C’était il y a tout juste un an, à Cannes. Le premier long métrage d’animation de Jérémy Clapin, présenté à la Semaine de la critique, remporte le Grand Prix Nespresso. Une récompense qui a donné des ailes au film et à son réalisateur puisque l’un et l’autre ont voyagé partout dans le monde par la suite, soutenus par Netflix. Jérémy Clapin revient sur son aventure, de Cannes aux Oscars. ép. 1/2
« J’avais été sélectionné à la Semaine de la Critique avec mon court métrage Skhizein en 2008, c’est une maison que je connais bien, mais tout le reste était nouveau pour moi. Faire un long métrage d’abord – ce qui n’était pas un plan de carrière. Ça m’a pris sept ans. J’ai l’habitude des festivals, parce que mes courts métrages y ont toujours trouvé une place et rencontré un certain succès, mais en arrivant à Cannes avec J’ai perdu mon corps, j’ai pris conscience du basculement dans une autre dimension. J’entendais des bruits sur la croisette, des réactions positives liées au film, et ça m’a tout de suite surpris qu’il génère ce genre d’attentes, parce que c’est un film qui vient de nulle part ! J’étais convaincu, comme Marc (de Pontavice, producteur, NDLR), que le film était réussi, mais je n’imaginais pas un instant qu’il rencontrerait son public pendant le Festival de Cannes, ni même qu’il taperait dans l’œil de Netflix. Grâce à notre distributeur international Charade, Marc a rencontré Netflix pendant Cannes, et il m’a parlé de sa généreuse proposition de diffusion, et très vite, de l’ambition de Netflix pour le film et les Oscars 2020. Évidemment, j’ai fait un film pour le grand écran, et c’est toujours compliqué d’envisager sa découverte et diffusion sur le petit. Je me suis posé beaucoup de questions d’ordre artistique. Mais, c’est vrai que l’argument du rayonnement à l’international, via cette plateforme, n’était pas négligeable, d’autant plus que les propositions en termes de distribution classique faisaient défaut. Donc nous avons accepté avec Marc le marché avec Netflix, et avons, dès Cannes, commencé la campagne pour les Oscars. D’avoir eu le Grand Prix Nespresso de la Semaine de la critique en plus, ça a fait briller des yeux ! C’est la première fois dans l’histoire de la Semaine de la critique qu’un film d’animation obtient ce prix, j’en suis d’autant plus fier. Et puis juste après il y a eu le festival d’Annecy, le film a obtenu le grand prix et le prix du public, c’était magique !
Quand je parle de faire campagne pour les Oscars, ça veut dire rencontrer des gens de l’industrie, des studios, présenter le film aux États-Unis, l’inscrire à des festivals là-bas, nouer des liens avec des influenceurs professionnels… Ça demande beaucoup de temps et d’implication. On a commencé à faire ces séries de rencontres à partir du mois de juillet 2019. Le film a été sélectionné à l’Animation Is Film Festival à Los Angeles et a remporté le Grand Prix, ce qui a mis les voyants au vert. Ensuite, il y a eu plusieurs paliers, comme la sélection aux Annie Awards (équivalent des Oscars pour l’animation, NDLR). On a eu moins de soutien de la part des circuits classiques, comme les Golden Globes par exemple, les BAFTA et les European Film Awards, on est passé au travers. J’ai l’impression que c’est encore plus difficile de faire changer le regard sur l’animation auprès des institutions européennes. C’est encore une case à part, un genre à part entière, et c’est ce que j’ai aimé avec la sélection de La Semaine de la critique : l’exposition de mon film parmi d’autres films en prises de vue réelles. Il n’y avait pas de frontières. Je trouve ça étonnant que le film soit plus remarqué aux États-Unis qu’en Europe, nul n’est prophète en son pays bien sûr, mais, comme quoi, la stratégie de Netflix a été payante. Je me rends compte qu’un film d’animation, dans les règlements, dans les statuts, n’a souvent pas le droit de concourir en meilleure musique ou meilleur scénario par exemple, et ça, ça me dépasse ! J’espère que les choses vont évoluer, parce que je trouve ça à la fois injuste et cruel. J’ai davantage pu apprécier l’ouverture d’esprit et le dynamisme aux États-Unis pour être honnête. Il y a une curiosité aiguisée de la part de la profession, et pas seulement de celles et ceux qui ne font que du film d’animation. Là-bas, j’ai eu l’impression que le film était considéré comme un film à part entière, qu’il n’était pas qu’un objet technique, le résultat d’un artisanat. On parlait scénario, son, personnages, incarnation, style, prises de vue. Par rapport aux films d’animation de studio comme Disney, J’ai perdu mon corps est un OVNI pour le marché américain. On a un tout autre savoir faire que les Américains en matière d’animation en France. Mais je crois qu’en plus du caractère esthétique du film, ce qui leur a plu, c’est le message, le scénario-puzzle, la poésie, là où eux font des films d’animation très tracés, qui épousent un cahier des charges stricte qui cadenasse, je trouve, la poésie et le lyrisme. Donc, forcément, c’est ce qui les a intrigués avec J’ai perdu mon corps ».
Propos recueillis par Ava Cahen
A suivre…