Les cinéphiles LGBT+ peuvent s’en féliciter : les histoires et personnages gays, bis, trans, queer n’ont jamais été aussi nombreux dans le paysage cinématographique mondial qui, sur ces thématiques, a bénéficié de l’appel d’air de modernité des séries télés. Mais quand il s’agit pour les journalistes cinéma et critiques de rendre compte de ces films, la maladresse, l’ignorance, le conservatisme confinent encore parfois à l’homophobie ou à la transphobie. Éléments d’analyse …
Tout est relatif et si les représentations LGBT+ sont de plus en plus visibles à l’écran, la production cinématographique française n’y est pas pour grand chose. On stagne laborieusement depuis 10 ans sur un chiffre assez ridicule de 3, 3% (moins de 2% ces deux dernières années) des films abordant de près ou de loin ces sujets (étude CNC/Queer Palm, mai 2019), avec en point de mire les grands succès de films pas franchement acclamés par le public concerné tels qu’Epouse-moi mon pote ou Les Petits mouchoirs. Ceci expliquant peut-être cela, ces sujets posent encore certains problèmes à celles et ceux dont le métier est de parler des films et d’écrire sur le cinéma. A l’occasion de la sortie en salles, il y a quelques semaines, de Lola vers la mer de Laurent Micheli qui aborde la transidentité avec intelligence et délicatesse, FrenchMania fait le point sur les pratiques problématiques qui persistent.
Qui a peur du mot « lesbienne » ?
Céline Sciamma n’a cessé de le répéter pendant la promotion de son Portrait de la jeune fille en feu : “J’ai passé ma vie à aimer des films qui ne m’aimaient pas, qui me minoraient ou me méprisaient“, une phrase qui résonne avec force dans l’esprit et le cœur de tous les spectateurs LGBT+ qui ont fait face pendant de nombreuses années à un manque cruel de représentations. La réalisatrice, transparente depuis le début sur son homosexualité, aura pourtant dû attendre le festival de Cannes 2019 pour que le mot « lesbienne » soit écrit noir sur blanc dans les articles et interviews la concernant dans la presse généraliste et c’est assez significatif des réflexes inconscients de la profession. De l’aveu même de Céline Sciamma, le terme « lesbienne » avait, avant ce moment charnière du festival de Cannes 2019, été la plupart du temps gommé, retoqué, remplacé par un autre plus « acceptable », même quand elle le prononçait en interview à l’exception notable des rares médias LGBT qui s’étaient fait un point d’honneur à utiliser ce mot qui semble faire si peur depuis les débuts de la réalisatrice.
« Les manières homosexuelles poussées à leur comble »
Le métier de critique s’appuie sur la subjectivité des regards et loin de nous la volonté de remettre en cause ce fondement de la liberté constitutive de notre profession mais parfois, trop souvent, la frontière entre propos critiques, condescendants et homophobes est mince, voire inexistante. Passons rapidement sur le dédain avec lequel tout film racontant une histoire d’amour entre deux hommes dans un paysage non-urbain serait forcément le nouveau Brokeback Mountain, mètre-étalon, réducteur et rassurant d’une certaine ignorance qui balaie d’un revers de la main tout un pan du patrimoine cinématographique mondial. Oublions aussi le manque de considération quasi systématique et systémique de la presse française vis-à-vis des festivals de cinéma LGBT+ : à titre d’exemple, les deux plus importants, « Ecrans Mixtes » à Lyon et « Chéries Chéris » à Paris sont quasi absents des colonnes de la presse nationale tout comme de la presse culture ou cinéma à quelques notables exceptions près.
Comment accepter également les sorties de route (pour rester poli) critiques qui, sous couvert de parler d’un film font émerger une homophobie à peine masquée ? Un journaliste du quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France évoquait dans un article extrêmement négatif (ça, c’est son droit) sur le film de Yann Gonzalez Un Couteau dans le cœur des « manières homosexuelles poussées à leur comble », l’exemple est parlant et, malheureusement, pas isolé. Une critique du Journal du Dimanche ne s’était pas remise de L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie et croyait avoir fait le tour de la question gay avec un film « réduisant du coup les homosexuels à des hommes en rut permanent ». A la vision de Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, cette journaliste a-t-elle pensé que le film allait trop loin, réduisant du coup les hétérosexuels à des couples dysfonctionnels et violents chez qui règne la peur ?
Un peu de respect pour les personnes trans !
L’ignorance satisfaite et le dédain absolu atteignent leur paroxysme quand il s’agit de traiter de la question transgenre (et non pas transexuelle, terme abandonné depuis de nombreuses années dans les cercles informés). Évoquer les personnes qui vivent ou ont vécu une transition de genre reste problématique pour une bonne partie du journalisme cinéma et de la critique française. Quand ce n’est pas un journaliste de Canal+ qui parle du film Girl de Lukas Dhont en bas des marches du festival de Cannes comme de « l’histoire d’un garçon qui se déguise en fille pour devenir danseuse », c’est Le Canard Enchaîné ou le site de France Info qui parlent du personnage de Lola comme d’un garçon ou d’un fils en évoquant la jeune fille transgenre du film de Laurent Micheli ou Le Monde qui « mégenre » (utilise « elle » à la place de « il ») et « deadname » (utilise le prénom précédemment usité et volontairement abandonné) le réalisateur et comédien trans Océan, le mois dernier, à l’occasion de la sortie de son documentaire sur grand écran ou se focalise sur l’aspect sexuel de la transition de genre qui reste, faut-il le préciser, une question de l’ordre de l’intime.
S’informer, c’est la base !
La communauté LGBT+ a prouvé qu’elle pouvait être forte quand il s’est agi de lutter contre le sida ou de défendre ses droits face à l’obscurantisme d’une certaine partie de la France, encore faut-il qu’on lui donne la parole ou qu’on la respecte dans ses différences. L’un des meilleurs moyens d’éviter toute réaction “communautariste” (terme-épouvantail qui serait, en France et rien qu’en France, synonyme à la fois de dérives identitaires et de rupture du pacte républicain), c’est d’être respectueux, inclusif, d’éviter l’exotisation et de ne pas minimiser la parole des personnes concernées quand on évoque des films, des documentaires, des personnages ou personnalités LGBT+. C’est facile, il suffit de s’informer ! Et c’est bien là l’une des bases de notre métier, non ?
Pour information, l’AJL, association des journalistes lesbiennes, gays, bi.e.s et trans (dont l’auteur de cet article fait partie), publie sur son site des kits de bonnes pratiques fort utiles à destination de ses consœurs et confrères qui souhaiteraient s’informer et utiliser les terminologies adéquates : https://ajlgbt.info/informer-sans-discriminer