Ils sont à l’affiche du nouveau film d’Emmanuel Mouret, Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Camélia Jordana interprète Daphné, monteuse de film, Niels Schneider, Maxime, un peu poète, un peu paumé. Nous les avons rencontrés au Festival du Film Francophone d’Angoulême où le long métrage était présenté en avant-première.
Niels, pourriez-vous nous parler du personnage de Daphné, et Camélia, du personnage de Maxime ?
Camélia Jordana : Ah c’est vachement plus facile comme exercice ça ! Je me lance. Maxime, c’est un type qui a le cœur brisé. Il a du mal à exprimer ce qu’il ressent, ses désirs comme ses chagrins. Je le trouve très « empêché », il ne s’autorise pas à faire les choses qu’il a envie de faire et cela à la fois dans sa vie privée et dans sa vie professionnelle, et en même temps, il est hyper doué. Il a beaucoup de sensibilité, un œil singulier sur le monde, et je crois que c’est ce qui plait à mon personnage dans le film.
Niels Schneider : C’est bien vu. Daphné, c’est une femme qui a cru en son désir mais qui a été déçue, elle aussi, en amour. Elle s’est résignée et a fait le choix de la sécurité plutôt que de la passion. C’est comme ça qu’elle conçoit sa relation avec François (Vincent Macaigne, NDLR), une relation qui est plus confortable pour elle, qui a toutes les raisons de marcher sur le papier. Je pense qu’elle se dit que c’est une relation qui ne la décevra pas. Que la déception est un sentiment qu’elle ne connaîtra plus avec François. Puis elle rencontre Maxime, et la surprise regagne du terrain dans sa vie douce mais polie. Elle est clairement mise face à un dilemme : François, la sécurité, l’amour confortable, ou Maxime, l’inconnu, le nouvel élan ? C’est un jeu risqué celui de l’amour, et Daphné mesure beaucoup les risques, parce qu’elle doute, parce qu’elle s’interroge sur les choix qu’elle fait et les conséquences qu’ils peuvent avoir.
Camélia Jordana : Garder la raison, c’est rassurant pour elle. C’est quand son cœur s’emballe que les problèmes commencent. Moi, elle me touche Daphné parce que je trouve son approche hyper sincère. Elle est romantique, elle croit aux histoires d’amour romantiques.
Le cinéma d’Emmanuel Mouret, c’est un cinéma qui met souvent le texte au centre. Comment on trouve le bon ton, le bon rythme, la bonne note ?
Camélia Jordana : Ça m’a demandé un vrai travail, parce qu’avant ce film là, même dans Curiosa où j’étais déjà avec Niels, je n’avais pas à jouer de personnage si volubile. Dans mon souvenir, le texte dans Curiosa m’apparaît moins littéraire que celui du film d’Emmanuel, alors que Curiosa est un film d’époque, en costumes. Il y avait en tout cas beaucoup de texte, et je n’en avais pas l’habitude. J’ai passé mon temps à chercher des nuances, des notes différentes. J’ai tendance à exprimer mes idées, parce que j’en ai beaucoup ! Mais Emmanuel, lui, a une idée très précise de ce qu’il veut généralement. Il nous donnait des indications de déplacement, de positionnement de tête ou de regard, tout est au millimètre avec lui, c’est un metteur en scène méticuleux qui a le sens du rythme et qui le transmet. Donc il faut arriver à trouver sa liberté dans ce cadre-là, et effectivement, j’avais plein de possibilités qui s’offraient à moi, et j’ai voulu essayer des choses différentes, tout en restant dans ce cadre qu’il avait défini.
Niels Schneider : Oui, pour rebondir sur ce que dit Camélia, ce sont deux méthodes inverses. Curiosa était un film d’époque qui, par son ton contemporain, faisait oublier l’époque dans laquelle l’action se déroulait. Ici, c’est un film contemporain, mais on l’oublie au profit d’une musique plus classique, on est emporté ailleurs, dans un temps suspendu, presque indéfini.
Il y a donc aussi un travail de l’ordre de la chorégraphie ?
Niels Schneider : Oui, et personnellement, j’aime beaucoup ça, ça stimule vachement. Bien sûr le verbe est au centre, mais il est comme une balle que se renvoient les personnages, et il faut suivre les échanges et les rebonds, comme dans un match de foot ou de tennis. Le cinéma, celui que j’aime, c’est souvent l’affaire d’un regard, d’une mise en scène originale. Nous, acteurs, on s’inscrit là-dedans, et c’est génial d’en avoir conscience. Quand tu en as conscience, tu trouves, comme le disait Camélia, ton espace de liberté. Ça donne du cinéma vivant, des personnages vivants. De comprendre pourquoi Emmanuel nous veut dans le cadre de cette manière, statique ou en mouvement, à faire des petits pas ou pas, ça a du sens pour moi. En fait, je crois que le naturel n’intéresse pas Emmanuel, parce que par définition, le cinéma n’est qu’artifices. Quant au texte, à cette langue soignée, elle me touche plus profondément et intimement que certains textes plus contemporains, plus codifiés. On ne lit pas toujours non plus des scénarios aussi brillants que celui d’Emmanuel, faut le dire ! Tout était tellement riche, la structure, l’écriture, les dialogues, c’était vraiment très impressionnant.
Est-ce que ces personnages que vous interprétez vous ont appris des choses sur vous-même ?
Camélia Jordana : Je ne sais pas, mais je dirais que j’ai un point commun avec Daphné, qui ne m’a pas tout de suite sauté aux yeux à vrai dire. Dans la vie, de par mon métier de chanteuse aussi, je suis assez directive et je dis les choses de manière assez spontanée quand quelque chose me dérange ou ne me convient pas. C’est une façon d’avancer, je vise souvent l’efficacité. Mais dans ma vie privée, c’est tout le contraire, je suis un peu comme elle, je peux ressentir des choses et les taire fort. Je suis en travaux (rires).
Niels Schneider : Comme Maxime, je peux avoir tendance quand j’ai une certitude sur un sujet ou autre à tout de suite penser à l’argument qui contredit cette certitude, et ça peut vite rendre fou (rires) !
Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Avec Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne, Jenna Thiam… Durée : 2H02. En salles le 16 septembre 2020. FRANCE.Pyramide