Comme Anaïs, Charline Bourgeois-Tacquet a fait des études de lettres; comme Anaïs, elle a la trentaine et aime Marguerite Duras autant que Kim Carnes. En 2018, son court métrage Pauline asservie avait tapé dans l’œil de La Semaine de la Critique. Trois ans plus tard, voilà Les Amours d’Anaïs, son premier long métrage, sur nos écrans. Rencontre avec Charline Bourgeois-Tacquet, jeune réalisatrice talentueuse à l’énergie contagieuse.
Pauline et Anaïs ont des points communs, mais Anaïs est plus indépendante et frondeuse…
Charline Bourgeois-Tacquet : Oui, Anaïs pourrait être une cousine de Pauline. C’est une fonceuse, une jeune femme qui suit ses pulsions et ses impulsions. Elle est en perpétuel mouvement, ce qui est aussi sa manière de réagir aux choses douloureuses de sa vie. Ne pas s’arrêter pour ne pas tomber. J’aime sa vitalité, sa manière d’être dans le pur présent, de ne rien anticiper et de saisir l’occasion qui s’offre à elle. Elle a un côté indomptable qui la rapproche du personnage de Catherine Deneuve dans Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau, qui est un film que j’aime énormément. Anaïs Demoustier partage avec Catherine Deneuve une vitesse d’élocution impressionnante et un sens inné du rythme, ce qu’avait aussi Katharine Hepburn. Elle a tout de suite compris la musicalité du film et a trouvé le tempo juste.
Anaïs a trente ans, mais la vie d’adulte, elle la fuit comme la peste.
Charline Bourgeois-Tacquet : La trentaine est un âge qui me passionne, pas seulement parce que je suis en plein dedans. C’est vraiment le moment où il faut prendre toutes les décisions déterminantes, faire tous les choix cruciaux : Quel métier ? Quelle vie amoureuse, voire conjugale ? Avec ou sans enfant ? Quand vous êtes une femme, vous avez dix ans pour tout construire en même temps, carrière, vie sentimentale, vie de famille, ce qui est légèrement angoissant… La réponse à toutes ces interrogations, pour moi, c’est le désir. Au sens large ! Trouver ses désirs et les suivre. Mon film ne parle que de cela.
La poursuite de ses désirs va conduire Anaïs jusqu’en Bretagne. Pourquoi ce cadre ?
Charline Bourgeois-Tacquet : Je tenais beaucoup à ce que le film se passe en grande partie dans la nature : dans la campagne verdoyante, au bord de la mer. Ce sont des décors qui apportent de la sensualité, et qui sont liés, pour moi, à la naissance du désir érotique. La lumière de l’été était aussi indispensable. En ce qui concerne la mise en scène, ma référence première était le travail d’Eric Gautier sur les films d’Arnaud Desplechin, d’Olivier Assayas et de Patrice Chéreau particulièrement : de l’énergie, de la vitesse, du mouvement… Et beaucoup de plans séquences très chorégraphiés, j’y tenais beaucoup.
Comme au mélange des registres ?
Charline Bourgeois-Tacquet : Oui, j’aime les films qui font coexister tous les registres : la légèreté et la gravité, la comédie et le drame. C’est à cela que ressemble à la vie, elle n’a jamais qu’une seule dimension ou couleur. Le défi pour moi c’était de pouvoir à la fois faire rire, à travers un personnage parfois excessif, et Anaïs est douée pour ça, et de représenter une histoire d’amour et de désir dans ce que cela peut avoir de pleinement sentimental. Lorsqu’Anaïs rencontre Émilie (interprétée par Valéria Bruni-Tedeschi, NDLR), cela modifie sa trajectoire, et cela modifie le tempo du film. Les choses se calment et se déploient. Le recours à une musique originale a été très important à cet égard. Les mélodies de Nicola Piovani inscrivent tout de suite certaines séquences dans la grande tradition des films romanesques « au premier degré ».