C’était il y a tout juste un an, à Cannes. Le premier long métrage d’animation de Jérémy Clapin, présenté à la Semaine de la critique, remporte le Grand Prix Nespresso. Une récompense qui a donné des ailes au film et à son réalisateur puisque l’un et l’autre ont voyagé partout dans le monde par la suite, soutenus par Netflix. Jérémy Clapin revient sur son aventure, de Cannes aux Oscars. ép. 2/2
« La sortie en salles du film en France, même s’il était soutenu par la presse et l’AFCAE, n’a pas créée l’engouement qu’on espérait. Les chiffres n’ont pas décollé, on a fait près de 200.000 entrées, ce qui n’est pas rien bien sûr, mais pour un film d’animation, au regard du temps qu’on y a passé, du budget et des prix qu’il a reçus, c’est quand même décevant. Le film d’animation pour adulte est un cas compliqué, c’est difficile d’engager les gens à aller en salles, il y a une forte appréhension de leur part. Je ne leur jette pas la pierre, je crois seulement qu’il y a un vrai travail auprès des publics à faire. Le fait que mon héroïne soit une main coupée, la peur que le film verse dans le macabre, ça fait beaucoup d’obstacles, il est vrai. Si nous n’avions pas eu le soutien de la presse, je pense que le film aurait fait moins d’entrées que cela. Nous n’avons que très peu de télé, aucune fenêtre dans des émissions populaires pour présenter le film, parce je l’ai voulu sans star au casting aussi, les acteurs qui doublent les personnages n’étaient pas identifiables par le grand public. Ils sont merveilleusement authentiques et incarnent à la perfection mes personnages mais ils n’attirent pas l’attention en termes médiatiques. C’est un vrai parti pris artistique et déontologique en faveur du film et de son budget modeste. Le travail d’implication que je leur ai demandé, je ne crois pas que je l’aurais obtenu de la part de vedettes. Pour une question de temps et d’implication. Il ne s’agissait pas seulement ici de se mettre à une barre et dire un texte. Je me suis servi des gestes et du tempérament des comédiens pour donner vie aux personnages. Il fallait être physiquement présent, comme pour un tournage traditionnel.
Pour en revenir aux Oscars, l’annonce des nominations a été un point d’orgue. Évidemment, à ce moment-là, tout se précipite et il faut mettre les bouchées doubles. Ce qui est important, c’est que le film soit vu par un maximum de votants de toutes les branches, de toutes les sections. Autour de moi, les gens semblaient confiants, et du coup on se met forcément à rêver de la nomination, à y croire, un peu, en se disant que ça peut se jouer à pas grand chose. Puis, on se dit que ça serait malheureux que tout le travail fait en amont ne porte pas ses fruits, parce que, comme je le disais, c’est un vrai engagement de faire campagne, ça mobilise, c’est un investissement, et du coup, rentrer bredouille, était une possibilité qu’il fallait aussi envisager tout en gardant le moral. Pas simple. C’est dans les bureaux de Netflix qu’on a appris la nouvelle de la nomination, et ça a été un vrai soulagement. Même si nous ne remportions pas l’Oscar, le fait d’être sélectionné offrait une visibilité inédite pour un film d’auteur. Ce n’est que le lendemain que je me suis mis à penser aux films concurrents. Sur le moment, j’étais sur un nuage. La nomination, de fait, relance la campagne, et en moins d’un mois, on doit poursuivre les efforts engagés. C’est une course ! Nous savions bien sûr qu’avec Toy Story 4 en face, nos chances de remporter la statuette étaient maigres, mais on s’est pris au jeu, et on a tenu jusqu’au bout. Je reconnais volontiers la qualité de Toy Story 4, malgré le fait que ça soit justement un quatrième volet.
Le jour de la cérémonie, on est porté par le stress et l’excitation, on perd un peu le sens commun. Avec Marc, on continuait d’y croire, comme des enfants croyant au père Noël ! J’avais même préparé un discours au cas où, tout en me disant au moment de l’écrire que je n’aurais sûrement pas l’opportunité de le lire devant tout le monde. C’est à la fois absurde et joyeux comme expérience. Ce soir-là, j’ai été salué par des gens qui avaient vu le film, plutôt issus du milieu de la prise de vue réelle, et qui l’avaient aimé. Ça met évidemment du baume au coeur. J’ai croisé Bong Joon Ho à plusieurs reprises et j’ai eu l’occasion de discuter avec lui. C’est peut-être bête, mais, d’être reconnu par Bong Joon Ho, qui est un réalisateur que j’admire beaucoup, ça fait quelque chose. Tout ça fait partie de la magie de ce genre de grande réunion cinéma. Comme serrer la main de Brad Pitt. J’ai perdu mon corps n’est pas mon premier film, c’est mon premier long, mais, pour cette communauté-là, j’étais vraiment le petit nouveau sorti de nulle part.
J’ai plusieurs idées en tête pour la suite. Plusieurs pistes plus ou moins développées. Je ne sais pas encore laquelle va prendre l’ascendant sur l’autre. Je me laisse un peu de temps pour réfléchir. Il s’agit de se poser les bonnes questions, et de continuer à faire à ma manière. Pour l’instant, j’en suis à un stade plus pictural que narratif. J’essaie d’avoir une vision d’ensemble avant de me lancer dans le détail. Travailler avec Netflix et plus largement les États-Unis ? Sûrement, Mais il faut que le projet fasse sens et que les conditions artistiques me conviennent. Je ne suis pas quelqu’un de fermé. Même sur la question du scénario par exemple. Les idées que je développe sont des idées originales, mais si on me parle d’adaptation et que l’œuvre me plait, pourquoi pas là encore. J’aimerais avoir la possibilité d’écrire avec quelqu’un, un coscénariste avec qui l’échange serait stimulant. J’ai aujourd’hui des opportunités que je n’avais pas auparavant. Il faut prendre le temps de les peser, chacune, et savoir où est mon désir. D’avoir plus de choix, c’est à la fois génial et vertigineux ».
Propos recueillis par Ava Cahen