Dérégler l’horlogerie
Par des plans décadrés, souvent fixes, le réalisateur, Cyril Schäublin, introduit intelligemment le décor d’un petit village suisse de 1870, entre l’ordre et le désordre, la montée du nationalisme et l’avènement de l’anarchisme. Saint-Imier devient rapidement une micro-société régie par une fabrique de montres comme le berceau européen des fondements de l’organisation du travail chronométré où la rentabilité conduit à l’aliénation des travailleurs. Alors que quatre heures différentes rythment la vie des habitants : l’usine, la mairie, l’église et la poste, ces étapes vers la modernité se traduisent par d’autres avancées : la photographie qui, ici, permet de promouvoir la place de l’usine dans la vallée ainsi que le télégramme. Dans ce cadre helvétique et ce contexte historique, le récit de Désordres commence par l’arrivée du jeune Pierre Kropotkine, géographe russe, débarqué sur place pour dessiner de nouvelles cartes du territoire. Il y fait la rencontre d’une ouvrière, Joséphine, qui développe avec ses camarades des idées anarchistes et féministes déjà guidées par la Commune de Paris, dont l’égalité salariale entre hommes et femmes. Dès lors, le film observe ses personnages dialoguer – en français, suisse allemand ou russe -, penser le politique dans leur quotidien en faisant s’affronter ces différents courants, dont l’anarchisme qui dérègle peu à peu l’aspect corseté imposé. Désordres épouse dans sa structure la minutie de fabrication de l’horlogerie, pour mieux enrayer le mécanisme par sa forme. Et en faisant se rencontrer Pierre et Joséphine, ces deux êtres imprégnés d’idéaux politiques, et de romantisme, Cyril Schäublin donne à voir la possibilité d’un autre monde affranchi de l’ordre, par un film éloigné du romanesque du genre, lui préférant la fable.
Réalisé et écrit par Cyril Schäublin. Avec Clara Gostynski, Alexei Evstratov, Monika Stalder… 1h33 – En salles le 12 avril – Shellac.