Documentaire hors-formats, Mika Ex Machina raconte l’enquête de Mika et Deborah (colocs, collègues, BFF et réalisatrices du film) pour trouver qui en veut à la moto de Mika. Ruban rouge, pièce de monnaie, antivol ou cadenas caché, à chaque jour son offrande, plus ou moins angoissante, sur cette moto rouge garée en bas de leur appartement parisien… Si le long métrage documentaire, filmé sur le vif, retrace avec un humour certain cette quête, il apparaît aussi comme une ode au collectif, à la bande de potes face aux agressions de la vie qui provoquent ou réveillent des traumas. FrenchMania en a discuté avec le duo qui a pris place devant et derrière l’iphone pendant des semaines…
Quel a été votre parcours avant de coréaliser ce premier long métrage ?
Mika Tard : On a fait du théâtre, toutes les deux. On joue dans des pièces de théâtre et puis après, chacune individuellement, on a nos histoires. Deb, elle a fait de la mise en scène de théâtre, un peu au Conservatoire, à la Comédie-Française. Moi, je suis rentrée au Conservatoire. Et puis après, on a monté un collectif qui s’appelle Les Quiches avec Aurélie Saada des Brigitte ou Benoît Pétré. On a bossé à peu près pendant 10 ans sur une soixantaine de courts métrages ensemble. On a coréalisé notamment le long métrage Foon en 2005 avec Benoît Pétré.
Deborah Saïag : Après, c’est vrai que l’amitié c’est un sujet qui revient tout le temps dans nos vies qui sont vachement marquées par ça. Et Mika et moi on vit ensemble depuis plus de 20 ans !
Quand on découvre Mika Ex Machina, la question qui se pose c’est « est-ce que tout est vrai ? ». Et apparemment c’est le cas ! Comment l’idée de faire ce film est apparue.
Mika Tard : Au départ, il n’y avait pas de film. Pendant des mois, il y a eu ces objets sur ma moto : il y a eu les rubans, les pièces de monnaie et, après quelques semaines, les cadenas et, enfin, les antivols.
Deborah Saïag : Pendant près de trois mois, Mika se disait que c’était fou et, à chaque fois qu’elle parlait de ce qui lui arrivait, les gens parlaient de harcèlement, disaient que c’était très grave, qu’il fallait aller voir la police ou bien que cela devait être le fait d’une ex… Chacun avait son interprétation de ce qui se passait. Donc oui, le point de départ est vraiment réel !
Mika Tard : Au bout d’un moment, on s’est quand même dit que ce serait pas mal d’aller voir les flics. Je photographiais ou filmais des petites preuves pour une plainte. Jusque-là, ça allait et on était peut-être même un peu dans le déni… C’est vraiment le jour de l’accident que j’ai eu les jambes coupées. Tu as pris la caméra et tu as filmé. C’est comme ça qu’on a vraiment commencé.
Deborah Saïag : Mais là, d’un seul coup, il se passait un truc dans le réel qui était tellement flippant et qu’on ne comprenait pas que soudain, filmer, c’était une façon de mettre un écran entre le réel et nous.
Mika Tard : Moi j’avais des copines qui me disaient que c’était une demande en mariage et je le vivais vraiment comme un harcèlement dangereux qui ravivait des souvenirs. Un autre me disait, tu te fais marabouter. Enfin, chacun, les projections des uns des autres ont commencé à nous intéresser. On ne savait pas ce qui allait se passer mais on se disait, ok, là, il se passe un truc et, potentiellement, il y a un film.
Deborah Saïag : Ça créait dans notre esprit quelque chose d’un peu marrant là où en fait c’était plutôt très flippant ce que vivait Mika. Et de voir que chacun ne le prenait pas du tout de la même manière, interprétait, surinterprétait, avec sa propre histoire et ses propres délires, ça nous a fait un peu rencontrer nos amis aussi. Chacun s’est révélé.
Mika Tard : À partir du moment où le garagiste me dit « Mika, là, tu as un ennemi, il y a quelqu’un qui veut te nuire », forcément, tu te sens très seule et très visée. Donc, en fait, il y a une espèce de parano qui rentre. Et je me dis « Ok, potentiellement, je suis suivie dans la rue. Potentiellement, la personne… » Je ne savais pas jusqu’où pouvait aller la personne.
Deborah Saïag : Et puis, Mika avait déjà été harcelée assez gravement il y a quelques années, pendant plusieurs mois par une fille. Du coup, ça a créé quelque chose d’angoissant.
Mika Tard : Du coup, c’est là qu’intervient Iris (Brey, essayiste et réalisatrice, NDLR) qui est notre amie et qui nous dit qu’il faudrait que nous soyons entourés, de créer une communauté autour de nous et de ne pas rester seules.
Deborah Saïag : C’est là qu’il y a l’idée de ne pas revivre la solitude face au harcèlement et de se dire qu’on crée un groupe WhatsApp
Mika Tard : Et qu’on demande à nos amis de venir 24h sur 24 enquêter avec nous.
Deborah Saïag : Et on pensait choper la personne très vite mais tout s’est arrêté à partir du moment où on a filmé. Une espèce de hasard de la vie qui a fait qu’on s’est dit « ok c’est quelqu’un qui sait qu’on filme » !
Le film est drôle mais pas que… C’est aussi le moyen d’affirmer la force du collectif, le fait d’être forts ensemble…
Mika Tard : Oui, exactement.
Deborah Saïag : Dès qu’il y a eu les copains, on était tous dans un état d’excitation à l’idée de trouver la personne.
Mika Tard : En tout cas, ça a été une expérience hyper riche, humainement, de voir que les gens, en fait, sont là, vraiment…
Deborah Saïag : Il y a une solidarité qui s’est installée immédiatement. Quand on est harcelé on se sent seule et presque honteuse, cela peut créer un repli sur soi.
Mika Tard : On se dit « pourquoi moi ? Et en fait, est-ce que c’est moi qui ait un problème ? Est-ce que ce ne serait pas de ma faute ? ».
Deborah Saïag : Ce sont les mécanismes classiques de beaucoup de violences de façon générale.
Comment s’est intégré le fait de filmer ces événements réels, de votre quotidien pendant ces quelques mois ?
Mika Tard : L’Iphone a facilité les choses, on est habitué à sa présence dans notre quotidien. Avec Deb, on avait comme exercice de se dire on fait rentrer l’Iphone à n’importe quel moment.
Deborah Saïag : C’était comme une caméra-stylo. En fait, on ne savait pas vraiment si on allait faire un film, cela dépendait un peu de ce qu’on allait trouver, on ne savait pas ce que ça allait donner, on ne savait pas si ça allait tourner au drame absolu. A un moment donné on s’est dit qu’il allait falloir peut-être inventer une fin…
Mika Tard : Mais on se disait qu’il y avait quand même matière à faire un film parce qu’il y avait quand même pas mal de sujets intéressants qui se déployaient au fur et à mesure des jours.
Deborah Saïag : Comme quoi, je pense qu’il y a eu un vrai move. En fait, comment le trauma peut figer les gens. Et là, cette expérience, effectivement, je crois que ça a fait qu’on a déconstruit nos peurs, nos traumas.
Mika Tard : Et c’est amusant de voir à quel point certains de nos amis étaient figés dans leurs croyances et dans leur vérité. C’est très intéressant à traverser comme expérience. Il y a des certitudes des gens, c’était une expérience vraiment étonnante.
Deborah Saïag : Parce que les certitudes des uns et des autres étaient parfois en totale contradiction. Donc nous on ne s’avait plus où donner de la tête, et moi j’avais mes propres certitudes qui changeaient tous les quatre matins. Et en fait, c’est vrai que c’était un peu une expérience vraiment sur l’humain, sur comment on a besoin de se raconter des histoires. Franchement, ça a été… Enfin, cette aventure a complètement ouvert notre regard sur des champs qu’on ne voyait pas.
Mika Tard : Pendant ces mois d’enquête, de pause, on a regardé la rue, on a écouté ce qui se passait, de ce qui se disait. Nous étions très proches de nos sens.