Dans La Fille de son père d’Erwan Le Duc Céleste Brunnquell et Nahuel Pérez Biscayart incarnent un duo père/fille attachant et atypique. FrenchMania a rencontré les deux comédiens pour parler de ce scénario qui les a ému, de cette expérience collective sur le tournage et de leurs envies d’un cinéma libre et décalé.
Qu’est-ce qui vous a plu à la lecture du scénario de La Fille de son père ?
Nahuel Pérez Biscayart : C’est difficile d’intellectualiser ce qui m’a touché. J’ai lu le scénario une nuit pendant le tournage d’un autre film. Je voulais seulement jeter un coup d’œil avant de me coucher pour savoir de quoi il s’agissait. Et… je n’ai pas pu m’arrêter ! Ce scénario était d’une finesse et d’une délicatesse rares. Tout était drôle, tendre, poétique et libre. On pouvait sentir l’auteur derrière les lignes et une parole très personnelle. Ça m’a donné envie de connaître cette personne. J’aime les gens qui survivent avec beaucoup de courage, qui avancent dans la vie en partageant de l’amour. Il y a ça chez Étienne et Rosa. Rosa, c’est une fille qui peut être toutes les filles du monde, qui a une liberté irrévérencieuse et c’est touchant de voir la construction d’une femme libre et forte qui est capable d’aimer son père et de lui apprendre à aimer. Je pleurais à la fin de la lecture.
Céleste Brunnquell : Moi aussi je pleurais à la fin. Je ne pourrais pas dire mieux. En général, je n’aime pas trop m’arrêter sur le personnage pour essayer de savoir si, moi, je pourrais l’interpréter. Tout est possible ou rien et ça dépend vraiment avec qui tu travailles. J’avais quand même adoré Perdrix et je savais qu’Erwan Le Duc était fidèle à son équipe. Cette ambiance de tournage me tentait. En même temps, ce personnage avait quelque chose de radicalement opposé aux rôles d’adolescente que je joue d’habitude. Même dans son rapport au désir ! Les relations entre les différents personnages sont passionnants car pas si évidents. Il y a une relation fusionnelle entre le père et la fille et en même temps il y a de la place pour les personnages d’Hélène et de Youssef. C’est très sain.
Et justement, dans ce décalage, vos personnages, et même les personnages secondaires s’expriment avec une grande franchise. Est-ce qu’en tant que comédien, c’était amusant de jouer ces personnages qui parlent toujours avec honnêteté ?
Nahuel Pérez Biscayart : Ça change des autres films et c’est libérateur ! Mais c’est une bonne question car parfois, les films sont trop subtils, peu audacieux et ça peut devenir prétentieux. Erwan a cette capacité poétique d’évoquer des choses et d’y aller à fond avec une sorte de liberté lyrique. Ce sont comme des mini-fenêtres qui s’ouvrent dans les discours des personnages qui parfois peuvent ne rien dire, être interloqués et d’autres fois arrivent à s’ouvrir avec une grâce assez incroyable. Je pense que pouvoir jouer avec ces deux interrupteurs qui prennent le relais, c’est une tâche assez intéressante pour un acteur ou une actrice.
Céleste Brunnquell : Oui complètement ! Et autant au niveau des textes qu’au niveau du corps… Erwann va au bout et ébranle, je trouve, une certaine vision du cinéma par la parole et le geste.
Nahuel Pérez Biscayart : Et ce n’est pas contradictoire. Ça complexifie le film.
« Erwan a cette capacité poétique d’évoquer des choses et d’y aller à fond avec une sorte de liberté lyrique » Nahuel Pérez Biscayart
Le scénario de La Fille de son père est très écrit. C’est un film de dialogues et comme vous le dites on voit qu’il y a un travail très physique dans le jeu. Comment vous avez travaillé cet aspect presque chorégraphique ?
Céleste Brunnquell : Pour la relation entre Étienne et Rosa, on a vu une chorégraphe pour créer ce rapport de confiance et pouvoir aller plus loin. Et sur le tournage, on était beaucoup dans la maison, c’était un espace qui nous était vraiment familier. Il y avait un tel travail de déco et de détails avec des objets dans chaque tiroir… C’était devenu notre maison et surtout notre terrain de jeu. Il fallait s’approprier tout cet espace.
Nahuel Pérez Biscayart : Oui, la maison était déjà habitée par une sorte de lyrisme. Tout le film était aimanté de cette liberté où il y avait la place, justement, pour que les corps s’expriment de manière très simple. Je pense que c’est ça la force d’Erwan, de pouvoir trahir la trajectoire qu’on serait censé suivre naturellement. Mais est-ce qu’on a beaucoup travaillé le corps ? Je ne crois pas. Après, moi, j’aime beaucoup travailler avec le corps. Et lui, il avait des idées, il voit ce terrain de jeu et toutes les possibilités physiques du décor. C’était très intuitif.
Céleste Brunnquell : Oui et tout était fait dans le présent. Il pouvait se contredire avec ce qui avait été vu avant. Il fallait aussi s’en débarrasser au moment du tournage et ne pas avoir peur d’utiliser l’espace qui est devant soi pour faire les choses au présent.
Nahuel Pérez Biscayart : Et se permettre aussi d’assumer la théâtralité qui existe aussi dans la vie. Ce n’est pas parce que c’est dans le cadre du cinéma qu’il faut être naturaliste et subtil. Dans le réel, il y a de la fiction et de la fantaisie, tout le temps.
Céleste Brunnquell : Il y a des choses plus invraisemblables qu’au cinéma. Même l’humour ! Ce qui me touche dans le film d’Erwan c’est qu’il y a toujours une drôlerie, une poésie. C’est sincère !
Vous voulez dire que ça vous a paru plus proche de la vie que d’autres tournages ?
Céleste Brunnquell : En tout cas, une vie un peu plus utopique, mais vers laquelle on tendrait car tout est possible. Et il faut se donner les moyens de s’offrir cette vie-là, par le geste.
Nahuel Pérez Biscayart : C’est important aussi quand on pense au cinéma, de ne pas le concevoir comme un constat ou une représentation fidèle d’un naturalisme qui n’est même pas naturel. Ce n’est que du langage. Et il faut assumer, justement, cette liberté dans le sens où on peut aussi projeter des images, des tons, des intentions qui soient aussi des paradigmes qui n’existent pas. C’est aussi un geste esthétique et politique de se dire, dans le cinéma, on peut se permettre de planter ou semer des logiques qui sont belles, spéciales et sensibles. Sans se poser la question : Est-ce que c’est réel ou non ? Si on fait de la fiction, c’est justement pour pouvoir partir un peu ailleurs, pour pouvoir étendre le geste humain.
Et Erwan Le Duc confiait que sur ses tournages, il y a pas forcément d’improvisation mais qu’il y avait la libre possibilité pour les actrices et acteurs de faire des propositions. Qu’est ce vous avez eu envie de proposer pour ce film ?
Céleste Brunnquell : C’est vrai que la construction des scènes se faisait collectivement et avec l’équipe technique. Tout le monde pouvait avoir son mot à dire aussi sur la scène et sur ce qu’on faisait tous ensemble. C’était une famille. Et moi, je découvrais un peu tout ça et j’étais comme Rosa. J’assistais en suivant les élans de chacun.
Nahuel Pérez Biscayart : C’est marrant, parce que dans le scénario d’Erwan, tout est tellement logique, dans sa propre logique, que tu ne te rends pas compte si tu es en train d’improviser quelque chose même si c’est un mini geste ou un mini regard, mais c’est toujours un peu dans la même logique de ce que lui dégage. Il est très généreux dans sa démarche. Je crois que la scène de l’escalade n’était pas écrite avant le tournage. Il a proposé que j’escalade à la fin comme le personnage de Youssef. Je me suis mis à grimper. Tout était très naturel et fluide, comme si c’était une partition.
Comment avez-vous travaillé et construit ce duo père/fille ensemble ?
Nahuel Pérez Biscayart : On l’a vécu ? Non ? Je ne sais pas.
Céleste Brunnquell : On s’est rencontré avec cette histoire, enfin cette fiction-là. Ça fait toujours un truc bizarre de rencontrer quelqu’un pour la première fois pour un rôle. Et en même temps, quand la relation devient belle et forte, tout se mélange un peu par endroit. Et comme ce n’est pas un modèle père-fille traditionnel, on n’avait pas tellement à jouer le père et la fille, mais juste un binôme.
Le trajet du film reste basé sur ce duo et comment ces deux personnages vont prendre leur place et s’émanciper tout en restant très liés…
Nahuel Pérez Biscayart : Avant-hier on m’a posé la question : est-ce que vous avez fait des recherches sur les pères seuls ? Et il se trouve que j’avais envoyé un petit message à un père seul et qu’il ne m’a jamais répondu. C’est intéressant justement de ne pas aller imiter, pour pouvoir créer un lien et un binôme qui soit propre au film avec ses propres lois et ses propres logiques. Et je suis très admiratif de la démarche de Céleste, je pense qu’il y a aussi un regard de Nahuel envers Céleste qui est très tendre. L’amour d’un père c’est aussi ça, ne pas vouloir envahir mais plutôt accompagner la liberté de l’autre. Il y a une sorte de distance et de respect dans l’amour qui se remplit de regards et de tendresse sans forcer ou sans fabriquer, en se servant de cette distance un peu mystérieuse entre les êtres humains. C’est aussi simple que ça. Pour moi, c’est comme si la fiction était aussi un documentaire sur des personnes qui se mettent dans la peau d’autres personnes.
« Pour moi, c’est comme si la fiction était aussi un documentaire sur des personnes qui se mettent dans la peau d’autres personnes » Nahuel Pérez Biscayart
Quelle est la place de la comédie dans vos jeux d’acteurs à chacun ?
Nahuel Pérez Biscayart : En général, je ris des choses qui ne font pas rire les autres. Donc, j’ai un rapport avec la comédie qui est un peu tout le temps à côté.
Céleste Brunnquell : C’est un peu pareil pour moi. Mais là, par exemple, dans le film qui une comédie, je n’ai pas toujours l’impression d’être drôle. Je suis plutôt dans la réponse à ce qui se passe devant et autour de moi. Je dis pas que je suis la rabat-joie du tournage, mais je ne me sens pas porteuse de gags.
Nahuel Pérez Biscayart : Oui, parce que ce ne sont pas les personnages qui sont drôles. C’est l’écriture et le rythme de la partition. Il faut juste avoir la légèreté et se permettre de circuler dans cette mélodie créée par Erwan.
Céleste Brunnquell : Et tu te rends compte de ça quand il y a Noémie Lvovsky qui arrive et que elle doit s’adapter et qui en souffre. C’est là que tu comprends tout ce que ces personnages se permettent. Et à quel point, ce n’est pas un film tellement décalé du monde actuel.
Quand vous choisissez des scénarios, des rôles… Vous ne faites pas de différence entre drame et comédie ?
Céleste Brunnquell : Non, pas spécialement. Moi, je reçois plutôt des scénarios dramatiques où il y a un objectif dans le film et la trame narrative va essayer d’avancer vers lui. On m’envoie beaucoup de films naturalistes avec un personnage qui vampirise tout le monde. Donc il n’y a pas de places pour une forme d’humour ou de décalage de points de vue. J’aimerais qu’il n’y ait plus vraiment de genre, un cinéma libre.
Nahuel Pérez Biscayart : C’est intéressant car ça change selon le moment de la vie dans lequel tu te trouves, ce que tu cherches, ce dont tu as envie. Moi, j’ai envie de vivre et d’éprouver. C’est un peu comme un voyage. Je me demande : « Est-ce que j’ai envie de traverser cette histoire maintenant ? » J’ai tendance à ne pas vouloir faire de films avec des thématiques politiques et un message mais qui manqueraient de liberté. Il faut que l’observation puisse se poser sur des choses qui ne sont pas centrales au conflit du film. C’est une expérience mais c’est aussi un voyage, que toi, tu peux vivre d’une manière différente que moi. Et c’est ça ce qui fait la richesse d’un film. Dernièrement, j’ai vu tellement de films à thèmes. Je préfère voir des documentaires avec des personnes qui se livrent et qui se montrent devant la caméra que de voir des acteurs rejouer ou représenter.
Céleste Brunnquell : Et c’est un truc de manipulation. Pacifiction est un des rares films qui est une espèce de spirale infernale où l’action n’avance pas. Il y a des enjeux assez énormes qui planent sur le film mais il y a des scènes de 10 minutes d’un mec un peu bourré, mais pas insupportable qui raconte un peu des conneries…Tu comprends sans comprendre. Je trouvais que c’était assez courageux de prendre le temps de montrer ça.
« J’aimerai qu’il n’y ai plus vraiment de genre, un cinéma libre » Céleste Brunnquell
Pour finir, quels sont vos projets ?
Céleste Brunnquell : J’ai tourné dans un premier long où je tombe amoureuse d’un vampire, En attendant la nuit. Après il y a un film sur Maria Schneider de Jessica Palud. Et un film d’enquête où je fais la stagiaire de José Bové au Parlement Européen. Je vais commencer des répétitions de théâtre pour Juste la fin du monde également. En fait, ce qui me plait beaucoup en ce moment c’est de travailler avec des gens de mon âge dans un esprit plus collectif.
Nahuel Pérez Biscayart : Et moi parmi les films qui vont sortir. J’ai tourné un film à Recife au Brésil dans la communauté chinoise. Puis, un film de Téchiné avec Isabelle Huppert. Et ensuite, un film argentin de Luis Ortega qui s’appelle Le Jockey. J’ai aussi fait une participation dans un film espagnol de Marta Nieto, son premier film.