Vie et mort de Fernand Iveton
Les cris des détenus s’élèvent entre les murs poussiéreux, se mêlant au cliquetis métallique des barreaux. D’un geste mécanique, presque répété, les gardiens détachent les prisonniers avant de leur proposer : « Cigarette ? Café ? » Ceux-ci font non de la tête, avant d’être emmenés. À peine le temps pour le spectateur de saisir ce qui vient de se jouer : quelques secondes plus tard, le couperet de la guillotine tombe d’un coup sec. Nous sommes à la fin des années 50, et le jour se lève sur la prison de Barberousse, à Alger. Ainsi débute De nos frères blessés de Hélier Cisterne (Vandal), qui emprunte son titre au roman éponyme de Joseph Andras (Actes Sud, 2016) qui déploie le récit, oublié jusqu’à aujourd’hui, d’un moment crucial de la Guerre d’Algérie. En novembre 1956, Fernand Iveton, employé du Gaz d’Algérie et militant communiste, dépose une bombe dans son casier. Celle-ci n’explosera pas, et Iveton sera arrêté. Bien que son acte n’eut pas l’intention de tuer, il sera sacrifié pour l’exemple au terme d’un procès militaire fantoche par une France aveuglée par le conflit. Une France dirigée à l’époque par René Coty et son garde des sceaux François Mitterrand.
Co-écrit par Hélier Cisterne et sa compagne la réalisatrice Katell Quillévéré (Suzanne, Réparer les vivants), le film déploie deux trames narratives. D’une part, l’engagement d’Iveton et de ses camarades pour l’indépendance de l’Algérie. De l’autre, l’histoire d’amour passionnée qui va lier Fernand et sa femme Hélène, une Polonaise ayant fui l’URSS et exilée à Paris. Opérant des allers-retours entre le présent de la narration et le passé des personnages, le récit permet à ces deux aspects de se déployer habilement tout en se répondant. Car il s’agit de deux histoires d’amour finalement, qui s’incarnent à travers Fernand : celle entre sa femme et lui, et celle pour la liberté de son pays. Et des deux côtés, l’écriture fine et sensible de Cisterne et Quillévéré nourrit les personnages et leurs endroits de tension. Dans le rôle de Fernand Iveton, un Vincent Lacoste moustachu et quasiment à contre-emploi apporte au personnage une candeur mêlée de gravité. Face à lui, Vicky Krieps illumine dans le rôle d’Hélène, infusant le personnage d’une douceur véhémente, mais n’hésitant pas à tenir tête à son mari. Car la tension politique est au cœur ce couple qui voit chacun le communisme d’un œil différent ; la scène de leur dispute dans la voiture illustre brillamment ce déchirement.
Coproduit entre la France, l’Algérie, mais aussi la Belgique via Frakas productions, le film peut compter sur la prestation forte du comédien belge Yoann Zimmer (Des Hommes) dans le rôle du militant anticolonialiste Henri Maillot. On peut citer également le travail de son compatriote le directeur de photographie Hichame Alaouié (Eté 85, Le Bureau des légendes), notamment sur les textures des peaux, filmées au plus près lors des scènes de prison ou d’intimité, mais aussi capturant le soleil qui se lève sur Alger, au terme d’une nuit blanche partagée entre les deux amants. Un film qui aborde délicatement mais sans détours une page sombre de l’histoire française, et qui questionne l’engagement au croisement de l’intime et du politique.
Réalisé par Hélier Cisterne, écrit par Hélier Cisterne et Katell Quillévéré, avec Vincent Lacoste, Vicky Krieps, Yoann Zimmer, Yvain Juillard… France – 1h35 – Les films du Bélier/Frakas Productions