La chute de la maison Prieur
Une série sombre, tendue entre tragédie antique et thriller prolétaire récompensée l’an passé à Séries Mania par un prix d’interprétation féminine attribué à Margot Bancilhon et réalisée par Vincent Maël Cardona (Les Magnétiques).
Nous sommes au Havre. Pierre Leprieur, docker auguste et syndicaliste autant respecté que craint, s’apprête à fêter son soixantième anniversaire. Mais la fête est de courte durée, ses deux fils ayant été appréhendés par la police pour recels de drogue. Convaincu d’être victime d’un complot visant à le briser, Pierre réclame à contrecœur l’aide de sa fille, avocate. Mais le drame n’a pas dit son dernier mot et va s’abattre une ultime fois sur cette famille. Comme le coup de grâce d’une malédiction ancestrale à laquelle nul ne semble pouvoir échapper… coup de théâtre stupéfiant sur lequel s’achève le premier épisode, rebattant toutes les cartes de la dramaturgie.
La toute première qualité (mais loin d’être la seule) de De Grâce est son scénario signé à quatre mains par le scénariste Maxime Crupaux (créateur de la série Année zéro) et du romancier Baptiste Fillon, havrais d’origine et auteur chez Gallimard de Après l’équateur. Deux plumes acérées confessant une passion commune pour James Gray, une évidence au vu de leur travail sans que cette référence assumée ne leur fasse d’ombre. Bien au contraire. À partir de la figure de Pierre, patriarche autoritaire et homme engagé d’une rigidité morale indéfectible s’étant dressé toute sa vie contre la corruption et les trafics de drogues gangrénant le port du Havre, ils tissent le maillage serré et anxiogène d’un remarquable polar nocturne et social aux accents de tragédie shakespearienne. Où comme le veut ce genre, chacun est le propre instrument de sa chute annoncée. Soit par orgueil, soif du pouvoir, aveuglement ou avidité. Un canevas narratif en forme d’échiquier (il est ici question de roi, de reine, de cavaliers fous et de pions interchangeables) où tous les coups seraient permis. Six épisodes au cordeau et aux dialogues à la fois réalistes et littéraires (subtil équilibre) pour dire la fin de la solidarité du monde ouvrier ainsi que le racisme économique régnant dans les docks. Autant de partitions parfaitement ajustées aux comédiennes et comédiens d’une distribution impeccable, faisant se côtoyer talents confirmés – Olivier Gourmet, Philippe Rebbot, Astrid Whettnall et Xavier Beauvois – et quelques noms fort prometteurs de la nouvelle génération dont Margot Bancilhon, Panayotis Pasco et Pierre Lottin.
Une spirale infernale faite d’honneur bafoué, de secrets enfouis et de trahison de classe, sublimée par la mise en scène de Vincent Maël Cardona (César du meilleur premier film pour « Les Magnétiques » en 2021). Sa manière de filmer de nuit les docks et les labyrinthiques rues du Havre cisèle une étoffe à nulle autre pareille au récit. Une ambiance naturellement claustrophobe se nourrissant de ces horizons barrés où toute fuite est proscrite. Un univers urbain emprisonnant les protagonistes et les enserrant, magistralement mis en image à la manière d’une citadelle en plein effondrement, symbole d’un pouvoir autrefois puissant mais inéluctablement voué à la destruction.
Série écrite par Maxime Crupaux et Baptiste Fillon, réalisée par Vincent Maël Cardona avec Olivier Gourmet, Astrid Whettnall, Margot Bancilhon Panayotis Pasco et Pierre Lottin. Sur Arte les jeudis 8 et 15 février et disponible sur arte.tv jusqu’au 15 mars