L’amour et la violence
Créer des mondes dans lesquels se réfugier. Immiscer de l’amour dans le chaos ambiant. Le cinéma du duo Vinel-Poggi impulse ses deux idées et Eat the night, leur deuxième long métrage après Jessica Forever (2018) présenté à la Quinzaine des cinéastes à Cannes en mai dernier, et les sublime. Ici, ils s’emparent d’abord du réel pour la première fois avant d’y lier le virtuel. Les deux héros, frère et sœur, ont grandi dans une banlieue pavillonnaire havraise délaissés par leur parents. Depuis tout petits, Pablo (Théo Cholbi) et Apo (Lila Gueneau) s’échappent dans Darknoon, jeu vidéo multi-joueurs en réseau. Un univers ultra coloré, où via leurs avatars badass, ils se sont créé des moments de complicité à eux en dehors des affres de la vie. Quand un message apparait annonçant la disparition du serveur dans quelques jours, l’adolescente voit son jardin d’Eden s’anéantir. Pablo, lui, a un deuxième refuge, une cabane dans les bois où l’apprenti dealer fabrique des pilules colorées artisanales. Les cinéastes mêlent la tragédie au film noir, le teen movie mélancolique et le mélo queer quand Pablo rencontre Night (Erwan Kepoa Falé) sur le parking d’un supermarché après s’être fait tabasser par une bande de narcos. De nouveau, l’amour et la violence. La passion brûlante entre les deux garçons, proche dans ses scènes de sexe du cinéma de João Pedro Rodrigues, s’intensifie, et la tragédie contamine déjà de sa noirceur toutes les strates. Et si la dramaturgie de Eat the night apparait plus classique et accessible que leurs précédents films, Poggi et Vinel confirment leur singularité animée par l’hybridité des formes et des genres expérimentés. À la fin, le cœur dévoré et une question : l’amour est-il assez puissant contre la violence et la fin programmée de notre monde ?
Réalisé et écrit par Caroline Poggi et Jonathan Vinel, avec Erwan Kepoa Falé, Théo Cholbi, Lila Genau… France – Tandem – En salles le 17 juillet 2024