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Daphné Patakia (Sur la branche) : « Il y avait quelque chose de très mystérieux dans le cinéma pour moi »

par | 18 Juil 2023 | Interview, z - 2eme carre droite

Standardiste loufoque dans la série OVNI(s) d’Anthony Cordier ou encore amante du personnage de Virginie Efira dans Benedetta de Paul Verhoeven, Daphné Patakia se démarque dans des rôles singuliers qui vont toujours au bout de leur croyances. Cet été, elle prend le large dans le huis clos marin de Guillaume Bonnier, Tout le monde m’appelle Mike et forme un duo détonnant avec Benoit Poelvoorde dans Sur la branche de Marie Garel-Weiss (en salles ce mercredi 19 juillet) où elle interprète Mimi, une jeune femme bipolaire. Rencontre.

Qu’est ce qui vous a plu à la lecture du scénario de Sur la banche ?  

J’ai immédiatement trouvé le personnage de Mimi intéressant. Je n’avais jamais lu un personnage comme ça. Les dialogues étaient très drôles et en même temps, c’était déstabilisant, parce que je ne voyais pas comment le jouer. Ensuite, j’ai rencontré Marie Garel-Weiss qui m’a dit que j’étais le personnage, qu’il me ressemblait et qu’on allait créer ensemble quelque chose.

Mimi est très obsessionnelle et elle va au bout de ses obsessions. Elle est très droite, comme si elle savait qu’à tout moment elle pouvait retourner à l’hôpital et donc qu’elle a peu de temps et n’a rien à perdre. Elle ne se pose pas trop de questions et n’a pas de filtre. Comme elle le dit, tout est premier degré. Au début, je pensais que le film était une comédie et en même temps, il traite un sujet très profond. Il y a cette amitié avec le personnage de Paul, que je trouve très belle. 

Et qui offre un vrai duo de cinéma hors du commun…

Mimi ne peut pas y arriver toute seule. Tout d’un coup, elle trouve un partenaire. Et c’est assez étonnant. Elle, dans son obsession et sa folie où il n’y a aucun obstacle, et lui, qui est complètement déprimé et cynique. C’est un duo étrange.  

Comment vous avez travaillé pour aborder cette bipolarité et ce personnage qui est légèrement en dehors de la réalité et donc imprévisible ? 

Oui, il y a eu beaucoup de recherches sur la bipolarité. Ce n’est jamais nommé, mais elle est bipolaire. Marie m’a beaucoup parlé d’une personne qu’elle connaît dont on s’est inspiré. En faisant des recherches de mon côté, je me suis rendu compte que je les comprenais. On a tous un peu ça en nous. Eux, c’est décuplé. Mais à quel point ça devient handicapant ? Quelle est la norme finalement ? La limite elle est très fine. Après, c’est très intéressant aussi parce que quand ils vivent des moments en phase up, c’est magnifique ! Il y a un documentaire qui s’appelle The Not So Secret Life of the Manic Depressive, réalisé par Stephen Fry, qui est un acteur bipolaire. Il recherche sur la bipolarité et il interview plein de monde. Il leur demande à tous : Si vous aviez un bouton et vous pouvez appuyer dessus pour ne plus être bipolaire, est-ce que vous le feriez ? Ils répondent tous non, car quand ils sont en phase maniaque, ils vivent quelque chose d’extraordinaire et hors du commun. Dans un monde parallèle, ils côtoient les anges et ça vaut la peine d’être vécu. J’ai trouvé ça très beau. À la fin, Mimi devient une super-héroïne, elle va faire comme si elle se sentait toute-puissante, avoir des super pouvoirs, mener  cette enquête, et être très clairvoyante en même temps. 

Il doit y avoir un véritable plaisir de jeu, en tant qu’actrice, de pouvoir se glisser dans un personnage comme celui de Mimi non ? 

Oui, parce qu’il y a eu beaucoup de travail par rapport au texte. Il fallait être très précise et résister à l’envie d’en faire trop, de rester dans la comédie, mais de comprendre qu’elle est quand même en souffrance.

Et puis, vous avez comme partenaires, Benoît Poelvoorde, Raphaël Quenard et Agnès Jaoui…des comédiens qui ont des jeux et des tonalités complètement différents… il fallait confronter ce personnage avec eux…

Oui, c’est comment s’adapter aussi en ayant un personnage comme celui de Mimi qui est très peu flexible. Je devais être précise alors que Benoît Poelvoorde improvise beaucoup. Donc ça m’obligeait à être complètement avec lui parce que je ne savais pas où il pouvait m’emmener. Il est resté assez fidèle au texte aussi, mais il est imprévisible. Finalement, c’est un peu comme Mimi, elle est vraiment là où elle vit le moment présent, mais à un point où ça peut être déstabilisant pour la personne en face, parce qu’elle est complètement avec l’autre et elle a une espèce de regard qui ne bouge pas, qui est tout le temps-là. 

Cet été vous êtes aussi à l’affiche de Tout le monde m’appelle Mike de Guillaume Bonnier, pouvez-vous nous parler un peu de ce film ?  

C’est un huis clos sur un voilier. On l’a tourné il y a longtemps. C’est un couple avec un enfant qui part faire le tour du monde. Ils vont prendre avec eux une autre personne et l’équilibre va être complètement déstabilisé. Ça va tout perturber.  

Comment avez-vous envisagé ce rôle ?

Ce n’était pas plus simple parce que j’ai dû apprendre à faire de la voile. On a tourné il y a trois ans donc j’étais plus jeune et je joue avec un enfant de 7 ans. C’était passionnant de créer la relation avec cet enfant, de le voir gérer un tournage, gérer son personnage à lui alors qu’il est tout petit et créer une connexion. On s’est beaucoup soudé avec l’équipe, car on était très peu, mais tout le temps les uns sur les autres. Il n’y avait aucune intimité. 

Quand on regarde votre carrière, vous interprétez beaucoup de personnages marginaux, au sens large. Elles ont toutes quelque chose de décalé, plutôt idéaliste, avec des croyances pour lesquelles elles vont au bout. C’est le cas pour les deux héroïnes de Sur la branche et Tout le monde m’appelle Mike mais aussi dans la série OVNI(s) ou Benedetta de Paul Verhoeven… c’est quelque chose qui vous parle ? 

Oui, c’est vrai que ce sont des personnages plutôt possédés par leur but ou ce qu’ils veulent et assez fidèles à eux-mêmes. Ils s’en foutent peut-être des regards extérieurs aussi. 

Est-ce qu’ils sont proches de vous ?

Non, ils ne sont pas du tout proches de moi et ils sont assez différents d’ailleurs les uns des autres. Je me dis que comme ma vie est peut-être un peu ennuyeuse, qu’en-dehors du cinéma, je n’ose pas grand-chose, c’est par procuration que je vis des choses un peu surprenantes. C’est ça que je trouve génial et je me sens très chanceuse, je peux vivre des expériences un peu folles à travers ces personnages,

Vous êtes au début de votre carrière et par ces différents rôles vous marquez ces films par vos compositions toujours fantasques, c’est assez rare…

Oui c’est vrai qu’ils sont un hors normes avec une vraie recherche de composition. J’ai eu beaucoup de chance. 

Vous pensez que les réalisateurs et réalisatrices vont chercher ça chez vous ?  

Oui peut-être. Il faudrait demander à Marie car c’est toujours à deux qu’on fait ça. C’est eux qui m’emmènent aussi vers ça.

Et vous, il y a des rôles que vous aimeriez bien interpréter, des personnages qui vous intéressent en tant qu’actrice ?

C’est surtout le rapport au cinéaste qui me donne envie de faire un film, pas tellement le personnage. Je sais que le personnage on peut le créer ensemble et qu’il y a énormément de possibilités. Je suis guidée par l’envie de travailler avec des réalisateurs qui ont une vision et de faire des films qui ne s’évaporent pas après le visionnage. Marie avait une vraie vision sur ce personnage, c’était très clair dès la lecture du scénario. Et j’avais très envie de travailler avec Benoît Poelvoorde. J’ai vu, C’est arrivé près de chez vous, très jeune et je l’ai revu plusieurs fois après. J’adore Benoît, c’était incroyable et très riche de travailler avec lui.

Il vous a appris des choses ?  

Oui, dans son lâcher-prise et le fait de ne pas prendre trop au sérieux les choses. Je me prenais un peu la tête. Virginie Efira, c’est un peu pareil. Elle peut faire des blagues juste avant la prise et après, tout d’un coup, pleurer. C’est un peu retourner à l’état d’enfance par rapport au métier, comme les enfants qui jouent aux pirates et qui y croit à fond. Il y a un côté ludique.

Et jouer sous la direction d’un cinéaste comme Paul Verhoeven, qu’est ce que ça vous a apporté ?

J’ai beaucoup appris aussi parce qu’il dit très peu de choses. Il responsabilise énormément les acteurs. Je lui avais demandé :  « est-ce qu’on va répéter ? » Il m’avait répondu : «  non, tu sais ce que tu dois faire . » Mais il te donne confiance et te responsabilise d’une telle manière que tu donnes le meilleur que tu as. Il t’inclut beaucoup dans le processus créatif. Parfois, il me demandait même : « qu’est-ce que tu penses de cette lumière ? »

Vous êtes aussi à l’aise avec la comédie que le drame. Qu’est ce que vous préfèrez ? 

Je pense que pour la comédie, il y a un rythme à trouver. Et après, ça dépend du ton du film. Sur la branche est une comédie, mais ce n’est pas très clair. Ce sont les dialogues qui sont drôle. Je pense que la comédie est une question de timing et d’un rythme qui est différent à trouver. C’est pour ça que c’est très dur. Je suis plus consciente du rythme et du timing quand il y a cet aspect comique. Mais j’aime aussi les rôles dramatiques. Je veux tout essayer. 

Avez-vous toujours voulu être actrice ? 

Depuis que je suis petite, oui. Mes parents avaient une troupe de théâtre amateur. Tous les dimanches, on faisait des répétitions et on montait des spectacles. On louait des salles avec d’autres familles. Je m’amusais tellement qu’à 18 ans, ça me paraissait évident, je ne savais pas quoi faire d’autre. Mes parents avaient insisté pour que j’aille à l’université. Je suis restée un jour et après, j’ai abandonné. Je voulais me plonger dans d’autres univers et vivre par procuration des moments très forts.

Ensuite, vous avez fait une école pour vous former ?  

Oui, j’ai fait le conservatoire en Grèce à Athènes. Puis, j’ai travaillé au théâtre. Au début, je voulais surtout faire du théâtre et je ne sais pas trop comment j’ai découvert le cinéma. Je parlais français parce que j’ai grandi en Belgique, même si je ne parlais pas très bien parce que je faisais l’école grecque, et j’aimais beaucoup le cinéma français. Tout d’un coup, il y avait quelque chose de très mystérieux dans le cinéma pour moi. Au théâtre tu as toutes les données alors qu’au cinéma tu ne sais pas comment va être le montage, la musique…Si la scène que tu as fait, il y aura des violons par-dessus, ça changera ton interprétation. On est tous ensemble et on ne sait pas ce que ça va  donner.  

Vous avez également tourné avec Yorgos Lanthimos pour un court métrage, Nimic, aimeriez-vous retravailler avec lui sur un long métrage ?  

Oui. J’adore son cinéma et Yorgos Lanthimos est tellement généreux et gentil. Il y a une ambiance incroyable sur ses plateaux. Il met de la musique pour connecter tout le monde. Il dit très peu de choses mais il peut dire un mot et ça change la scène. Parfois, ça peut être un peu absurde, mais ça change tout.  Il est vraiment passionné, c’est un geek de cinéma et d’images.Il m’avait donné des cours de focales.

Quels sont vos projets au cinéma prochainement ? 

Là, je suis en tournage en Grèce avec un réalisateur qui s’appelle Vasilis Kekatos. Il a gagné la palme d’or du court métrage il y a trois ans. Le film parle de la jeunesse paumée en Grèce pendant la crise, c’est-à-dire ma génération. 

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