et une jeune Allemande, Lena, lors d’un échange linguistique entre Leipzig et Strasbourg. Le film séduit par son beau regard sur ses deux personnages féminins, adolescentes complexes et en construction, chargées des traumas et dysfonctionnements familiaux. Quand il tente de parler de la jeunesse via la lutte radicale, le film semble s’empêtrer dans les clichés, dans une superficialité qui contraste avec la finesse de ses portraits de famille et d’ados aux désirs naissants. Même reproche concernant le vétéran Téchiné, dont le nouvel opus Les Gens d’à côté était présenté hors-compétition. Si son trio de personnages improbable fonctionne (Isabelle Huppert en flic en pré-retraite et ses nouveaux voisins, parents d’une petite fille, Nahuel Perez Biscyart, artiste engagé dans les milieux “black blocks”, et son épouse revenue de tout, incarnée par Hafsia Herzi), tout se qui touche aux luttes politiques radicales semble artificiel, fabriqué… On comprend d’autant mieux ce qui séduit dans les documentaires français présentés durant cette Berlinale. Dès sa première projection presse dans le grand Palast de Postdamer Platz, Dahomey de Mati Diop avait tout gagné. En un peu plus d’une heure, la cinéaste franco-sénégalaise, raconte à 360 degrés, la restitution de 26 œuvres volées par la France à la fin du XIXème siècle. Le film fait corps avec une statuette, invoque sa voix intérieure et met à jour les débats provoqués sur place par ce retour. D’une beauté simple et envoutante, Dahomey est un concentré de cinéma (lumières, dialogues, visages; paysages, idées, histoire…) passionnant qui laisse une trace indélébile comme un sort qui nous obligerait à penser. Nicolas Philibert; la lauréat 2023 de l’Ours d’or, présentait, hors-compétition, la suite de sa plongée dans l’univers de la psychiatrie avec Averroès et Rosa Parks (en salles le 20 mars prochain). En 2h23 qu’on ne sent pas passer, il va plus loin que dans son film précédent en laissant le temps de sonder au plus profond les quelques patients suivis. Il ouvre des accès qui semblent inédits sur le fonctionnement de l’être. Ses personnages sont tous à la fois émouvants, énervants, drôles, directs, d’une humanité puissante. Autre belle surprise documentaire : les premiers pas au cinéma de l’autrice Christine Angot avec Une famille, présenté dans la section Encounters. Profitant d’une invitation au salon du livre de Nancy, Angot décide de faire un détour par Strasbourg avec des amis et une caméra pour confronter la femme de son père, celle qui vivait avec lui lors des débuts de l’inceste qui lui fut imposé. Après cette confrontation d’une violence rare, la réalisatrice s’entretient avec ses proches, sa mère, son ex-mari ou son compagnon actuel avec toujours cette volonté de comprendre l’aveuglement général qui a entouré cette expérience traumatique. On a l’impression de rencontrer Christine Angot pour la première fois, de la rencontrer complètement, de découvrir ce qu’elle tait même dans ses livres et c’est tout simplement bouleversant avec en point d’orgue ce dialogue final avec sa fille, la seule qui ait les mots justes. Un film qui, malgré son sujet et sa frontalité, déborde d’amour. Enfin, c’est un ovni documentaire qui a séduit le jury Encounters et qui a été récompensé par le prix du meilleur film dans cette section : Direct Action co-réalisé par le Français Guillaume Cailleau et l’Américain Ben Russel. Le duo a suivi pendant de longs mois la vie quotidienne de ce qui reste de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes après sa victoire contre le projet d’aéroport. Et, là où la fiction comme les news ne voient souvent que la surface (de la violence, des grosses voix, des cris et des blocages), le documentaire donne accès à la vie quotidienne, aux gestes, à ce retour à la Terre et à la vie en communauté avec un regard à la fois bienveillant mais surtout apaisé. Direct Action, c’est le contrepied de tout ce qui nous a été donné à voir sur ces militants, et ses 3h36 font le choix du temps pour comprendre ce que les reportages de 2 minutes 30 ne verront jamais. C’est certes un peu long mais ces scènes qui prennent leur temps fonctionnent comme une installation artistique, quasi hypnotique, dans laquelle on a le loisir de se plonger en toute quiétude.

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