Révélée par Les Éblouis de Sarah Suco, Céleste Brunnquell joue Camille dans En thérapie, championne de natation aux deux bras plâtrés et aux idées noires. C’est la benjamine des patients de Philippe, une adolescente profondément esquintée qui essaie de ne pas couler. Eaux troubles. Rencontre avec Céleste Brunnquell.
Comment avez-vous réagi à la lecture du scénario et comment avez-vous abordé votre personnage ?
Céleste Brunnquell : En fait, j’ai d’abord passé des essais avant de lire le scénario. Je savais seulement au départ qu’il s’agissait d’une série chapeautée par Toledano et Nakache, je n’avais pas entendu parler de la série israélienne ou de ses déclinaisons internationales. Donc j’ai lu le scénario après avoir été prise, et j’ai beaucoup aimé. J’ai trouvé le rôle de Camille très intéressant. Comparé aux autres personnages, Camille semble être en apparence moins affectée par les attentats du Bataclan, elle en parle moins lors de ses séances avec Philippe. Camille m’a touchée parce que c’est une adolescente à fleur de peau, qui se demande si elle est folle ou pas. On a beaucoup travaillé sur ça avec Pierre Salvadori (qui réalise les épisodes dédiés à Camille, NDLR) : quand est-ce que Camille ment ? Quand est-ce qu’elle dit la vérité ? Il y avait une balance à trouver, même dans la relation qu’elle entretient avec le psy, parfois c’est très tendu, comme dans un duel, parfois c’est plus tendre ou complice. J’ai beaucoup aimé ce mélange de couleurs qu’on devait trouver tous ensemble. On reconnaît bien la patte de Salvadori. Ses films sont aussi traversés par plusieurs couleurs et registres, et même si En thérapie n’est jamais une comédie et qu’il y a une unité artistique globale, je trouve que chaque réalisateur a tout de même gardé son style. Par exemple, Pierre a fait peut-être plus de gros plans, plus d’inserts, sur des objets, des détails, il travaille l’ellipse aussi, les ruptures de ton. Le seul matériau qu’on a ici, c’est le texte, et chercher à le faire vivre et à lui donner des nuances, c’était super intéressant comme exercice.
A travers Camille, plusieurs questions d’actualité font surface : la libération de la parole, MeToo, les abus dans l’univers du sport et du sport-études. Aviez-vous cela en tête lorsque vous avez abordé ce rôle ?
Céleste Brunnquell : Inconsciemment peut-être, mais je n’ai jamais voulu être le porte-voix de quoique ce soit, et je crois que Camille n’a pas non plus conscience de tout ça. Ce qui m’importait, c’était son expérience à elle. Quand nous avons tourné, il n’y avait pas encore eu les révélations de Sarah Abitbol par exemple. J’ai vraiment abordé Camille par le prisme de l’intime. Nous avons presque le même âge, je n’ai jamais fait de sport de haut niveau et j’ai d’ailleurs dû porter des épaulettes pour paraitre un peu plus baraquée, pour avoir la carrure d’une nageuse. A plein d’endroits, je suis différente de Camille, mais à d’autres, je me retrouve. Surtout, je la comprends. Je suis en empathie avec elle.
Il y a le texte, il y a les dialogues, il y a aussi le langage du corps. Même si Camille est souvent assise, son corps n’est jamais vraiment statique. Ça fait aussi partie du travail que vous avez fait avec Pierre Salvadori ?
Céleste Brunnquell : Je ne crois pas qu’on en ait vraiment parlé, il y avait de toute façon ses épaulettes à porter qui changeaient ma posture. La plupart du temps, Camille est assise, Pierre m’a dit de ne pas hésiter à bouger si j’en avais envie, mais j’étais un peu inhibée à cause du texte et de la parole au départ, je n’osais pas trop. On m’a fait remarquer à la fin du tournage que je jouais beaucoup avec mes mains, que je tortillais mes doigts, mais c’est parce que j’étais nerveuse, et aussi parce que je me mettais à la place de Camille. En amont du tournage, on a fait des lectures avec Pierre, pour avoir le texte en bouche et changer les choses qui n’allaient pas. Les dialogues étaient super bien écrits, parfois certains mots étaient un peu trop littéraires et du coup, en situation, ça ne fonctionnait pas tout à fait pareil. J’étais contente qu’on me demande mon avis sur ces petits détails, je me suis sentie vraiment impliquée.
A quel moment rencontrez-vous Frédéric Pierrot qui joue le psy, Philippe ?
Céleste Brunnquell : Au moment du tournage ! En fait, la série a été tournée dans l’ordre chronologique, et finalement, la relation entre Camille et Philippe avançait en même temps que la notre à Frédéric et moi, c’était vachement intéressant. Étant donné qu’il n’y avait pas eu de répétitions à proprement parler, le travail s’est vraiment fait sur le tournage, trouver la bonne distance, le bon rythme. Ça m’a donné l’impression d’un jeu, d’un puzzle à reconstituer. Je me suis vraiment laisser aller à cette méthode de travail qui était pour moi une expérience, parce que c’est la deuxième fiction dans laquelle je joue, et ça a été assez facile dans le sens où j’avais complètement confiance en Pierre. J’étais disponible pour les informations que Pierre me donnait. Souvent, je commençais par en faire le moins possible sur les premières prises, et progressivement, j’augmentais le curseur. Mais en réalité, le personnage était si bien écrit que tout était là, à ma portée. Ce qui a été le plus déroutant pour moi, c’était davantage de réussir à me mettre à nu devant une équipe que je ne connaissais pas. C’est très intime ce que Camille raconte, et puis on tournait en équipe réduite, j’avais parfois l’impression d’être comme sur une scène de théâtre, exposée, et ça, ça n’a pas été évident tout de suite. Mais la pression est vite redescendue. Ce qui est intéressant entre Philippe et Camille, c’est que parfois, la distance que pose la cure est rompue, parce qu’on est tous des êtres humains, et on a chacun certaines paroles ou gestes qui nous échappent. C’est en regardant la série une fois terminée que je me suis rendue compte que le cas de Camille inquiétait vraiment Philippe, qu’il en parlait avec sa contrôleuse (jouée par Carole Bouquet, NDLR). Puis surtout, j’ai pris davantage conscience de la vie de Philippe, de ce qu’il traverse avec sa femme, ses enfants… Je ne savais pas qu’il était si névrosé ! Il ne va pas très bien non plus…
En parlant de névroses, on parle beaucoup en ce moment de l’impact psychologique de la crise, de la pandémie. Pensez-vous, à titre personnel, que la psychanalyse puisse apaiser nos souffrances ?
Céleste Brunnquell : Oui, je pense. Je n’ai jamais fait de thérapie, je ne sais pas si ça peut avoir un effet sur tout le monde, mais je crois bien sûr au travail qu’on peut faire sur soi, par la parole. Ça ne rend peut-être pas plus heureux, mais ça ne peut certainement pas faire de mal. La série en rend bien compte je trouve. C’est la parole, c’est l’écoute, c’est l’introspection.
Et avez-vous l’impression qu’on s’écoute mieux ?
Céleste Brunnquell : Pas vraiment non. La parole est souvent parasitée par plein de choses, plein de bruit, on reste en surface, on est bouffé par trop d’informations. C’est ce que j’ai aimé aussi dans la série, qu’elle aille si profond, les silences, l’ambiance, la discrétion de la musique, la manière dont, dans le cabinet, on fait de la place aux mots. On écoute vraiment. Ce n’est pas une série de divertissement. Elle demande une vraie concentration, et demander ça aux téléspectateurs, je trouve ça intéressant. C’est une marque de confiance.
Où est-ce qu’on vous retrouve prochainement ?
Céleste Brunnquell : Je tourne à l’été dans un premier long métrage avec Quentin Dolmaire, j’ai le premier rôle et Garance Marillier joue ma sœur. L’histoire est chouette, c’est un film doux, et c’est réalisé par Jeanne Aslan et Paul Saintillan.
En thérapie, série diffusée le 4 février sur Arte et disponible dans son intégralité sur le site d’Arte.