Avoir les crocs
Après l’excellente adaptation de la série norvégienne Skam ou les enthousiasmants Mental, Parlement et Louis 28 , SlashTV confirme sa place prépondérante dans la production de séries françaises. Dépassant par la qualité de ses programmes et la diversité très inclusive de ses écritures le “cahier des charges” qui la destine prioritairement aux jeunes adolescents. Avec Caro Nostra, la chaîne entièrement numérique du service public, confirme sa capacité à nous séduire, nous surprendre et nous enchanter. Même si enchanter n’est pas exactement le mot qui convient ici.
Chez les Vigan, on n’est pas vegan. Loin de là. Mais en revanche, on adore son prochain. A tel point que l’on en fait sa nourriture préférée. Matin, midi et soir on se repaît de la tendre chair humaine. Des ogres anthropophages au vieillissement ralenti dont Vadim et Antigone sont les héritiers. Deux lycéens torturés et mélancoliques mais affamés, qui aimeraient fuir le lourd passé de leur famille et tomber amoureux. Même si dans leur lignée, aimer est un mot à la sinistre résonance…
Après les demis réussites des séries Marianne et Mortel sur Netflix, on pensait le registre horrifique à la française maudit. Caro nostra vient nous prouver qu’il est permis de garder espoir. Le scénario regorge (ou devrait-on dire dégorge) d’intrigues diverses, articulées avec sagacité dans un écheveau qui, entre polar noir et fable gothique, referme son piège macabre et ironique sur le spectateur. La mise en scène joue pleinement la carte du genre gore avec créatures maléfiques et jaillissements de sang plein cadre. Une réalisation référencée, toute en hommage à la série B et bien flippante, où les hors champs visuel et sonore, savamment travaillés, vous font malmener les accoudoirs de votre fauteuil. La lumière crépusculaire travaillant à vue des opacités anxiogènes ainsi que des clairs obscurs froids et mélancoliques, semble sortie des illustrations inquiétantes de Gustave Doré.
Quelque part entre Les Mystères de Paris pour le registre feuilleton macabre à ressorts et X Files pour sa capacité à moderniser le genre, la série créée par El Diablo d’après sa bande dessinée, secondé ici par Jean-Pierre Pascaud et Iris de Jessey, est une excellente surprise. Valant entre pour autres son humour incisif et sa capacité à dessiner des personnages égarés, tiraillés entre leur condition vitale et leur aspiration à renaître des cendres de celles-ci. Car c’est bien de déterminisme qu’il est question ici. Et de la prétendue impossibilité de s’en échapper. Il n’est pas non plus interdit de voir dans ce récit une réflexion sociétale en forme de parabole dénonciatrice d’un monde qui cherche à tout prix de nous convaincre que pour survivre il est nécessaire de dévorer les autres. Un sous-texte politique qui n’est pas pour nous déplaire.
Une série créée par El Diablo, Jean-Pierre Pascaud et Iris de Jessey avec Ella Pellegrini, Abraham Wapler, Sonia Faidi. Saison 1 de 5 épisodes diffusée sur TV Slash