Vincent Macaigne est François, un homme marié qui va perdre la tête pour Daphné, jeune femme qu’il a dans la peau. Dans Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, Emmanuel Mouret croque plusieurs personnages de différentes natures qui ont pour point commun d’avoir le coeur en jachère. D’amour, de mise en scène et d’écriture, on parle donc ici avec l’acteur et le réalisateur.
Ce film-ci, comme les précédents, tord la question du sentiment amoureux. On en parle en marchant et les souvenirs rencontrent le présent…
Emmanuel Mouret : Oui, les états des protagonistes évoluent au fil des situations, et souvent le point de départ de l’écriture, c’est tout bête, mais ça ressemble à des situations où les personnages sont dans une sorte de conflit, parfois cocasse, parfois cruel ou tragique. Comme le cinéma joue avec le temps, ce sont ces mouvements-là qui m’intéressent peut-être …
A quel point le choix des acteurs dans vos films dessinent vos personnages ?
Emmanuel Mouret : Vincent, je ne sais pas si ça te fait ça, toi qui mets aussi en scène du théâtre, mais parfois j’aimerais reprendre un scénario de film et mettre une autre distribution à la place de l’originale. C’est incroyable comme l’incarnation peut faire basculer un film ou un texte dans une dimension ou une autre. Qu’est-ce que c’est qu’un personnage sur un scénario ? C’est juste des actions générales et des lignes de dialogues. L’incarnation va donner une âme, à un moment donné. Mais peut-être que dans cent ans ou deux cents ans, le cinéma fera comme le théâtre, et on se servira d’un répertoire de classiques, on réinvestira les grands films…
Vincent Macaigne : C’est aussi qu’au théâtre souvent, on monte des pièces et on doit changer d’acteur au débotté à cause de dates ou d’incompatibilités d’emploi du temps, et ça change la pièce forcément. Parfois, ça ne fonctionne plus, parfois ça crée quelque chose de surprenant et ça devient sublime… Et on ne peut rien y faire !
Aviez-vous envie de travailler ensemble depuis longtemps ? Et Vincent, comment avez-vous appréhendé votre personnage ?
Emmanuel Mouret : Oui, on s’était déjà rencontré par le passé, on avait l’un et l’autre envie de travailler ensemble, et puis je lui ai donné le rôle de François. Le rôle, ce qu’il avait à jouer, était évidemment très clair pour Vincent, mais j’ai eu un moment un doute, à un endroit, parce que Vincent fait plus jeune que le personnage de François, et je me souviens que ça t’a ému que je te le dise. Ensuite, tu m’as dit que ça te plaisait de te voir et de te sentir plus vieux. François, c’est un homme posé, qui a un métier, qui a une droiture, ce que Vincent réussit à incarner, même physiquement je trouve, et ça j’en suis admiratif parce que je ne sais pas faire, pas de cette manière.
Vincent Macaigne : D’abord j’ai rencontré le costume du personnage, et c’était déjà quelque chose. De voir comment on pouvait me vieillir, ne serait-ce que par l’habit, ça m’a fait tout drôle. Ensuite, Emmanuel est un cinéaste très précis, ça facilite aussi la chose, on trouve plus facilement comment travailler et jouer. On est très vite pris dans l’univers d’Emmanuel. Toutes ces précisions et indications que donne Emmanuel, ça nous permet je crois d’être plus sincère dans notre jeu, et puis Emmanuel fait souvent du plan-séquence, ce qui implique de l’écoute et de la préparation aussi.
Tous vos acteurs disent de vous Emmanuel que vous êtes un cinéaste très précis. Quel metteur en scène êtes-vous donc pendant le tournage ?
Emmanuel Mouret : Ce sont les choix au casting qui à mon sens déterminent 80% du travail du metteur en scène. La direction d’acteur passe par là : composer avec les bons acteurs. Avec Vincent, nous n’avons jamais eu par exemple à parler du personnage en lui même, la psychologie n’est pas mon affaire. Vincent a de suite compris le personnage et sa musique. Sur le plateau, c’est un travail de mise en place, de mise en scène, le rapport des acteurs avec le cadre qui est mobile, comme les personnages, et tout ça, il s’agit de le coordonner, et donc d’être précis oui, c’est assez logique. C’est vrai que j’aime faire des plans-séquences ou j’aime qu’il y ait du mouvement dans le cadre, j’essaie d’éviter le plus possible la grammaire du champ/contre-champ. J’essaie de faire en sorte que le regard du spectateur soit dynamique. Parce que les personnages racontent des choses, et j’avais envie ici qu’on aille chercher des réponses et des émotions sur leur visage plutôt que tout soit donné à voir avec facilité. C’est certainement dans ce qui ne se voit pas que le spectateur peut projeter sa propre intimité.
On est effectivement dans un cinéma de l’intime, presque de la confession. Le texte est moteur de l’action.
Emmanuel Mouret : Comparé à un film de Mankiewicz, le mien est presque muet ! Mais la parole au cinéma a toute son importance oui, parce que le cinéma parlant, c’est justement la contradiction dans la parole qui le définit. La plupart des comédies classiques américaines ou italiennes sont extrêmement bavardes. Peut-être qu’aujourd’hui, il y a une certaine forme de défiance vis-à-vis de la parole. Pourtant, nous nous dévoilons tous par nos contradictions et non par des définitions. Et plus on parle et plus on va développer une complexité, et évidemment ça créera des pensées ou des examens contradictoires. Ça, je ne m’en suis pas aperçu de suite, mais la parole est d’autant plus cinématographique qu’elle nous porte à observer le personnage, à regarder derrière les yeux, et ils deviennent une sorte d’écran. Puis ça pousse bien sûr, en tant que cinéaste, à imaginer, parce que quand un personnage raconte une histoire, il faut, comme en littérature, tout imaginer de l’endroit et la manière dont l’histoire va être racontée. Va se superposer alors un plan visuel, et intime, dans un cadre qu’on pourrait dire universel.
Vincent Macaigne : En fait je trouve qu’Emmanuel travaille d’une manière presque normale, qui peut-être pour certains est devenue anormale, c’est-à-dire travailler en famille, avec des gens de confiance et qui donnent confiance aux autres dans leur approche du travail. Cette tendresse qu’Emmanuel a pour les personnages, il l’a pour les gens qui travaillent à ses côtés, ça donne un sens collectif à l’aventure, et c’est devenu, c’est vrai, un peu rare. Quant à la parole, pour moi, elle est dans tous les arts, même en peinture. Le film montre et nous fait vivre ce que les personnages joués par Camélia Jordana et Niels Schneider ont vécu, et en fait, on s’attache à leur histoire et à leur personnage, de la même manière qu’on s’amuserait à jouer aux poupées russes.
Emmanuel Mouret : En fait, on fait trop de différence entre parole et action. La parole est une action. Une parole blesse parfois beaucoup plus qu’un coup, ou elle enchante plus qu’un geste. Quand Raoul Walsh dit que sa définition d’un film c’est « Action ! Action ! Action ! », on pourrait aussi dire « Parole » par trois fois, parce qu’elle a sa place dans ce champ-là.
Camélia Jordana et Niels Schneider font également leur entrée dans votre univers Emmanuel. Pourquoi votre choix s’est porté sur eux ?
Emmanuel Mouret : Je ne connaissais pas Camélia et j’ai été de suite enchanté. Ce que j’ai beaucoup aimé chez elle, c’est qu’elle a le goût du jeu. Souvent au cinéma, on se dit qu’il faut être naturel, comme dans la vie, et ce que m’a saisi avec Camélia, c’est qu’à la manière d’une interprète elle allait chercher plein de notes différentes. C’était très riche et son goût du jeu m’a vraiment inspiré. Comme Niels qui est joueur lui aussi. En tant que spectateur, j’aime la sensation de voir les acteurs jouer. Le plaisir est plus important qu’un soi-disant réalisme. D’une musique, on ne dit pas qu’elle n’est pas assez réaliste. On ne se pose pas la question du réalisme quand on regarde un film d’Hitchcock ou ET de Spielberg !
Quelques mots pour finir sur le succès de Mademoiselle de Joncquières. Vous a-t-il surpris ?
Emmanuel Mouret : Un succès surprend toujours, mais je dois dire que j’ai été particulièrement surpris parce que quand j’ai fait le film, c’était en effet un film en costumes avec beaucoup de textes, sans flash-back a contrario de celui-ci, et j’étais parti avec l’idée que certains trouveraient que ça vaut la peine de s’accrocher, d’autres pas. J’ai été sans concession sur ce que j’avais envie de faire, quitte à flirter avec l’échec, et ça a été vraiment surprenant pour moi de constater que là où j’ai osé, ça a profité au film. Il a rencontré son public d’une manière très belle. Je crois que l’exigence du film a plu justement aux spectateurs.
Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, en salles le 16 septembre 2020. Avec Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne … Durée : 2H02. FRANCE