Réalisateur discret de fictions fines et toujours surprenantes et bien senties (Confort moderne, Les Fraises des bois, Ma Vie avec James Dean), Dominique Choisy filme dans Les Mots de Taj, le parcours à rebours de Tajamul, jeune Afghan réfugié en France et devenu son fils adoptif. Il raconte à FrenchMania la genèse de ce documentaire inspirant qui sort en salles mercredi 24 novembre et que Taj et lui accompagnent dans de nombreuses salles en France.
Comment avez-vous rencontré Taj ?
Dominique Choisy : On s’est rencontré en 2013 lors de son stage de 3ème en entreprise. Il voulait à l’époque être journaliste, ce qui revient d’ailleurs puisqu’il veut aujourd’hui devenir journaliste en zones de conflit, et a été pris en stage à France 3 Picardie où je travaillais comme monteur. Il ne parlait pas encore français et, en le raccompagnant en voiture au foyer, celui même où commence le film, je lui ai posé plein de questions. J’ai commencé à comprendre qui il était, moi qui n’avait encore jamais rencontré de réfugié. Devant son foyer, je me suis dit presque immédiatement que je n’allais pas le laisser. Je lui ai donné des cours de français et une amitié est née et on s’est adopté.
A quel moment avez-vous eu envie de raconter son parcours ?
Dominique Choisy : C’est arrivé assez rapidement puisque l’année suivante, en 2014, je suis allé avec lui dans un festival à Linz en Autriche et qu’on a vu, en ouverture, le film L’Escale de Kaveh Bakhtiari qui raconte l’histoire de réfugiés bloqués à Athènes et qui ne parviennent pas à quitter la Grèce. On a discuté avec le réalisateur et rentrant vers l’hôtel, Taj m’a dit qu’il avait aussi des choses à dire parce qu’on ne parlait des réfugiés que quand ils étaient bloqués à un endroit. Il pensait que ce qui était plus intéressant c’était de raconter ce que vit un réfugié pendant tout son parcours, ce qu’il ressent, ce qu’il traverse. Il m’a dit « comme tu fais des films, on pourrait faire ce film-là ensemble » ! Et, à ce moment-là, je lui ai dit non parce que je pensais manquer de distance et que je n’avais jamais fait de documentaire que ce n’était pas mon propos, que je faisais des fictions et que le réel m’impressionnait. Il a insisté pendant pas mal de temps, il voulait ne parler de cela qu’à moi pour que par le biais d’un film, tout le monde l’entende. Donc j’ai cédé.
Comment s’est organisé ce tournage et ce voyage ?
Dominique Choisy : Cela a duré un mois et demi, de mai à mi-juin 2018. C’était un petit peu Tintin fait du documentaire. J’ai essayé d’organiser un peu le voyage mais je n’ai pas vraiment réussi à le coincer devant une carte pour faire un tracé. On est parti ) ce moment-là parce qu’on était tous les deux libres et qu’Henri Desaunay, notre chef opérateur/ingénieur du son était aussi disponible. On n’avait aucune autorisation pour tourner où que ce soit donc on a opéré en mode « touristes » en tournant avec un appareil photo. On est parti comme ça et au fur et à mesure ça s’est construit avec quelques points de chute et quelques contacts, notamment des journalistes pour avoir un point de vue plus global sur les migrations notamment en Autriche et en Grèce. Mais tout cela a volé en éclats au montage pour ne garder que le parcours et les rencontres que Taj a faites sur ce parcours.
Que gardez-vous de ce tournage et comment en êtes-vous revenu ?
Dominique Choisy : Je pense que je n’en suis pas revenu ! J’en suis toujours pas revenu. Quelque chose de moi est resté dans cette histoire-là notamment dans deux pays que j’ai adoré que sont l’Iran et l’Afghanistan où je rêve de retourner un jour. Il y a des choses que je veux faire là-bas même si je ne sais pas encore précisément quoi. Grâce au film, Taj est devenu un haut-parleur pour tous les réfugiés avec beaucoup de simplicité et de liberté. Il a vraiment déposé son statut de réfugié dans le film et cela a renforcé notre lien.