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Elie Grappe (Olga) : “Je voulais être avec le point de vue d’Olga, pas dans un regard projeté sur elle”

par | 16 Nov 2021 | Interview, z - 1er carre droite

Olga, portrait puissant d’une jeune gymnaste exilée, a été choisi pour représenter la Suisse aux Oscars, après avoir été sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes l’été dernier. Une juste reconnaissance que son réalisateur, Elie Grappe, accueille avec humilité.

Tout en souplesse, le premier film d’Elie Grappe (27 ans et des poussières) suit le parcours très physique d’Olga, une gymnaste de 14 ans tiraillée entre la Suisse, où elle s’entraine pour le championnat européen en vue des J.O., et l’Ukraine, où sa mère journaliste couvre les événements d’Euromaïdan. Si loin, si proche… Précisément, ce récit d’apprentissage dûment rythmé se déploie fin 2013, oscillant entre la blancheur ouatée d’un hiver helvète et le tumulte violent de la place Maïdan, que l’adolescente suit à travers différents réseaux sociaux. Richesse des enjeux, beauté des images, sûreté de la réalisation, justesse du regard : Olga révèle à la fois un fin portraitiste et un vrai cinéaste. Rencontre avec un passionné dont on n’a pas fini d’entendre parler…

Vous êtes Français, avez grandi à Lyon avant de vous former à l’École cantonale d’art à Lausanne (L’Ecal), en Suisse, pays où vous vivez toujours. Est-ce la raison pour laquelle vous avez eu envie d’aborder le thème de l’exil dès votre premier film ?

Elie Grappe : Je suis arrivé à l’Ecal en 2011, j’avais 17 ans, j’étais donc très jeune, et j’ai été frappé par le fait que la petite ville de Renens, située dans l’agglomération de Lausanne, était habitée à 80% par des personnes étrangères. Je n’arrêtais pas de rencontrer des personnes qui me parlaient de leur exil, et forcément, cela faisait écho au mien même si ça n’était pas comparable. D’ailleurs, j’ai fait mon premier documentaire sur cette ville. Il est vrai, aussi, que les origines de mes grands-parents sont géorgiennes et polonaises. Ma mère étant prof d’histoire, je me suis donc intéressé très tôt à la question de la généalogie…

Pourquoi l’Ukraine ?

Elie Grappe : L’autre question qui me préoccupait beaucoup était celle de la passion. Fin 2015, après un court métrage sur la danse classique, j’ai coréalisé un documentaire autour d’un orchestre, dans l’univers des conservatoires que je connais bien. J’y ai filmé une violoniste ukrainienne arrivée en Suisse juste avant Euromaïdan. Le trouble avec lequel elle m’a raconté la révolution, et la façon dont les images l’avaient atteinte, m’a profondément touché. J’y ai trouvé la jonction entre les différents motifs qui m’intéressaient pour mon premier long métrage : filmer la passion d’une adolescente, le corps en action, et mettre face à face son enjeu individuel et des enjeux collectifs.

Copyright Point prod/Cinémadefacto

Que connaissiez-vous de la révolution ukrainienne et de la gymnastique de haut niveau au départ ?

Elie Grappe : Je suis parti de zéro. Un peu comme dans une démarche de documentariste. D’ailleurs, je me suis documenté ! Pour l’Ukraine, je me suis beaucoup posé la question de l’appropriation culturelle quand même. Raison pour laquelle, dès le début, j’ai inclus dans ma démarche des Ukrainiens. Des consultants, en quelque sorte, qu’ils soient sociologue ou cinéaste. Leur apport a été capital. Quant à la gymnastique, j’avoue que c’était très mystérieux pour moi. D’ailleurs, cela ne m’attirait pas forcément au départ, mais ce sport de haut niveau me permettait d’incarner l’effort que de très jeunes filles peuvent exiger d’elles-mêmes au nom de leur passion.

A propos de jeunes filles, vous filmez leurs « corps en action » lors de très belles séquences d’entrainement, tout en veillant à ne jamais les érotiser. Un point de vue rare au cinéma, surtout venant d’un réalisateur…

Elie Grappe : Oui, c’était hyper important pour moi d’échapper à tout ça dès le départ. Vous savez, j’ai lu « Le Regard féminin, une révolution à l’écran » d’Iris Brey, et cela m’a beaucoup éclairé. Dans ce livre, elle met des mots sur des interrogations qui étaient déjà présentes en moi. De fait, pour mon film, je voulais être avec le point de vue d’Olga, pas dans un regard projeté sur elle. Le corps étant hyper présent, il fallait trouver la bonne distance. Je le dis en toute humilité, mais je souhaitais être dans une démarche pro-féministe. C’est pour cela que j’ai souhaité m’entourer de femmes tout au long de la fabrication du film. Raphaëlle Desplechin, ma coscénariste, était ma prof à l’Ecal. Lucie Baudinaud, la cheffe opératrice, avait déjà travaillé avec moi sur mon court métrage. Quant à Suzana Pedro, la monteuse du film, je l’ai rencontrée quand j’avais 18 ans.

Parlez-nous d’Anastasia Budiashkina, la jeune gymnaste qui interprète votre héroïne…

Elie Grappe : Elle incarne Olga, elle est la clé de l’émotion du film. Pour elle comme pour tous les rôles de gymnastes, je n’ai pas souhaité travailler avec des actrices professionnelles. La première fois que j’ai vu Anastasia, c’était lors du championnat européen de gymnastique artistique, en 2016 à Berne. Aussitôt j’ai aimé son intensité magnifique. Je savais qu’il faudrait que je ne sois pas complètement dans le contrôle avec elle pendant le tournage… Mais il y a eu des répétitions quand même, qui lui ont été utiles autant qu’à moi, car moi aussi j’étais en train d’apprendre ! Je suis très content, en tout cas, de lui avoir fait confiance. Elle a traversé tellement de dispositifs différents pour ce film. Elle a pris des cours particuliers de français pendant deux ans. Elle a fait des cascades, de l’impro… On peut vraiment dire qu’elle est devenue une actrice professionnelle. Aujourd’hui, elle vit en Ukraine, où elle fait partie de l’équipe nationale de réserve. Mais si elle veut poursuivre sa carrière d’actrice, on fera tout notre possible pour l’aider. Ne serait-ce que pour enclencher une formation.

Le silence occupe une place importante dans Olga. A cause de la barrière de la langue, à cause de la neutralité de la Suisse, aussi, d’une certaine façon. Expliquez-nous…

Elie Grappe : La Suisse revendique une neutralité qu’Olga ne peut pas avoir vis-à-vis de ce qui se passe en Ukraine. C’est en cela que le silence suisse, insupportable pour elle, m’intéressait. Il n’arrête pas de marquer qu’elle n’est pas à l’endroit où elle devrait être. De fait, le centre olympique suisse où elle réside se trouve sur un plateau, entouré de forêt, c’est un lieu à la fois ouvert et fermé. Un huis clos à ciel ouvert, disons. Très parlant à sa façon… Car après quelques courts métrages, j’ai vraiment arrêté de vouloir m’appuyer sur du texte. Ce que je fais n’est pas de la littérature ou du théâtre, je veux pleinement utiliser les outils du cinéma, à commencer par le son… et le silence.

Et la musique, également ! La B.O., signée Pierre Desprats, est très originale. Elle joue avec les respirations, les bruits de frottements des appareils. Vous êtes musicien vous-même : racontez-nous cette partition…

Elie Grappe : Oui, enfin je suis instrumentiste, pas compositeur ! Mais j’ai un rapport très musical à la gym. Je ferme les yeux et j’entends une sorte de musique sérielle, industrielle… Etrangement, aussi, le son de la gym me fait penser à la révolution. Voyez la chute des corps sur le tapis, ça ressemble à une détonation ! Bref, c’est cela que l’on a voulu recréer avec la BO de Pierre. Il était important que la musique ne soit pas une illustration, mais qu’elle transmette l’intériorité d’Olga. Qu’elle soit une sorte de loupe sur son corps. Raison pour laquelle la composition de Pierre utilise des sons très organiques. Disons que c’est une musique bruitiste ; la partie plus pop, plus chanson, arrivant tard dans le récit. Et là aussi, d’ailleurs, c’est Pierre qui l’a composée ! J’aime beaucoup son travail : sa première BO, c’était pour Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico…

Olga a reçu un très bel accueil à la Semaine de la Critique, à Cannes, en juillet dernier. Il a également été choisi pour représenter la Suisse aux Oscars. Mais au fait, avez-vous eu l’occasion de montrer votre film en Ukraine ?

Elie Grappe : Oui, et c’était très beau, les gens étaient hyper émus. Moi aussi. Notamment par les retours de toute jeunes filles de 16 ans, qui ont vécu l’exil… d’être trop petites pour participer pleinement à la révolution, en 2013/2014. Mais vous savez, tous les retours sur le film m’ont ému. C’était tellement spécifique à chaque fois, forcément, ce sont des choses qui vont rester…

Olga, réalisé par Elie Grappe. Avec Nastya Budiashkina, Sabrina Rubtsova, Caterina Barloggio. Durée : 1H27. En salles le 17 novembre 2021.

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