“C’est par la culture que passe la survivance de la langue“
FrenchMania est en ce moment à Montréal pour suivre le beau festival Cinemania dédié au cinéma francophone et qui organise cette année pour la première fois des rencontres professionnelles autour de ce sujet. Pour l’occasion, nous avons rencontré quelques-unes de personnalités invitées pour échanger avec elles sur leur rapport à la francophonie. Aujourd’hui, conversation avec les deux co-présidents du jury : l’actrice québécoise Pascale Bussières et le réalisateur français Cédric Klapisch.
Quel est votre rapport à la francophonie ?
Pascale Bussières : Ici on y pense beaucoup parce qu’on est en état de survivance. Il y a aussi un élément important dans l’industrie audiovisuelle du Québec, c’est qu’énormément de films et de séries américains viennent se tourner chez nous parce que cela revient moins cher et qu’il y a des crédits d’impôts donc cela a favorisé les multiplication des équipes de super-techniciens qui sont habitués à tourner des grosses productions à plusieurs centaines de millions de dollars ce qui est loin des budgets des longs métrages québécois. Tous les techniciens disent qu’ils font des films américains pour faire de l’argent et du cinéma québécois par amour.
Et vous ?
Pascale Bussières : J’aimerais beaucoup faire des films américains pour l’argent mais j’en ai fait assez peu et pas les meilleurs ! Quand je travaille dans le cinéma québécois, il y a quelque chose de l’ordre de retrouvailles avec la famille et oui, c’est par amour. On est plus engagé, il y a moins de sous mais une vraie solidarité. Je joue vraiment dans les deux langues, 50/50 en anglais et en français, je me promène. J’ai aussi tourné un peu en France et au Luxembourg il y a quelques années où on tournait en anglais mais tout le monde se parlait en français sur le plateau. Pouvoir travailler dans les deux langues c’est formidable mais je préfère travailler de loin travailler en français !
Cédric, quel regard avez-vous sur la francophonie ?
Cédric Klapisch : En venant ici et en me posant la question, je me disais que, même si j’ai beaucoup tourné en anglais ou à l’étranger, j’aime bien l’idée de sauvegarder ma langue. Je milite pour que l’anglais, qui est devenu la langue internationale incontestable, fasse partie prenante de l’enseignement en France parce que c’est une richesse. C’est paradoxal mais autant je soutiens cette idée, autant je soutiens ma culture, ma langue et le fait que dans mes films, j’essaie tpujours de mélanger le français et d’autres langues. On en peut pas tout exprimer avec une seule langue. Je suis très sensible à ce sujet et j’aime participer à la défense de la langue.
Pascale Bussères : C’est drôle parce qu’on a vu pas mal de films dans la compétition qui mélange des langues comme Retour à Séoul ou Houria par exemple.
Cédric Klapisch : C’est le monde d’aujourd’hui !
Pascale Bussières : Oui exactement, c’est le monde d’aujourd’hui et le public l’accepte. On ne peut plus aller contre ça et on ne peut pas aborder l’idée de survivance culturelle sans intégrer d’autres langues, d’autres cultures. La langue continue d’exister à travers cette diversité. C’est vraiment intéressant parce qu’au Québec il ya un fort élan politique pour lutter contre l’érosion du français dans les institutions mais les gens réagissent assez mal parce qu’on force les nouveaux migrants à apprendre le français alors qu’on peut très bien vivre en anglais à Montréal sans jamais parler français comme dans bien des pays. Depuis les dernières années, je me rends compte que mes fils parlent une langue très métissée et on ne peut pas lutter contre ça. C’est un mouvement naturel.
Cédric Klapisch : J’étais la semaine dernière au Danemark et tout le monde parle anglais. En fait, on a l’impression que même entre eux ils parlent anglais. Ce n’est pas du tout la même sensation qu’en France. Et c’est le cas dans pas mal d’endroit, notamment à Athènes où je viens de tourner. C’est un fait. Mais j’ai l’impression qu’il y a un effort à faire pour préserver les langues. En France, on sait que les Bretons ou les Alsaciens défendent ardemment leurs langues et militent pour sauvegarder ces langues comme nous devons militer pour conserver le français. Et le cinéma est un bon véhicule pour ça !
Pascale Bussières : Je pense que plutôt que d’avoir des lois coercitives comme celles qui s’apprêtent à passer bientôt ici, il serait plus intéressant de financer massivement la culture, la chanson, le cinéma. C’est par la culture que passe la survivance de la langue. Les objets culturels sont essentiels à cette dynamique.
Cédric Klapisch : Et puis, dans le milieu du cinéma, et notamment à Cinemania, on ressent qu’il y a une forme de club des pays francophones qui nous rapprochent avec certains pays d’Afrique, du Québec, de la Belgique ou de la Suisse. Et ce club-là, c’est une façon de sentir une appartenance à un groupe, comme c’est le cas quand on a la sensation d’être Européen. Dans le monde actuel, fabriquer ces clubs, ces liens transfontaliers, c’est très important.
Et ce sentiment va dans le sens de la circulation des œuvres, des films francophones et notamment français ici au Québec…
Cédric Klapisch : Oui, exactement !
Pascale Bussières : Et en ce moment, c’est complexe parce que je pense que le cinéma français n’est pas encore suffisamment vu ici mais c’est dû aux creux de distribution depuis la pandémie. Mais heureusement que les festivals sont là pour maintenir les liens forts et aller découvrir d’autres cinématographiques.
Cédric Klapisch : Quand un film français sort dans un pays francophone, il y a un vrai lien. L’Angleterre ne sort quasiment plus de films français, et, globalement le cinéma étranger non américains a du mal a être accueilli en salles dans le monde. A par le Mexique, le Japon et la Corée du Sud, peu de pays restent ouverts sur le cinéma d’ailleurs donc les pays francophones restent vraiment importants pour les sorties de films français. Même les Etats-Unis sortent beaucoup moins de films français qu’avant mais cela se déplace sur les plateformes.
Pascale Bussières : Ici, on se compare souvent au modèle scandinave, que ce soit au niveau du climat et des ressources naturelles. Ces pays ont des politiques fortes ils ont fait, il y a quelques années, le choix d’investir dans moins de production pour faire mieux et favoriser l’exportation, notamment via les plateformes pour s’assurer une grande visibilité et dans leur langue ! Et ça marche !
Pour finir, qu’est-ce que cela vous fait de coprésider ce jury de Cinemania. Vous vous connaissiez avant ?
Cédric Klapisch : Cela me fait vraiment plaisir !
Pascale Bussières : Moi aussi ! Et on ne s’est même pas engueulé encore !
Cédric Klapisch : On s’est connu il y a 26 ans, dans un festival. Cela a créé un lien et on se revoit à chaque fois que je viens à Montréal.
Pascale Bussières : J’étais très contente quand on m’a dit que je co-présidais ce jury avec Cédric. Il aurait pu se reposer chez lui tranquillement après le gros tournage qu’il vient de finir. C’est vraiment chouette et échanger autour du cinéma, de notre travail, c’est passionnant et nourrissant.