Avec L’Étreinte, premier film de Ludovic Bergery en salles dès mercredi, Emmanuelle Béart se réinvente. Elle incarne Margaux qui vient de perdre son mari, se réfugie chez sa sœur et dans les études de littérature allemande avant de s’élancer, maladroitement, dans un parcours de retour à la vie, à la chair, aux émotions. Si le film se perd parfois, au détour d’une scène ou deux, dans une vision un peu schématique de l’époque, il offre à Béart un de ses rôles les plus forts au cinéma, un personnage qui chemine à tâtons vers l’affirmation de soi. FrenchMania a rencontré Emmanuelle Béart pour évoquer ce beau retour au cinéma.
En voyant L’Étreinte, on a le sentiment très particulier que le film a envie de vous…
Emmanuelle Béart : Que c’est joli ! Quand j’ai rencontré Ludovic Bergery dans un contexte tout autre, il m’a parlé de son film et même d’autres actrices. Moi j’avais la sensation d’une folle intimité avec ce personnage, il m’en avait tellement parlé que je lui donnais des idées d’actrices, j’avais pensé à Miou-Miou. Et puis, on s’est revu, il m’a reparlé de son sujet et c’est devenu une sorte d’évidence que cela serait moi et personne d’autre. C’est un portrait de femme écrit par un homme et qui s’inspire de son vécu à lui, de sa vie à lui, d’une forme de solitude qui lui est propre et de liberté. C’est un homme sans attache et il y a beaucoup de lui dans Margaux. Bien sûr qu’il est plus délicat pour une femme de traverser le temps, de vieillir, dans un contexte social souvent hostile à ce processus naturel mais c’est avant tout, pour moi, le portrait de quelqu’un qui sort d’un deuil. Mais cela pourrait être une rupture amoureuse, on sait que dans la vie, quand on quitte ou qu’on est quitté, cette sorte de bulle dans laquelle on a vécu éclate, et on se retrouve à poil devant la vie, avec une urgence à se reconnecter, à se recomposer, à se réinventer. C’est vraiment la naissance du projet de Ludovic plutôt que le désir de ce qui est devenu, après, bien sûr, un corps à corps.
L’éclatement de cette bulle devient justement complètement émancipateur.
Emmanuelle Béart : Oui, ça créé une folle liberté donc une dangerosité. Margaux va se fracasser, se mettre dans des situations extrêmement douloureuses tout en vivant des fulgurances de bonheur et de jouissance, cela pourrait être comparable à une excitation de retrouver les premières fois. Il y a quelque chose de cet ordre-là et c’est assez bouleversant. Ludovic me disait l’autre jour qu’elle était une Belle au Bois-Dormant qui se réveille, je lui ai dit “Oui, sauf que la Belle au Bois-Dormant, elle a 50 ans et que quand tu te réveilles à 50 ans, c’est pas la même chose !”. Elle a une liberté réelle, elle n’a pas d’attache, pas d’enfant, une famille presque absente, une sœur qui ne lui ressemble pas et à qui elle n’a rien a dire.
Cela faisait longtemps qu’on ne vous avait pas vu au cinéma, qu’est-ce qui a motivé ce retour ? C’était le bon moment ? Le bon rôle ?
Emmanuelle Béart : Cela fait longtemps oui. Volontairement, ou peut-être plus instinctivement, il y a 10 ans, je me suis dit qu’on n’allait pas me laisser vieillir dans ce métier. J’arrivais dans une tranche d’âge dans laquelle il fallait absolument que je sauve ma peau… d’actrice, parce que la femme allait plutôt très bien ! J’ai eu cet instinct, comme je l’ai eu après Manon des Sources, je ne voulais pas me laisser emporter par ce tourbillon de notoriété, de propositions. Il fallait que j’aille travailler ailleurs que dans cette sorte de cage dorée et je suis partie au théâtre très vite en refusant beaucoup de choses. Il y a 10 ans, j’ai eu besoin d’un espace de travail collectif, d’un engagement sur de longs mois, d’être en équipe. J’avais aussi sans doute besoin de retrouver une forme d’anonymat : faire du théâtre subventionné avec des metteurs en scène comme Stanislas Nordey, ne plus être en haut de l’affiche. C’était pour moi une sorte d’intégrité retrouvée dans laquelle j’ai été littéralement embarquée parce qu’on a fait sept pièces de théâtre entre Nordey et Pascal Rambert. Je n’ai pas arrêté pendant 10 ans et, c’est étrange mais je n’ai eu aucun manque de cinéma, ce que je faisais me prenait tout mon temps, me dévorait. J’étais happée par le théâtre.
Ce n’est pas anodin de revenir justement avec ce rôle…
Emmanuelle Béart : Bien sûr ! J’étais moi aussi confrontée à une sorte de redécouverte, en même temps qu’une grande fragilité et à une perte de repères même si je retrouvais un cinéma d’auteur qui est celui qui m’a enfantée. Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi celui-ci plutôt qu’un autre, au moment où je commençais j’ai eu cette sensation de timidité, de maladresse, de ne plus savoir. Et donc, comme je suis comédienne et que nous sommes des sortes de monstres qui dévorent tout, absorbent tout et se servent de tout, je me suis dit que je n’avais pas besoin de lire le scénario, que j’étais dans l’état du personnage, pas celui de l’après deuil mais celui de la redécouverte, du retour aux premières fois. Donc je n’ai rien essayé de fabriquer, je ne savais pas ce qu’il se passait avant ou après. Je demandais quelques pistes parfois pour comprendre, notamment comment elle arrive bourrée dans une maison avec des Russes, mais c’est tout. Et il y a a beaucoup de fausses pistes, celle de la reprise des études en est une, elle a en fait besoin pour renaître de traverser des espaces et d’être traversée par eux. Elle n’est pas comme eux, elle a un vécu, elle a ce corps-là, ce cœur-là et ils ne sont pas ceux d’une adolescente.
On découvre des choses de vous, des territoires encore non explorés dans ce film, notamment ces scènes douloureusement drôles… En étiez-vous consciente ?
Emmanuelle Béart : Oui douloureusement drôles ! Chaque metteur en scène demande des choses différentes et c’est ce que Ludovic voulait de moi et sans doute devinait de moi. Des choses me touchent beaucoup comme la scène d’amour ratée, j’adore ça ! Parce qu’au cinéma, les grandes scènes d’amour, c’est souvent sublime, c’est long et fougueux, il y a toujours tout. Là, avec la personne qui fait naître en Margaux un sentiment qui n’est pas encore de l’amour mais qui pourrait y ressembler, c’est raté, et quand elle débarque sur Tinder, elle choisit un type et après l’amour, voyant qu’il a un trombone, elle lui demande de jouer et se met à chanter du Rita Mitsouko… C’est extrêmement gênant ! Le pauvre se retrouve avec une femme dans son lit qui est à la fois timide et audacieuse. Elle est tellement contente d’avoir réussi à faire l’amour, ce qu’elle ne savait plus faire, que cela lui procure un flux de joie et de jouissance qui la fait déborder. Elle déborde de partout et cela peut-être très drôle et très gênant.
Et vous après ce retour, êtes-vous débordante d’envies ?
Emmanuelle Béart : Moi je suis très partagée entre mes envies et puis mon amour de la contemplation : regarder les fourmis travailler et les tomates pousser. Pour vous dire la vérité j’aime les deux, j’ai besoin des deux je crois. Débordante d’envies ? Non, j’ai besoin d’une rencontre pour ça. Là je viens de terminer un film que j’ai beaucoup aimé faire aussi, avec Mikhaël Hers qui est vraiment une superbe découverte. J’ai adoré cette expérience, j’ai adoré être dirigée par lui. Tout cela réanime le désir effectivement mais je suis devenue très contemplative, je suis entre les deux.
Et ce penchant pour la contemplation ne pourrait-il pas vous donner envie de filmer à votre tour ?
Emmanuelle Béart : Oui, j’ai de plus en plus envie de réaliser ! Là, je vais réaliser deux documentaires. Un dont je ne veux pas parler pour l’instant et l’autre sur la précarité énergétique. J’ai aussi très envie de réaliser un long métrage, donc je suis curieuse de littérature, de tout ce qui peut m’inspirer sur un sujet.
Plus envie de regarder que d’être regardée ?
Emmanuelle Béart : Oui, même si ce n’est pas désagréable d’être regardée. En fait, rien n’exclue rien, pour moi c’est une sorte de même mouvement, de chemin qui continue différemment.Je n’ai pas du tout envie d’exclure le fait de jouer, de retourner au théâtre, je vais faire Penthésilée de Kleist avec Nordey. Il va juste falloir trouver le temps de tout faire et de regarder les tomates pousser et les fourmis travailler, cela risque d’être compliqué… Mais voilà, j’en suis là !
Vous avez tourné avec pas mal des grands maîtres du cinéma français, que ce soient Sautet, Rivette, Téchiné, Chabrol, que vous ont-ils appris qui vous sert encore aujourd’hui ?
Emmanuelle Béart : C’est la complémentarité de tous qui m’a apporté. Quand vous tourner La Belle noiseuse avec Rivette, Un Cœur en hiver ou Nelly et Monsieur Arnaud avec Sautet, ou de films avec Téchiné… Toutes leurs différences ont éclairé des zones différentes de mon être, et ils sont tous complémentaires. Téchiné filme d’une façon extraordinaire et c’est pour moi un des plus grands directeurs d’acteurs, je l’ai ressenti dans mon corps et aussi très fort en voyant les autres. Et je pourrais vous dire la même chose de Sautet. Je suis très attachée à eux et, à chaque décès, je me sens orpheline de ces metteurs en scène qui m’ont fait grandir, qui m’ont mise au monde. Je n’ai pas de famille de cinéma donc je suis ouverte à toutes les familles ou alors il faut que je créé la mienne. Mais ce sont avant tout des aventures humaines formidables. Les rencontres humaines, c’est ce qui me motive dans ma vie et en cela, il n’y a pas de séparation entre ma vie privée et ma vie de comédienne.
Pour terminer, comme le numéro 2 de la revue FrenchMania a consacré tout un dossier aux artistes français à Hollywood, que vous reste-t-il de votre expérience américaine sur Mission Impossible ?
Emmanuelle Béart : Cela a été le hasard, j’ai passé des essais dans un hôtel, on m’a mis un pistolet entre les mains et Tom Cruise en face. Je crois que j’ai réussi parce que je m’en foutais totalement. J’aimais beaucoup le cinéma de Brian de Palma, mais j’étais tiraillée par ma conscience du cinéma d’auteur et je me disais qu’on aurait pu faire 20 films français avec ce fric ! Du coup, je ne parvenais pas à me libérer et à jouir complètement de la situation. Et puis De Palma ne faisait pas son film à lui, c’était une commande. Il n’était pas vraiment aux manettes et j’étais très triste qu’il ne soit pas à la première à Los Angeles… Je me suis barrée très vite, je ne répondais pas à mon agent américain, j’avais envie de rentrer chez moi. J’adore voyager mais je n’ai pas aimé la machine hollywoodienne autour de ce film.