En salles depuis le 22 juin, Mon nom est clitoris a été récompensé du Magritte du meilleur documentaire cette année. Un film édifiant, drôle, militant et émouvant qui met au centre la parole, le visage et le corps de plusieurs jeunes femmes de 20 ans. Des récits qui nous rassemblent. Rencontre avec les réalisatrices, Lisa Billuart-Monet et Daphné Leblond.
Le film est actuellement en salles, mais durant le confinement, des avants-premières virtuelles ont eu lieu. Comment avez-vous vécu ces projections 2.0 ?
Lisa Billuart-Monet : Personnellement, au début, j’appréhendais un peu… Mais j’ai trouvé beaucoup de réconfort dans les “chats” qui ont été organisés après ces séances, notamment celle avec Sens Critique où on a pu voir tous les commentaires en “live”, répondre aux questions du public, et c’est vrai que ça a tissé un lien. Après, ce qui m’a manqué, c’est que quand on est dans une salle de cinéma, on entend les gens rire et réagir en chœur et ça change la perception qu’on peut avoir du film, puis en Belgique, on va toujours boire une bière après les projections, et là, on n’a évidemment pas pu le faire. Mais franchement, ce système mis en place par La Vingt-cinquième Heure, notre distributeur, a été hyper efficace, et je trouve ça super que le cinéma en général ait été soutenu par ce type d’action durant le confinement. Le film est actuellement en salles, mais ces événements virtuels ont permis de le faire découvrir, qu’on en parle aussi.
Daphné Leblond : Lisa a tout dit, le contact humain nous tient particulièrement à cœur mais c’est vrai que les réactions par messages du public, lors des séances virtuelles que nous avons faites avec La Vingt-cinquième Heure, étaient très réconfortantes. Après, ça a aussi clivé. Sur les réseaux sociaux, on commence, depuis que le film est montré, à se faire attaquer, on nous reproche d’être des opportunistes politiques et de surfer sur un sujet à la mode… Et c’est là qu’on mesure la portée politique des questions que soulève le documentaire.
Lisa Billuart-Monet : Oui, on nous a dit par exemple que le sujet n’était pas assez urgent ou important en ce moment, mais c’est toujours pareil, à chaque fois que les femmes ou les minorités prennent la parole, c’est pas urgent, c’est pas le moment…
La prise de parole est au centre du dispositif de ce documentaire. C’est ce qui a été moteur de votre projet au départ ?
Daphné Leblond : C’est d’abord venu d’un dialogue entre nous. Puis, on s’est dit qu’on allait élargir cette discussion, demander à d’autres jeunes femmes, et filmer nos discussions avec elles, et ça a été tout à fait salutaire. Ensemble, on s’est posée des questions importantes, tout en se disant parfois qu’on aurait dû se le poser plus tôt. Deux choses nous ont paru évidentes lors de la préparation : un, ce tabou qu’est la masturbation féminine, et deux, cette idée reçue de l’obligation de la pénétration vaginale comme aboutissement de l’acte sexuel. Naturellement, par le dialogue, plein de choses se sont déconstruites d’elles-mêmes.
On nous a dit par exemple que le sujet n’était pas assez urgent ou important en ce moment, mais c’est toujours pareil, à chaque fois que les femmes ou les minorités prennent la parole, c’est pas urgent, c’est pas le moment…
Lisa Billuart-Monet
Comment avez-vous pris contact avec ces jeunes femmes qui ont toutes la vingtaine mais des profils et parcours différents ?
Lisa Billuart-Monet : On a d’abord demandé à nos amies ! Il faut bien avoir en tête qu’on est partie de rien, avec de tout petit moyens, et c’était plus simple d’approcher nos amies parce que la confiance était déjà établie. Et puisque cette première étape s’est super bien passée, on leur a demandé si elles avaient elles aussi des amies qui seraient intéressées de participer à ce projet. Et ça c’est fait comme ça, sous forme de bouche à oreille. C’est dans un dernier temps qu’on a mis quelques annonces sur les réseaux sociaux. Ce qui est fort, c’est que toutes ont quelque chose à dire et quand on se lance dans le sujet, malgré la caméra, ça devient facile de parler, pour nos amies comme pour les jeunes femmes que nous ne connaissions pas avant. Certaines personnes nous ont demandé « Comment avez-vous réussi à convaincre ces jeunes femmes de parler de leur sexualité ? », mais on a jamais dû convaincre personne en fait, on n’était pas du tout dans ce rapport-là. Suite aux annonces et au bouche à oreille, beaucoup sont venues vers nous, tout simplement parce qu’elles avaient besoin de parler des sujets qui leur tenaient à cœur, comme le vaginisme pour certaines, et je crois que ça a fait du bien à tout le monde. Puis, on a aussi parlé avec les jeunes femmes que nous avons rencontrées de nos propres vies sexuelles, on a tout déballé. Il n’y avait pas de filtre. On n’a jamais été du genre à se cacher derrière notre caméra et jouer les observatrices distantes, au contraire, on était activement aux côtés de celles qui se sont livrées. On s’est toutes questionnées très sincèrement durant le tournage, et on a partagé ces questions.
Vous aviez, j’imagine, un canevas préparatoire, mais y a-t-il eu des questions qui se sont révélées à vous via les témoignages ?
Daphné Leblond : On avait en effet préparé une grille de départ, mais bien sûr, il y a des questions qui ont été soulevées via les conversations que nous avons eues avec nos interlocutrices. Par exemple, on s’est aperçue qu’on avait très peu parlé du consentement dans notre base de travail, et c’est un sujet qui a été ramené au centre de la table par les filles de manière récurrente et c’était évidemment très important de l’inclure. Je pense aussi à la simulation, à laquelle nous n’avions pas pensé au départ, c’est une des jeunes femmes qui a abordé ce sujet et on s’est dit qu’on poserait par la suite la question aux prochaines qu’on filmerait.
On voit aujourd’hui des clitoris tagués sur les murs et le sol, on les voit aussi dessinés sur les pancartes dans les manif’. Le clitoris, c’est devenu un emblème politique ?
Lisa Billuart-Monet : On nous a demandé à plusieurs reprises si notre film était militant ou féministe… Moi, ça me parait assez évident, mais c’est sûr qu’aujourd’hui le clitoris a une dimension politique. Il représente une censure, il représente aussi l’autonomie, l’indépendance sexuelle des femmes, il représente le plaisir. Donc ce n’est pas étonnant que ça soit l’emblème de la nouvelle vague féministe.
“MeToo” a joué un rôle selon vous ?
Daphné Leblond : Le mouvement MeToo a permis à toutes ces luttes d’émerger, mais elles étaient déjà là avant, elles se sont affirmées après cet épisode qui les a rendues visibles et audibles. Il y a toujours des moments dans l’histoire où il y a suffisamment de femmes qui, au même moment, s’unissent et décident d’essayer de mener la révolution, parce qu’elles ont aussi les moyens de leur lutte, parce qu’évidemment tout ça coûte, au sens propre comme au figuré. Par exemple, faire un film, soit ça demande d’être payé correctement pour, soit ça demande d’avoir des moyens de son côté pour pouvoir le tourner.
Lisa Billuart-Monet : Oui, et on a eu des moyens très limités. On a commencé le film sans production, avec notre propre matériel, afin plus ou moins, et on a eu des gros soucis techniques, mais on a toujours pu rebondir. Évidemment, cette économie de moyen a guidé un peu le sens du dispositif, aller tourner dans une pièce, sans technicien, et ça a été une vraie force en fait parce que ça a créé une intimité immédiate, le dispositif était discret. On n’a pas déplacé leurs espaces personnels, on a été invitée dans leurs chambres.
Et ce documentaire, fait avec vos propres moyens, est sélectionné aux Magritte 2020 et remporte le prix du meilleur documentaire…
Lisa Billuart-Monet : Oui, c’est fou hein ? On n’imaginait pas du tout arriver jusque là ! Sortir le film en salles, le montrer en festival, aller jusqu’aux Magritte… Quelque part, ce film nous a beaucoup fait grandir. L’avoir tourné était déjà une fierté. Qu’il connaisse se destin aujourd’hui, ça nous épate et ça nous conforte dans notre envie de continuer. Avec ce film-là, on a commencé à comprendre un peu mieux comment ça fonctionnait, parce que c’est clairement pas le même boulot réalisatrice et productrice, et du coup, pour notre prochain film, on va se battre un peu mieux, pour avoir des moyens, et pour pouvoir être mieux rémunérées.
Daphné Leblond : On a obtenu pour ce film une Aide à la finition, ce qui veut dire que nous avons financé par nous même l’intégralité du tournage, avec l’aide de nos amis aussi, à qui on a emprunté du matériel, des caméras… Donc en gros cette aide nous a permis de financer la post-production et de rémunérer en partie les gens, et nous-mêmes. Pour vous donner une idée de notre salaire, on parle ici de 2500 euros… On touche du doigt une réalité qui n’est pas simple à faire entendre qui est celle des moyens qu’on accorde aux réalisatrices, et si on peut faire un film comme ça, sans filet, c’est compliqué voire impossible de faire le suivant dans ces conditions, sans payer personne, en investissant mais sans pouvoir en vivre.
Quels sont vos futurs projets ?
Lisa Billuart-Monet : On pense à faire une face B du documentaire, un film du point de vue de jeunes hommes, parce que c’est aussi intéressant, ça on ne le remet pas du tout en question. On a eu des réactions assez variées de la part des hommes vis-à-vis du film, même si les réseaux sociaux ont tendance à forcer le trait et certains commentaires ne nous épargnent pas. Il y a en qui nous disent avoir trouvé ça super intéressant, qui se retrouvent à la fois dans le discours de ces jeunes femmes mais aussi parfois dans les partenaires qu’elles décrivent, d’autres en revanche passent complètement à côté… Ce film, il n’a pas été fait que pour les femmes, on voudrait qu’il soit vu par tout le monde, parce que je crois qu’on est tous concernés par ces sujets et questions.
On parle de plus en plus de sexualité dans les séries. Je pense par exemple à Sex Education où tout un tas de problématiques est abordé sans détours. Les langues se délient…
Daphné Leblond : Oui, les séries, mais aussi les films, les podcasts sur la question de la sexualité féminine. Forcément, la série étant un médium populaire, ça démocratise vachement plus le sujet. Je pense à une autre série que j’adore qui est Fleabag de Phoebe Waller-Bridge et qui, en plus de son succès public, a été largement récompensée dans des festivals et cérémonies. Et on parle-là d’une série dont le premier épisode de la saison 1 se termine quand même par cette question « Est-ce que j’ai juste un anus énorme ? », tout ça étant dit par ce personnage britannique plutôt chic et sophistiqué. Phoebe Waller-Bridge, c’est une scénariste et une actrice incroyable qui n’a pas peur des mots. C’est libérateur.